Rapport du président pour l'année 1994

par André-Pierre Syren

Conseil supérieur des bibliothèques

Paris : Conseil supérieur des bibliothèques, 1995. – 131 p. ; 30 cm. ISSN 1197-3600

Le Conseil supérieur des bibliothèques (CSB) « peut estimer qu’il joue le rôle qui lui a été assigné de lieu de réflexion, de propositions et de références » ; la généreuse vendange de ce nouveau rapport corrobore de facto cette opinion. Un même concept apparaît dans les premières et les dernières lignes, celui des inforoutes, mais on peut considérer que le document dans son ensemble évoque l’idée d’un réseau aux multiples connexions. Rarement les chapitres thématiques, quel que soit leur angle d’attaque, documentaire, administratif, technique, etc. auront montré avec une telle évidence leurs multiples interactions. Le CSB s’est en effet attaché à servir en 1994 la cause majeure de l’articulation des diverses bibliothèques, de leurs politiques et de leurs outils documentaires, en vue d’aboutir à l’organisation d’un véritable « service national de la documentation ». Si naguère il préconisait encore une réflexion pour préciser les missions respectives de tel ou tel réseau, la barre est résolument mise cette année sur le cap de la simplification et de la meilleure cohésion documentaire, visant tout aussi bien l’amélioration de la visibilité interne que de la lisibilité extérieure.

Bibliothèques

En ce qui concerne les collectivités locales, l’accent est surtout mis sur les bibliothèques municipales, à l’occasion d’une réflexion approfondie sur les bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR). Parmi quelques fortes remarques, on relève notamment que, malgré d’indéniables succès, les missions de la lecture publique n’ont jamais été bien définies. Faute de définition légale, Michel Melot s’est donc employé lors de son intervention devant le Conseil économique et social (le texte est intégré au rapport) à proposer un portrait au naturel, reprenant pour l’occasion la distinction entre le modèle de service communautaire anglo-saxon et le modèle culturel hexagonal. Il en conclut, paradoxalement, que « les bibliothèques sont peut-être les plus mal placées (en France) pour le développement de la lecture ». Un véritable développement de la lecture publique doit se fonder sur un partenariat varié : villes-centres et périphériques, villes et régions à propos des CDI (centres de documentation et d’information) des lycées par exemple… S’il apparaît difficile de priver les municipalités d’établissements marquant l’identité communale, en transformant les BMVR en établissements publics, il serait néanmoins souhaitable d’étudier la contractualisation des services inter-collectivités. Les BMVR doivent préciser leur fonction « d’écluses » entre réseaux locaux et supralocaux, en matière de fonds patrimoniaux, de services techniques (prêt entre bibliothèques…), et services spécialisés (populations empêchées…).

Le redressement réel et continu des bibliothèques universitaires (BU) ne saurait masquer de cruelles insuffisances en moyens et en matière d’horaires d’ouverture. La procédure de contractualisation en cours permet cependant de mieux apprécier les objectifs qualitatifs. Une contribution de Denis Pallier sur les grands établissements montre comment leurs collections spécialisées d’intérêt national caractérisent ces établissements. Sur le même plan, le Conseil estime urgent d’intégrer les services documentaires les plus spécialisés de l’université pour éviter que la BU ne soit contournée par la diffusion électronique de l’information. Fortes de structures collectives de traditions anciennes (prêt entre bibliothèques, Cadist), les BU doivent se positionner également envers les milieux non universitaires : « Il semble que bibliothèques publiques et bibliothèques d’études et de recherche aient un large public commun (…) et n’aient jamais eu autant d’intérêts partagés » (p. 109).

Insistant d’emblée sur l’intérêt du projet, à l’exclusion de toute considération sur l’organisation interne, le chapitre consacré à la Bibliothèque nationale de France est poliment circonspect, par exemple sur la possibilité d’ouvertures partielles qui pourrait être envisagée en raison d’éventuelles contraintes budgétaires, contre le parti architectural, ou sur le sentiment des dirigeants actuels concernant la division en départements thématiques. Plus nettement, le Conseil préconise un renforcement des relations entre la BNF et l’Inist de Nancy et regrette que « l’idée d’une collection nationale partagée (…) [n’ait] pas encore trouvé sa traduction visible sur le territoire ». Il faudrait pour cela rapprocher les différents réseaux (BMVR, dépôt légal, rétroconversion, pôles associés) en donnant à la BNF un rôle structurant en matière de concertation, mais « une doctrine est nécessaire, qui semble manquer encore aujourd’hui ».

Champs

Un chapitre est consacré au patrimoine : il s’ouvre sur une cuisante description de « l’irréalisme de la domanialité » et finit par l’exposé du paradoxe que constitue la modestie des programmes nationaux et de la recherche au regard de l’importance considérable des collections patrimoniales (déménagements, éliminations…). Le Conseil note que l’intérêt patrimonial d’un document, conçu dans une acception large s’étendant bien au-delà des fonds anciens, ne peut guère être autrement défini que par le biais d’une politique de collection. La formation professionnelle n’est pour l’instant guère prolixe sur ce point, non plus que sont inquisitrices les statistiques…

Les progrès de la documentation électronique font (par contraste ?) l’objet du chapitre suivant. Ils remettent en cause les outils et les méthodes bibliothéconomiques traditionnels en même temps qu’ils introduisent de nouveaux acteurs dans la chaîne documentaire. De nouveau, ce développement pose la question de la définition de la « mission spécifique » des bibliothèques sur place et à distance. Par ailleurs, « les facilités des nouvelles technologies sont compromises par les difficultés apportées à l’acquittement de droits de plus en plus complexes ». Il ne faut pas oublier non plus les enjeux économiques et industriels considérables que représentent les télécommunications indépendamment des considérations documentaires.

La participation des bibliothèques françaises aux programmes européens est jugée encore très insuffisante, notamment en raison de la faiblesse des moyens logistiques – surtout des bibliothèques publiques. Par ailleurs, les bibliothèques sont concernées aussi bien par la DG XIII (télécommunications) que par la DGX (patrimoine). L’essor des projets européens et l’obtention de premiers résultats devraient permettre la nécessaire meilleure implication des bibliothèques françaises.

A propos des métiers, le Conseil se réjouit de l’enquête fondamentale menée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et s’interroge sur le moyen de concilier unité du métier et diversification des tâches. Sans prendre parti sur le fond, la nature de l’enseignement (dans l’attente des conclusions sur la commission d’évaluation du diplôme de conservateur de bibliothèque), il faut tendre à la validation universitaire des formations pour espérer ultérieurement une reconnaissance professionnelle accrue. La logique de spécialité doit l’emporter nettement sur la logique administrative.

L’évaluation est au cœur de toutes les préoccupations, les bibliothécaires français se distinguent sur ce point, tant par leur présence active à l’IFLA que par de récentes publications. La convergence envisageable des données nuirait à la cohérence des séries ; les statistiques sont établies sur des bases déclaratives sans contrôle critique (et l’harmonisation des procédures concernant le dépôt légal d’imprimeurs a montré quelle importance pourrait prendre la distorsion entre pratiques locales). Enfin, il importe de distinguer clairement les mesures statistiques de l’évaluation de résultats, rapportée à une volonté politique.

Focales

A de multiples reprises, Michel Melot insiste dans son rapport sur les vertus de la contractualisation entre collectivités territoriales, universités et ministères. Beaucoup de problèmes paraissent en effet liés à des questions d’ordre juridique de limites de compétence. Très explicitement, Michel Melot invite à s’appuyer au contraire sur les convergences d’intérêt, donc à définir les objectifs politiques avant d’envisager la gestion de structures. La partie n’est certes pas facile et le Conseil concède lui-même que sa reconnaissance parmi les milieux politiques, notamment parlementaires, est bien en deçà de celle qu’il a parmi les professionnels.

Dans un paysage très diversifié, administrativement par la décentralisation, culturellement par les rapides évolutions sociales, le Conseil préconise pour l’Etat un rôle de modérateur, de régulateur, directement par l’action des directions ministérielles, ou indirectement par des établissements publics comme la BNF. L’exemple du Catalogue collectif de France est mis en exergue, mais une cartographie nationale des collections est souhaitée ; celle-ci peut aussi s’obtenir par l’harmonisation de certaines données statistiques. La régulation de l’Etat est nécessaire non seulement sur le plan de l’offre documentaire, mais aussi sur le plan de la demande (notamment estudiantine) ou de la non-demande…

La mesure est largement donnée des indéniables progrès et du chemin parcouru par l’ensemble des bibliothèques françaises, mais des transformations profondes sont pressenties. Aux logiques administratives se substitueront les convergences documentaires inter-établissements. Michel Melot nous invite à préparer l’avenir avec une égale ardeur dans les problèmes juridiques (droits d’auteur…), techniques (bibliothéconomie, formation…) et documentaires (articulation des politiques de collections…). Ainsi le Conseil pourra-t-il se consacrer en 1995 aux thèmes qu’il a jugés prioritaires : autoroutes de l’information et construction européenne.