Coopération internationale dans le domaine des bibliothèques
Annie Le Saux
Les 8 et 9 mars, à Sèvres, représentants d’administrations, d’associations professionnelles et humanitaires, bibliothécaires se sont réunis pour faire le point sur les nombreuses actions menées dans le domaine international en faveur des bibliothèques et réfléchir à une meilleure coopération entre ces différents acteurs.
Car, comme l’a précisé en introduction Pascal Sanz, président de la Fédération française de coopération entre bibliothèques, organisatrice de ces très riches journées, « s’il existe des politiques des principales administrations et organismes documentaires, on cherche en vain une politique nationale de la représentation de la bibliothéconomie française à l’étranger ».
Les lignes de force
Quelles sont ces initiatives nombreuses mais parallèles ? Michel Melot, après analyse du tableau, significatif bien que partiel, des actions de ministères, d’institutions, d’associations, de bibliothèques, d’agences de coopération et d’écoles présenté dans le numéro 0 du Répertoire de la coopération internationale à l’usage des bibliothèques, édité par la FFCB, a distingué huit thèmes qui donnent lieu à des relations internationales.
Parmi ces rubriques, Michel Melot distingue les relations structurées, émanant généralement des ministères, qui leur dédient des lignes budgétaires bien définies – relations professionnelles, avec des visites organisées, des stages... ; construction européenne –, des initiatives plus isolées menées par des associations, des établissements – aide aux pays du tiers-monde, jumelages...
La défense de la francophonie est un des objectifs de la coopération, qui comprend, comme acteurs principaux, les ministères de la Coopération, des Affaires étrangères, de la Culture et de la Francophonie, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et qui s’appuient sur les ambassades, les centres culturels français, les alliances françaises.
Peu d’organismes, constate encore Michel Melot, entretiennent des relations internationales à partir de leurs collections ou des services qu’elles offrent. Faible également, à la différence des bibliothèques scandinaves et anglo-saxonnes, est la valorisation à l’étranger des spécificités françaises – les médiathèques par exemple. Quant à la place des bibliothèques dans les relations intergouvernementales, il n’en est pas fait mention dans les réponses à cette mini-enquête.
Dans ce tour d’horizon, Michel Melot souligne un certain déséquilibre entre les relations axées surtout vers l’Europe et les pays francophones et l’apparente exclusion de puissances comme les Etats-Unis, le Japon et la Chine.
Les ministères
Les représentants des différents ministères ont ensuite exposé leurs actions dans ce domaine, soulignant leur volonté de plus en plus manifeste de s’impliquer dans cette politique.
Participations aux programmes européens, soutiens aux associations, offres de formation, échanges professionnels à travers des voyages d’étude, des stages et des bourses, telles sont les actions qu’ont, entre autres, décrites Serge Kancel, de la Direction du livre et de la lecture et Béatrix Rubin, de la Sous-direction des bibliothèques. Pour le ministère de la Coopération, la constitution de bibliothèques dans les pays francophones est prioritaire depuis dix ans. Le ministère des Affaires étrangères favorise, quant à lui, la visibilité des bibliothèques des centres ou instituts culturels (environ 130) et des alliances françaises (environ 150 sur les 1 300 alliances ont des ébauches de bibliothèques) dans les pays non francophones. Un des objectifs de ce ministère est de faire de ces bibliothèques non seulement des soutiens à des actions en faveur du livre et de la lecture, mais des centres de ressources sur la France.
Les associations
Que ce soit à travers leur participation aux actions des associations internationales (IFLA, EBLIDA, Unesco...), leurs relations avec des associations professionnelles étrangères ou des actions plus spécifiques, les associations professionnelles (ABF, ADBU, ADBS, FFCB, les Amis de la Joie par les livres pour le secteur du livre de jeunesse), ayant pris conscience des enjeux européens et internationaux, sont de plus en plus présentes sur ce terrain.
Des représentants d’associations humanitaires, France-Libertés pour l’Asie du Sud-Est et le Groupement des retraités éducateurs sans frontières, présent dans 17 pays sur 4 continents, ont également mis en place des programmes d’aide culturelle par l’envoi de livres et par la formation.
Cecil Guitart, représentant de Culture et développement, a mis l’accent sur le contexte des pays avec lesquels il travaille : faiblesse de l’écrit là où la culture s’est développée par l’oral, existence de maisons d’édition, mais à capitaux étrangers, absence de livres pour la jeunesse, problèmes de langues, absence de réseaux structurés de la lecture. Pour aider ces pays à conserver une mémoire, à développer leur culture, le meilleur lieu est l’école, le meilleur moyen, l’intégration par le dialogue des cultures. « Il faut », conclut Cecil Guitart, « aborder la coopération en demandeur et non en donneur ». Echange de savoir-faire, partenariat entre collectivités territoriales françaises et africaines et non plus simplement aide, telles sont les qualités plusieurs fois requises au cours de ces journées.
Les bibliothèques
Un exemple précis de l’engagement des villes, qui, depuis les lois de décentralisation, s’est développé, fut donné par Jacqueline Liewig, de la bibliothèque municipale d’Angers, ville jumelée depuis 20 ans avec Bamako, capitale du Mali. 0,5 % du budget investissement d’Angers est destiné à procurer une assistance, au début technique, de plus en plus culturelle, à Bamako. La bibliothèque a défini un projet de partenariat avec l’opération lecture publique du Mali, aidant d’une part au développement de la lecture à Bamako et sensibilisant d’autre part les Angevins à la culture malienne. Elle consacre 1 % de son budget acquisitions de livres à l’achat d’ouvrages choisis d’après les listes envoyées par Bamako. Parmi les autres actions de coopération imputables à la BM, citons l’édition d’un recueil bilingue de contes bambara 1, réalisé à partir de collectes de cassettes de tradition orale.
Au niveau parisien, deux grands établissements culturels participent également à des opérations de coopération internationale. Depuis des années, la Bibliothèque nationale a mené une politique d’échanges internationaux (doubles du dépôt légal offerts en dons dans le cadre des échanges, liens avec les grandes bibliothèques des pays développés, participation à des projets européens...) ; la Bibliothèque nationale de France continue cette politique, mais innove cependant en la structurant, en l’intégrant dans son organigramme, en proposant des actions sans attendre les nombreuses sollicitations, en considérant enfin la coopération internationale comme une de ses missions.
A la Bibliothèque publique d’information, la politique de coopération s’est également développée, d’abord vers les pays francophones et les pays ayant des liens historiques avec la France, puis vers l’aide au développement des ex-pays de l’Est. Cette politique s’est concrétisée par des conventions signées avec divers partenaires, tel l’Unesco, le British Council, la Bibliothèque de littérature étrangère à Moscou...
Ces conventions, qui traduisent la volonté de plus en plus sensible des partenaires d’inscrire leurs actions dans un cadre institutionnel, font partie de la politique menée par le Bristish Council, qui a toujours favorisé les échanges professionnels à travers les associations nationales et internationales, les instances des différents pays et les personnes. L’avance qu’avait la Grande-Bretagne voici quelques années dans le domaine des bibliothèques tend à s’inverser et les échanges de savoir-faire se font de plus en plus dans les deux sens. La force de la Grande-Bretagne dans le domaine de la coopération culturelle est d’avoir des British Councils – une centaine – implantés dans de nombreux pays, sources d’information sur la Grande-Bretagne en même temps que moyens de promouvoir la Bristish Library.
La mondialisation culturelle
Maître de conférences à l’Institut d’études politiques, Pierre Grosser a captivé l’assistance en ouvrant ses réflexions à la mondialisation culturelle, dont le premier mérite, selon lui, est d’être un facteur de paix. Echanges et jumelages sont des aides au rapprochement – la France et l’Allemagne en sont un exemple –, alors que l’étanchéité culturelle ne peut être qu’un élément fondamental de conflit. La mondialisation culturelle, en facilitant la circulation des savoirs, et en offrant la possibilité de contre-pouvoirs, agit en tant que facteur de libération et de démocratisation (cf. le rôle de l’opinion publique internationale dans les mouvements pacifistes tels qu’Amnesty international, Greenpeace...). Elle permet aussi une efficacité accrue par le contact plus immédiat entre les communautés de savants.
Cependant, tout n’est pas positif dans ces échanges interculturels, qui révèlent un accroissement des inégalités. Le développement des réseaux pourrait accentuer la fracture entre deux mondes : d’une part, une élite du Nord et une élite du Sud, qui, de ce fait, s’intégrera au Nord, et, d’autre part, les exclus, qui n’auront pas accès aux réseaux.
Des réactions identitaires peuvent également s’opposer à l’américanisation mondiale et engendrer des exacerbations ethniques, une recrudescence de nationalismes et l’affrontement des civilisations.
A l’échelle nationale, on remarque, en France, une nette tendance à une coopération décentralisée, entraînant des acteurs de plus en plus nombreux (l’Etat, les régions, les communes, les établissements scolaires, les organisations non gouvernementales...) et multipliant les interlocuteurs.
Dans les relations Nord-Sud, bien connaître le pays, avoir des interlocuteurs locaux, s’adapter aux cultures locales, et la coopération de substitution pratiquée depuis des lustres évoluera vers une véritable politique de coopération bilatérale. Elle s’orientera vers la formation, vers la responsabilisation de ceux qui travaillent sur le terrain, vers la recherche de relais locaux.
Des quatre ateliers qui ont plus particulièrement réfléchi sur la formation et l’information professionnelles, la structuration du réseau de bibliothèques, l’usage des technologies et leurs enjeux, et les prestations d’expertise, il est ressorti une prise de conscience du handicap causé par l’absence de coordination entre les différents organismes. Si des ébauches de coopération apparaissent dans des efforts ponctuels de collaboration entre diverses associations ou dans la signature de conventions entre institutions, associations et ministères, il n’en reste pas moins que la majorité des activités se recoupe, se répète et souvent se chevauche.
Pascal Sanz, en conclusion et avec l’adhésion de la salle, a émis le souhait que soit créé « un lieu ou une modalité de concertation » entre tous les partenaires impliqués, où les besoins en coopération internationale seraient clairement identifiés, les objectifs clairement définis et les actions inscrites dans la durée 2.