Bibliothèque de rue
Anne Kupiec
« J’ai faim dans ma tête ». C’est au nom de cette déclaration, de cette revendication même, que se sont tenues à la Cité des sciences et de l’industrie, du 24 au 26 février dernier, les 8es journées du livre contre la misère. Organisées par l’association ATD Quart-monde 1, ces journées proposaient à tous films, expositions, ateliers pour petits et grands. Des débats furent consacrés aux relations entre l’extrême pauvreté et l’école, la santé et même l’histoire (avec Arlette Farge et Michel Serres), ou bien encore aux images de la misère (avec le photographe Marc Riboud).
L’un des débats, organisé conjointement avec la Direction du livre et de la lecture (DLL) du ministère de la Culture et de la Francophonie, avait pour titre : « Lire dans les quartiers : la bibliothèque dans tous ses états ».
Marie-Claire Millet, chargée notamment du développement de la lecture à la DLL, posait d’emblée les questions, selon elle indispensables, si l’on ne souhaite pas aménager l’exclusion, mais la traiter : quels modes d’intervention pour l’offre de lecture dans les quartiers ? Quels budgets, quelles priorités, quels relais, quel partenariat, quels effets sur le recrutement des bibliothécaires, sur les formations ?
Quartiers et cités
Après un rappel de l’histoire d’ATD Quart-monde dans ce domaine, les membres de la tribune firent part de leurs expériences dans les quartiers, les cités, quand la bibliothèque sort de ses murs pour se rendre auprès des habitants. Il s’agit de « réchauffer les mots » dit Geneviève Patte, utilisant cette formule classique pour rendre compte de l’activité de porte à porte conduite par la Joie par les livres.
De Créteil comme de Lille, les bibliothécaires insistent sur l’indispensable partenariat avec d’autres institutions locales (école, centre social, maison de quartier) ; il faut sortir de la bibliothèque pour être connu. Patrick Boudol, chargé du développement de la lecture à Grenoble, souligne la complémentarité de la bibliothèque de rue et de la bibliothèque municipale – généralement une annexe. Il affirme que « la bibliothèque n’est pas de l’ordre de l’assistanat : c’est le citoyen qui entre à la bibliothèque ».
Les uns comme les autres évoquent les ruses et les stratégies multidirectionnelles qu’ils mettent en œuvre, souvent avec difficulté malgré leur forte motivation, pour faire connaître le livre aux plus jeunes, mais aussi à leurs familles, les fidéliser et leur faire découvrir, après la bibliothèque de rue, la bibliothèque municipale. Là, le règlement et son application stricte posent des problèmes particuliers. Les amendes, en cas de retard ou de perte des documents prêtés, considérées comme faibles ailleurs deviennent, dans ces quartiers, trop onéreuses. Tout en soulignant la nécessité d’une loi commune à respecter, l’application des sanctions ne peut être standardisée.
Médiateur du livre
Le passage de la bibliothèque de rue à la bibliothèque municipale a été mis en valeur par la double intervention de Jocelyne Champeaux et Sylvie Magin – respectivement bibliothécaire et médiateur du livre à Lille 2 – qui présentèrent les deux faces du service public de la lecture dans les quartiers.
Certains des intervenants évoquèrent d’autres actions liées à l’accueil des plus démunis : le soutien scolaire sous forme d’aide aux devoirs, la visite de la bibliothèque au cours d’un stage organisé à l’attention de bénéficiaires du RMI (revenu minimum d’insertion) ou bien encore l’accueil, malaisé, des SDF (sans domicile fixe).
La conclusion de ce débat prit la forme d’une question posée par l’animatrice du débat 3 – Claire Boniface, inspectrice de l’Éducation nationale. Les actions mises en œuvre sont encore trop souvent le fait d’une personne, volontaire d’une association, ne devraient-elles pas être liées à une fonction et, à ce titre, n’est-ce pas à la bibliothèque de les prendre en charge ?