La collection dans tous ses états
Valérie Tesnière
Que signifie développer une collection aujourd’hui à partir d’un fonds déjà constitué, fortement patrimonial ? Le mot « collection » n’est pas si clairement perçu et sa polysémie est source de confusion : collection privée, collection éditoriale... La collection de bibliothèque entretient des relations équivoques avec ces notions, a fortiori quand son caractère patrimonial tend à la « sacraliser ». Il est donc d’autant plus indispensable de procéder à des évaluations fines de son contenu et à une analyse des attentes du public avant de recourir à des pratiques d’entrées, telles que les achats ou dons de collections privées, ou les commandes permanentes à des produits éditoriaux, qui, à forte dose, créent un décalage avec le fonds existant.
What does collection development policy mean today, when the library has already some ancient and independent holdings ? We realize then that the word « collection » is not clearly defined. In French it has several meanings : private collection, publisher’s series..., which increase the confusion, especially with collections considered as « sacred » entities. Therefore it is necessary to evaluate a library collection before accepting gifts from private collections and subscribing standing orders from publishers, whose principles are different from the library’s.
Was muß doch bedeuten, daß man einen schon gebildeten, meistens erbschaftlichen Bestand entwickelt ? Das Wort « Bestand » wird nicht so genau verstanden, und seine Mehrdeutigkeit kann Verwechslungen enstehen lassen : Privatsammlung, Verlagssammlung... Der Bestand einer Bibliothek treibt zweideutige Verhältnisse mit diesen Begriffen, um so mehr als seine Erbschaftlichkeit zur “Sakra lisierung” führt. So muß unbedingt sein Gehalt fein evaluiert werden sowie die Nachfrage des Publikums, bevor man eine echte Erwerbspolitik verfolgt mit Anschaffung oder Schenkung von Privatsammlungen, systematischer Bestellung von Verlagsprodukten, die den vorhandenen Bestand auf die Dauer verändern.
La collection dans une bibliothèque est une notion que n'abordent jusqu'à présent ni les dictionnaires ni les travaux récents des historiens sur les collectionneurs . Collection privée d'objets, artistiques plus encore que scientifiques, collection éditoriale mais rien sur les livres. La notion est contemporaine. Il s'agit moins de réunion, d'assemblage, d'accumulation de titres que de choix successifs systématiquement opères dans une intention particulière. On remarquera qu'applique a la bibliothèque (meuble ou bien lieu ou l'on conserve les livres), le terme de « collection » se substitue peu a peu a celui de « bibliothèque », ensemble constitue selon les préceptes d'un Naude par exemple. Serait-ce indirectement souligner le caractère précieux de fonds anciens ? A tout le moins, faire référence a une idée de construction intellectuelle.
Mais que signifie aujourd'hui développer une collection a partir d'un fonds déjà constitue ? La question mérite d'être posée, car, pour beaucoup de fonds patrimoniaux, est révolue l'époque de constitution massive, souvent issue de juxtapositions d'achats ou de legs d'importantes collections privées. A ce propos, comment intègre-t-on et gère-t-on de nos jours une collection privée dans une bibliothèque ? Peut-on procéder de la même façon que lorsque le fonds est en cours de constitution ? Quel rapport en somme entretient la collection privée avec la collection publique ?
Développer une collection actuellement a partir d'un héritage important, c'est tenter de lui trouver sinon une unité, du moins un fil conducteur, dans un contexte ou les missions d'un établissement s'analysent davantage en tenant compte de l'environnement documentaire. Redéfinir la politique d'entrées, c'est aussi se demander accessoirement ce qu'est une collection éditoriale par rapport a la collection de la bibliothèque et surtout comment peut jouer la demande par rapport a une offre déjà constituée, qui pèse de tout son poids symbolique sur les pratiques d'enrichissement ?
Ces questions autour de la notion de collection, tellement polysémique, voudraient avant tout ouvrir un débat, susciter d'autres interrogations et d'autres pistes de réflexion sur le sens sinon de nos politiques de développement de collection, du moins de nos pratiques d'acquisition dans l'acception large du terme.
Collection privée / collection publique
S'il est indispensable d'avoir une connaissance approfondie de l'histoire des fonds dont on a la charge, la référence aux pratiques de nos prédécesseurs, lointains ou immédiats, ne doit pas occulter la nécessite de s'adapter a des situations en constante évolution.
Prenons un exemple connu. La Bibliothèque royale s'est enrichie au départ, on le sait, non grâce au dépôt légal, mais grâce a l'apport d'importantes bibliothèques privées : legs des frères Dupuy, de Colbert, entrés de fonds tels que ceux de Michel de Marolles, de Gaston d'Orléans, troc avec le collège des Quatre nations pour récupérer la bibliothèque de Mazarin... Jusqu'à la fin de l'administration de l'abbéMignon (1743), il s'agit de juxtaposition de fonds. A la Révolution, au moment de la saisie des biens du clergé et des émigrés, Van Praet procède beaucoup plus sélectivement dans les dépôts littéraires de la capitale, même si les entrées d'alors sont massives, par suite de l'apport des guerres révolutionnaires et napoléoniennes. Le noyau des collections est constitue et l'integration de grandes bibliothèques privées tend ensuite a diminuer progressivement.
Actuellement, la Bibliothèque nationale de France n'intègre des grands dons que rarement. Il est dans l'ordre logique des choses que les bibliothèques privées de spécialistes et/ou de bibliophiles, quand elles ne sont pas démembrées lors de ventes publiques, aillent soit a des bibliothèques spécialisées, dont c'est la vocation théorique d'étendre le domaine d'excellence ad libitum, soit a des bibliothèques en phase de constitution. Avec un décalage d'un siècle ou deux par rapport a l'Europe, les fonds nord-américains réputés se sont ainsi établis.
Une bibliothèque patrimoniale importante face a un grand don ou legs a deux possibilités : soit une acceptation globale, en particulier quand le don est composite et offre des pièces uniques telles que les manuscrits (par exemple a la BNF, les fonds Rothschild, Maurice Barres, Romain Rolland...), soit une sélection de ce qui permet de combler ses propres lacunes. Le tri concerne des bibliothèques réduites en taille ou dont intérêt est juge faible a une époque donnée.
La dation Sauvy
On peut se demander toutefois si des établissements spécialisés ne sont pas une destination mieux appropriée dans nombre de cas. A cet égard, la dation Sauvy serait un exemple heureux. Polytechnicien, père des études démographiques en France, Alfred Sauvy s'est attache a rassembler de nombreux ouvrages, du XVIIIe siècle notamment, qui lui ont paru traduire le début des préoccupations démographiques, économiques et sociologiques. La plupart des titres ne sont pas rares dans des fonds constitues des l'Ancien régime ; leur intérêt réside dans le regroupement qu'a opère Alfred Sauvy dans une perspective précise. Ils revenaient logiquement a une institution illustrée par la personnalité de leur possesseur, l'Institut national études démographiques (INED) ou l'Ecole polytechnique. C'est ce qui s'est produit, puisque la dation est allée a cette dernière.
Est-ce a dire qu'une collection de ce type dans une autre grande collection est chose impossible ? Les difficultés de traitement que rencontrent les bibliothécaires paralysent beaucoup d'initiatives. En général, le type de classement préexistant conçu par la bibliothèque, qui organise les champs de la connaissance a sa mesure, contraint au démembrement de la collection privée et noie l'intention d'origine qui a préside a sa constitution. Les exemples en ce sens ne manquent pas et ce depuis fort longtemps. Le tri des doubles étant une opération longue, toujours différée par l'urgence quotidienne, des bibliothèques ont opte pour un stockage provisoire (en fait définitif) dans des annexes.
La collection Le Senne
Pourtant, des contre-exemples existent. Toujours a la BNF, la collection Le Senne, consacrée a l'histoire de Paris, a été jugée d'un intérêt tel qu'elle a été acceptée, mais aussi respectée et conservée, regroupée sous une cote spéciale. De fait, le fonds, très composite, comporte certes des doubles du fonds général de livres et de périodiques, mais aussi des brochures, des almanachs, des projets d'urbanisme..., publications éphémères ou littérature grise avant l'heure, qui en font un ensemble a la cohérence très forte. C'est une collection close, comme la plupart des fonds ainsi conserves ; la bibliothèque Victor Cousin, la bibliothèque Thiers, dont la taille est supérieure, s'en rapprochent. Leur enrichissement actuel demeure symbolique.
Le traitement réserve a la collection Le Senne est-il un cas rare, au-delà de la phase de constitution massive d'une bibliothèque ? Les causes de refus de tels apports sont la plupart du temps motivées par des clauses de legs ou de cession jugées trop contraignantes et des moyens estimes insuffisants pour absorber de tels flux de documents. De fait, les structures plus petites sont plus accueillantes, leur organisation intégrée leur donnant plus de souplesse et leur conception étant pas très éloignée de celle de collectionneurs prives. Cela vaut d'ailleurs aussi pour certains services plus autonomes au sein de grandes structures, les réserves de fonds rares et précieux notamment. Faut-il s'en étonner ? Bibliothèque privée, bibliothèque spécialisée, la mémoire – la nostalgie ? – des origines communes est bien vivante. S'est ajoutée l'idée de collection publique, mais l'ouverture s'adresse, au fond, comme au temps de la république des lettres, surtout a un cercle de lecteurs avertis.
Les grands établissements a vocation encyclopédique appréhendent aujourd'hui (dans les deux sens du terme) l'arrivée de flux soudains de documents. En outre, la perception de intérêt scientifique de ces apports est encore plus noyée quand la bibliothèque privilégie une organisation horizontale par grande fonction bibliothéconomique (entrées, catalogage, conservation, communication). Il faut donc reconnaître que le cas Le Senne reste peu répandu, quitte a le déplorer et a souhaiter qu'il se reproduise plus souvent, bien que pour ce type d'apport, la bibliothèque spécialisée soit finalement préférée.
La même tendance s'observe-t-elle dans les musées ? Non, car le rapport au public est diffèrent, moins immédiat pour les conservateurs, et le lien avec la collection privée plus nourri par nature. Le mode courant d'entrée dans les bibliothèques fait référence a un produit éditorial, le livre, destine a être multiplie ; l'objet de musée est unique en général.
Collection éditoriale / collection de bibliothèque
Justement, cette production éditoriale, disséquée par les professionnels de la documentation, se place elle aussi fréquemment sous les auspices de « collections », comme s'il s'agissait d'un label de confiance universel. Polysémie du mot, certes, mais la coïncidence de l'usage mérite qu'on s'y arrête. Il n'y a pas de lien immédiat entre la collection éditoriale et la collection d'une bibliothèque, en dehors des produits que l'on achète pour enrichir un fonds. Pourtant, depuis quand les éditeurs usent-ils et abusent-ils de cette dénomination pour fidéliser leur clientèle ? A la « Bibliothèque des romans » de l'Ancien régime ont succède au cours du XIXe siècle d'autres bibliothèques (Bibliothèque de philosophie contemporaine, Bibliothèque utile, etc.) et des collections, notion plus récente.
Evocation de la sphère privée, meuble ou pièce de la maison, par assimilation de son contenu, fruit d'une sélection raisonnée ou non et objet d'une attention particulière de la part du possesseur : le concept de collection vise a rassurer le lecteur potentiel. Les éditeurs utilisent le glissement de « bibliothèque » a « collection » dans cette perspective.
Les commandes permanentes
Et la bibliothèque privée, devenue publique, en tant que consommateur important a son tour, tend également a accorder tout crédit a ce label de confiance qui lui est emprunte indirectement. Ironie de l'invocation ? Les critères de sélection des bibliothécaires sont plus distancies et les visées intellectuelles et commerciales des éditeurs ne tendent pas vers la seule clientèle des lieux publics de lecture. Encore que dans le cas de l'édition contemporaine d'érudition, celle-ci soit le principal objectif poursuivi, comme celle des laboratoires pour les périodiques et séries scientifiques. Dans une dialectique particulière de soutien a l'édition d'érudition dans le premier cas, de forme de « diktat » de la presse scientifique dans le second, les bibliothèques d'étude et de recherche, dotées ou non de fonds patrimoniaux, s'abonnent assez systématiquement a des collections, suites, séries, dont le titre constitue a leurs yeux une garantie de qualité suffisante, corroborée par les analyses bibliométriques indiquant la quantité de références et de citations qui s'y rapportent. Les commandes permanentes (standing orders) offrent une facilite de gestion tout a fait adaptée a une demande forte de consultation pour certains titres usuels.
Les lecteurs sont d'ailleurs familiarises avec cette idée de collection éditoriale pour les plus connues d'entre elles et sont même parfois attaches, quand elles figurent en libre accès, a leur regroupement physique sur les rayons des salles. La collection de type commercial force le cadre de classement propre de la bibliothèque. Au-delà de ce réflexe pragmatique de l'usager, qui peut être discute, le recours a la pratique des commandes permanentes peut être remis en question quand il tend a se généraliser et a se substituer a l'analyse préalable que requiert la mise au point de toute politique d'acquisitions. Ce mode d'achats n'est pas a réprouver, mais son usage abusif comporte des risques, qui illustrent bien la difficulté qu'il y a à développer des collections a partir d'une importante offre constituée.
En effet, le danger existe que cette offre préexistante, c'est-à-dire la notion de collection conçue assez abstraitement comme une valeur en soi, « vampirise » la bibliothèque. Sacralisées, les collections deviennent intouchables, surtout dans le cas de fonds axes sur la conservation. Les enrichissements sont soit ponctuels par nature (compléments partiels de fonds anciens), soit développes de façon « académique » au sens anglo-saxon du terme. Dans ce second cas, qui concerne la majorité des entrées courantes, se développe une logique qui conforte alors le bibliothécaire dans la certitude de perpétuer une tradition légitime, sans tenter d'analyser au plus près la demande des lecteurs (au-delà de la suggestion d'achat isolée), ni le contenu réel de l'offre déjà présente.
La tentation est grande d'utiliser massivement la facilite des commandes permanentes et de déléguer le travail de prospection scientifique a un éditeur qui l'a conçu a votre place, mais dans une optique tout autre que celle qui concerne une bibliothèque donne, surtout quand celle-ci a une riche histoire. Que la qualité de la collection soit susceptible de varier dans le temps, notamment de baisser, si ses directeurs s'essoufflent, sont remplaces ou si le souci d'exploitation commerciale d'un filon prend le pas sur des considérations plus scientifiques, n'est pas toujours perceptible par le bibliothécaire s'il ne prend pas le temps, par ailleurs, de s'informer par d'autres sources bibliographiques de évolution du domaine traite dans ce cadre.
Un régulateur financier
Le principal régulateur de cette pratique est financier 1. La littérature professionnelle, aux Etats-Unis en particulier, montre que, depuis plusieurs années, avec la diminution progressive des budgets des établissements qui affectent au premier chef les politiques d'acquisitions, le recours aux standing orders est opère avec plus de circonspection 2. Car, lorsque s'ajoute a la partie fixe des abonnements de périodiques, voire de suites, toujours prioritaire, une immobilisation d'une autre partie non négligeable du budget annuel d'achats par les commandes permanentes, dont on ne peut prévoir, contrairement aux revues, la régularité du rythme de parution, la marge de manoeuvre du gestionnaire se réduit considérablement pour respecter ses engagements contractuels apures du fournisseur de ce type de prestations.
Comment faire face par ailleurs a la demande courante des usagers dans ce contexte, si celle-ci ne coïncide pas avec les options qui immobilisent la majorité des crédits ? Les bibliothèques d'étude et de recherche, par la mise au point des catalogues collectifs de périodiques, ont apporte une réponse, la répartition des abonnements, aux difficultés qu'elles avaient rencontrées dans les dernières décennies, quand leurs budgets étaient accapares par ce poste. D'autres difficultés subsistent, mais le même raisonnement pourrait s'appliquer aussi aux collections de monographies.
Le respect d'un fonds patrimonial conduit-il encore une fois a figer son développement présent ou a accorder trop de crédit a des collections conçues dans une perspective qui n'est pas le contexte particulier de la bibliothèque ? Le risque de déléguer a l'extérieur le soin d'enrichir couramment les fonds est d'engendrer une certaine uniformité d'une bibliothèque de recherche a l'autre. Cela ne constitue pas un inconvénient pour les titres de référence qui ont vocation a être multiplies en plusieurs endroits, cela témoigne d'une crainte – d'une indifférence ? – qui peut conduire a développer une pratique d'achats quotidienne, relativement hétérogène par rapport a l'originalité de la collection déjà constituée. On voit combien, dans la notion même de collection de bibliothèque, se télescopent des références différentes qui ne renvoient pas par hasard a un mot identique, dont on sous-estime la portée symbolique. Compléter ponctuellement titre a titre une collection ancienne est chose plus aisée que de concevoir une politique d'enrichissement courant qui lui soit propre.
La collection patrimoniale entre l'offre et la demande
Le poids de l'offre s'accentue d'autant plus que le culte de ses origines est plus fort. Mais l'appréhension d'une masse considérable ne doit pas faire obstacle a la définition d'une politique entrées. Il importe donc de démythifier le contenu, afin de mieux cerner cette offre déjà si fortement présente.
Les critères de constitution des collections
Si, en général, on connaît bien les circonstances qui ont successivement préside a la constitution de l'actuelle collection, en revanche, on évalue moins bien son contenu, autrement qu'au fil des demandes de recherche bibliographique, de catalogues thématiques ou d'expositions ponctuelles. Cela demande en effet du temps, chèrement compte, et un recul que le quotidien n'autorise guère. Les critères successifs de constitution gagnent toutefois a être analyses avec finesse, afin de dégager les principales lignes de force de la collection qui ne correspondent pas forcement a l'affichage propose par commodité.
Pour tout établissement qui s'efforce de redéfinir ou d'adapter son offre a partir d'un héritage documentaire, il est indispensable aussi de procéder a des évaluations précises sur ce qui existe, ce qui permettra d'en cerner la réelle qualité et la vraie continuité, au-delà des seules mesures quantitatives.
Diverses méthodes ont été éprouvées depuis plusieurs décennies sur ce sujet. Outre-Atlantique notamment, les professionnels se sont montres soucieux de s'épargner des investissements financiers et humains inutiles, quand l'heure des économies a sonne. Sans revenir sur les techniques bibliométriques, très largement exposées ces dernières années dans la littérature spécialisée, il faut noter cependant qu'elles sont considérées, elles aussi, avec plus de circonspection et que leurs acquis sont pragmatiquement panaches avec ceux d'une méthode encore décriée il y a peu, quand le primat de la demande sur l'offre était la règle.
Il s'agit des checking lists, dont l'usage est pertinent dans l'optique d'une aide a l'orientation ou la réorientation d'un fonds, a condition de bien choisir les fourchettes chronologiques pour l'examen des listes de titres et de les croiser avec les instruments bibliographiques adaptes. Le conseil d'appoint d'un spécialiste du domaine, extérieur a la bibliothèque, est aussi d'un bon secours, quand les objectifs de l'étude et le contexte sont bien précises au préalable. Il existe plusieurs exemples de fonds scientifiques américains ayant ainsi restructure leur offre. La méthode ne peut être pratiquée a grande échelle. Ce sont des sondages successifs sur des tranches de la collection qui permettent de reconstituer un tableau précis des forces et faiblesses d'un fonds 3.
D'autres méthodes peuvent être mises au point ou adaptées a partir de recettes éprouvées. Pour ces évaluations, idée principale est donc non seulement d'analyser les critères successifs de constitution du noyau, mais aussi de vérifier qu'en fonction des missions assignées a la bibliothèque (vocation de recherche, vocation patrimoniale, vocation mixte), les entrées ont bien suivi les tendances de la recherche a tel ou tel moment 4 ou bien se sont efforces de rassembler de façon pertinente des matériaux utiles pour l'histoire avec des critères plus archivistiques 5.
La demande du public
Une fois connu le contenu de l'offre existante, il est possible de mieux mesurer la demande du public. La encore, l'image symbolique de la bibliothèque patrimoniale a toute sa force. Les établissements, ou l'existence de tels fonds ne saute pas aux yeux et dont la vocation de lieu de lecture publique, de lecture étudiante ou encore de travail de recherche prime, perçoivent cette demande de façon très pratique. La pression du public s'exerce en effet beaucoup plus dans les bibliothèques municipales et dans les bibliothèques universitaires, dotées ou non de fonds anciens. Les réponses apportées par la constitution de larges fonds de référence permettant d'exploiter, entre autres, les collections patrimoniales sont a la mesure de ces établissements peu axes sur le développement de collections de recherche. Dans les bibliothèques spécialisées, ouvertes a un cercle limite de lecteurs avertis, le lien plus étroit avec ce type de public entraîne en général une meilleure évaluation des développements a apporter a la collection existante.
Le risque de rupture de la dialectique qui doit s'exercer entre offre, et demande et qui est plus difficile a analyser dans le cas de bibliothèques dites de conservation, vient d'un éloignement du contact du public. La Bibliothèque nationale de France doit gérer cette contradiction, accentuée par la diversité de ses missions, notamment celle de collecte et de signalement de la production nationale. C'est intérêt du nouveau site de Tolbiac, de l'augmentation considérable du nombre de places de lecture et des réorganisations internes en cours dans le but de mieux s'adapter a cette nouvelle donne, que de permettre de faire évoluer les rapports avec le public dans un sens plus qualitatif.
Il faut espérer que des départements thématiques plus petits que les services transversaux entrées, de conservation et de communication qui prévalaient jusqu'à présent, pourront être plus proches des lecteurs 6 et mieux cerner leurs besoins. Les collections ne devraient plus être perçues d'abord comme des « masses » a gérer, mais comme des ensembles a faire vivre, constitues dans certaines perspectives connues ; le public ne devrait plus être perçu comme une « foule » mais comme des interlocuteurs, certes nombreux, auxquels il s'agit de montrer davantage les axes forts des collections pour mieux les orienter a l'intérieur (ou a extérieur le cas échéant) de la bibliothèque, voire pour recueillir des suggestions de développement des acquisitions.
Ce soutien est attendu de la part des lecteurs qui fréquenteront le niveau du rez-de-jardin, dit de recherche : les conseils de spécialistes aideront a poursuivre et affiner la réorientation en cours de la politique d'acquisitions. Mais il pourra être aussi très intéressant d'analyser les réactions des lecteurs du niveau du haut-de-jardin, plus largement ouvert, a partir de l'offre de libre accès qui leur est proposée et qui s'inscrit résolument dans la continuité des lignes de force de l'offre patrimoniale. La encore, cela peut être considère comme une entreprise de démythification du mot patrimoine suffisamment galvaude, mais qui n'exclut pas, loin de la, un respect bien compris de ce qu'est une collection dans une bibliothèque de ce type.
Mars 1995