Contre les moisissures

fiat lux !

Claude Husson

La Bibliothèque de Bayonne a connu, à moindre échelle heureusement, la même mésaventure que celle de l'Arsenal *.

Nous avons bénéficié des mêmes conseils et des mêmes aides de la part du Bureau du patrimoine de la Direction du livre et de la lecture, mais nous avons été moins systématiques dans le traitement des collections apparemment non atteintes et des locaux de rayonnages : espérons que nous n'aurons pas à regretter d'avoir reculé devant un travail titanesque et de nous être « contentés » d'un travail énorme.

Défense passive

Je retiens les mêmes enseignements que mes collègues de l'Arsenal de cette mésaventure :
- il est préférable d'éviter d'installer des magasins de conservation en sous-sol ;
- il vaut mieux n'utiliser un système de climatisation qu'en dernier recours et prendre d'abord les mesures simples et peu onéreuses de prévention (bonne isolation des fenêtres, au besoin par double huisserie, positionnement des livres au fond des étagères pour faciliter le dépoussiérage des rayonnages, entretien et contrôle réguliers...).

Je voudrais insister sur un de ces moyens de « défense passive » qui n'est pas mentionné dans le compte rendu de la bibliothèque de l'Arsenal et trop accessoirement évoqué dans la littérature spécialisée : le rôle bénéfique de la lumière naturelle par inhibition des moisissures. En effet celles-ci - dont il est bon de rappeler que les spores générateurs sont, comme les acariens, présents partout et en permanence - se développent d'autant mieux que se conjuguent trois facteurs : taux d'humidité relative et température élevés, obscurité (je néglige volontiers le manque d'aération, celle-ci n'étant valable que si elle minimise au moins l'un des deux premiers facteurs, donc si elle est liée à un traitement de l'air).

Une certaine lumière

Il ne faut pas hésiter à laisser pénétrer une certaine lumière naturelle dans les magasins de conservation (après tout cela coûte moins cher qu'une installation de climatisation) et considérer comme une aberration les « blockhaus » (dans ce sens, les tours vitrées de la Bibliothèque de France sont peut-être une hérésie salutaire).

A bien y réfléchir, cette phobie de la lumière qu'on nous enseigne ne vient-elle pas d'une perversion de la conception du livre qui tend à privilégier la conservation de la reliure, dont on semble oublier que sa raison d'être première est précisément de protéger son contenu, y compris des effets négatifs de la lumière sur le papier et l'encre (un peu comme si on se préoccupait davantage de l'état des pare-chocs et de la carrosserie d'une voiture que de sa mécanique et de son intérieur) ? On sait bien qu'un même ensemble de cahiers cousus a pu avoir dans sa vie plusieurs reliures : la reliure change, le livre reste. Il vaut mieux une reliure défraîchie (encore que cela peut s'éviter par un cirage périodique, voire un renouvellement s'il s'agit d'une reliure ordinaire) que des feuillets rongés par les moisissures. Du reste on voit bien, dans le cas de l'Arsenal, que la climatisation n'est pas la panacée et doit être réservée, compte tenu de son coût, aux documents les plus précieux et fragiles.

Concrètement, à Bayonne, nous avons éloigné les rayonnages du mur quasi aveugle (mais sain) qu'ils touchaient presque par leur extrémité et légèrement augmenté l'ouverture des persiennes intérieures, de façon à supprimer les zones de pénombre où se manifestaient sélectivement les moisissures. Pour l'été 93, nous avons fait installer un deuxième vitrage et n'avons pas, à la même date, repéré de moisissures alors que les conditions climatiques sont un peu moins mauvaises que celles de l'été précédent.

Enfin, et comme à toute chose malheur est bon, ce sinistre a fourni l'occasion d'une réflexion sur l'économie des magasins et d'un agencement plus rationnel des collections (entre autres : reclassement par format des fonds anciens : gain de place, correction des déformations).