Du bon usage des BU
Élisabeth Lemau
Anne Kerdraon
Jacqueline Dubois
Dominique Roche
Un séminaire sur la politique documentaire des universités, organisé conjointement et pour la première fois par la conférence des Présidents d'université et l'Association des directeurs de bibliothèques universitaires a eu lieu à Nice les mercredi 20 et jeudi 21 mai 1992. 150 participants ont travaillé parallèlement dans des ateliers organisés autour de quatre thèmes différents : « Le Service commun de documentation » (SCD), « La contractualisation », « Le rôle des bibliothèques dans le cursus universitaire, du 1er cycle à la recherche », « L'informatique et les réseaux ». Les débats étaient introduits dans chaque atelier par de brefs comptes rendus d'expériences menées dans plusieurs universités, à Paris et en province.
Le Service commun de documentation
Cet atelier a étudié les problèmes d'organisation de la documentation à partir de diverses situations présentées par des intervenants directeurs de bibliothèques universitaires ou de SCD, chargés de mission représentant le président d'université ou encore le duo conservateur/vice-président.
Les interventions et le débat ont montré la situation polymorphe des SCD qui sont actuellement à la recherche d'un équilibre. Cette grande diversité reflète les points positifs de leur évolution mais aussi les difficultés de leur réalisation et la recherche de solutions appropriées sur le terrain. Le Service commun de documentation dispose de nombreux atouts :
- ses statuts, qui apportent des armes pour avancer positivement, ne sont pas un but mais un outil et un moyen au service du président et du directeur ;
- sa logique de service commun favorise la recherche d'un large accord avec les interlocuteurs institutionnels ;
- les projets fédérateurs sont l'occasion d'une transformation réelle des structures et d'application des statuts : construction de surfaces documentaires nouvelles (Strasbourg II, bibliothèque des arts), restructuration et schéma directeur d'extension de l'université (Rennes II), projet d'informatisation et mise en place réelle d'un réseau de partenariat enseignants-directeur (bibliothèque universitaire de technologie de Compiègne) ; la réussite de certaines expériences montre l'importance d'un travail en concertation et en bonne intelligence entre un chargé de mission ou un vice-président chargé de la documentation et le directeur et les autres personnels du SCD.
Les autres atouts sont :
- sa qualité de composante à part entière de l'université ;
- le poids de son directeur qui peut être entendu sur tous les problèmes de la documentation dans les trois conseils de l'université où il est invité permanent ou élu ;
- l'existence et le fonctionnement du conseil et des commissions scientifiques consultatives de la documentation.
Les réflexions et les solutions avancées pour le développement de l'université dans son ensemble peuvent être aussi une réponse aux problèmes d'organisation ou de restructuration de la documentation : c'est le cas à Rennes II où la création de pôles documentaires correspond aux pôles géographiques et pédagogiques adoptés par l'université dans le cadre du schéma Université 2 000.
Les difficultés qui ralentissent ou qui s'opposent à la mise en place du SCD sont de différents ordres :
- la multiplicité et l'éloignement des sites (ex. Antilles-Guyane),
- le poids de certaines composantes universitaires comme les laboratoires de recherche, qui ont souvent leur propre logique de développement documentaire,
- la cohabitation de personnels ayant des statuts différents, problème difficile à résoudre pour l'intégration des BUFR (bibliothèque d'unité de formation et de recherche),
- enfin la situation des bibliothèques interuniversitaires, et surtout des BIU parisiennes, complexes et difficiles à gérer.
En conclusion, il apparaît que beaucoup d'obstacles peuvent être levés si une place primordiale est faite à la volonté de négociation et au souci de résoudre non seulement les problèmes techniques mais surtout d'assurer une disponibilité maximale des ressources documentaires aux usagers. En associant pragmatisme sur le terrain et cohérence politique, le SCD devient une logique qui rompt les cloisonnements à l'intérieur comme à l'extérieur de l'université, grâce à la possibilité de signer des conventions avec d'autres partenaires locaux.
La contractualisation
La prise en compte des besoins documentaires dans les contrats d'établissements DPDU (Direction de la programmation et du développement universitaire) et dans les contrats de recherche DRED (Direction de la recherche et des études doctorales) et les résultats de la politique contractuelle ont été analysés à partir des expériences conduites dans trois SCD : Aix-Marseille II, Nantes et Rennes II et dans une BIU, celle de Lille.
Marie-Hélène Bournat d'Aix-Marseille II a exposé l'aspect quantitatif du contrat lié au rattrapage documentaire et a posé la question des critères retenus par le ministère pour l'allocation des moyens. Le contrat, outil de réflexion, de prospective et de dialogue, est-il un instrument d'autonomie ou d'aménagement universitaire ? Michèle Guiot a défendu l'hétérogénéité des réponses du ministère face aux besoins exprimés par les universités et a présenté les résultats de la politique contractuelle à la BU de Nantes dans trois domaines principaux : la rénovation des locaux, l'augmentation des acquisitions et la création de nouveaux services. Annick Niel a exposé la contractualisation à Lille à partir des objectifs quantitatifs et qualitatifs définis par la BIU. A Rennes II 1, l'application du volet documentaire du contrat d'établissement (90-93) a suivi les évolutions de la politique universitaire : modernisation de la gestion, aménagement de l'espace, renforcement pédagogique, politique d'accueil des étudiants. La révision du contrat à mi-parcours (92-93) a pris en compte les avancées significatives dans trois domaines :
- la restructuration documentaire qui avance selon une articulation BU-BUFR et dans le cadre d'un aménagement des espaces documentaires définis dans un schéma directeur de pôles ;
- l'informatisation du SCD,
- une politique d'acquisitions concertées du 1er cycle à la recherche selon des principes élaborés, d'une part par le conseil de la documentation et les commissions consultatives, d'autre part par le conseil scientifique.
A la faveur de ces analyses, Jean-Loup Jolivet, président de l'université du Mans, a orienté le débat sur plusieurs points : la participation des directeurs à l'élaboration des contrats ; la coordination des différents contrats (DPDU, DRED) de façon à aboutir à un schéma stratégique de développement ; les paramètres retenus pour la contractualisation et leurs taux de croissance selon les universités ; le problème des emplois et du personnel ; la restructuration documentaire. Les participants ont unanimement souligné deux manques importants : la question des locaux qui a été défavorable aux bibliothèques dans les contrats et leur rôle dans l'accueil des étudiants qui n'a pas été suffisamment approfondi.
La BU et les études supérieures
Ce troisième atelier a analysé la place de la BU dans le cursus universitaire à partir des expériences de Paris III, Paris VIII, Reims et Valenciennes. Trois aspects importants ont été mis en valeur : la double fonction pédagogique et de recherche des BU ; la formation et l'accueil des utilisateurs ; la place de la BU dans la vie culturelle de l'université.
Un consensus s'est dégagé sur la nécessité de ne pas couper l'enseignement de la recherche et de reconnaître que la bibliothèque doit rester le lieu de rencontre par excellence des différents cycles. Elle doit offrir de l'information de base pour les premières années et favoriser en même temps la conduite de recherches documentaires sur des matériels sophistiqués pour le niveau recherche. C'est un défi lancé en forme de boutade par Bernadette Jullien, directrice de la BU de Nanterre : « Il faut que nous apprenions à gérer à la fois un Fauchon et un Tati de la documentation », a-t-elle dit en sa qualité de rapporteur. Pour relever ce défi, les bibliothécaires ont besoin de compter sur l'appui des enseignants et de se sentir reconnus dans leurs compétences et leurs qualités scientifiques, voire pédagogiques. Une discussion de fond a eu lieu sur la place réelle de la documentation et sur son utilisation au sein de l'université : est-elle ou n'est-elle pas un langage fondamental au cœur de toute mutation intellectuelle et de toute démarche d'enseignement et de recherche ? Est-elle un simple outil d'appoint ou une approche incontournable de tout projet pédagogique et/ou scientifique ? Le débat, assez vif, est resté ouvert.
La formation des utilisateurs a été envisagée sous deux aspects : formation à l'utilisation des bibliothèques et des ressources documentaires et formation plus pointue pour le traitement des besoins de la recherche : méthodologie documentaire et recherche informatisée en ligne et sur CD-ROM.
Cette formation nécessite une mise à disposition de personnels formés : ce qui impose d'abord de reconnaître la compétence spécifique des personnels de bibliothèques ; de favoriser ou de mettre en place des formations de formateurs, moniteurs ou tuteurs étudiants de niveau avancé, capables de transmettre leurs acquis documentaires auprès des jeunes étudiants et d'être des intermédiaires auprès d'eux.
Tous les intervenants sont d'accord pour dire que cette formation requiert la participation, si possible active, de l'enseignant. Même si l'investissement est lourd pour l'établissement, on « récupère la mise » rapidement tant à la banque de prêt qu'au bureau de renseignements.
Enfin cette formation passe aussi par un meilleur accueil et donc par une formation des personnels de la bibliothèque et plus particulièrement des magasiniers.
Lieu d'accueil pour la pédagogie et la recherche, la BU est aussi un lieu culturel et convivial. La discussion, sur ce point, a replacé la BU dans la vie culturelle de l'université en faisant d'elle le lieu idéal pour analyser les problèmes de la vie étudiante, un observatoire de la vie estudiantine.
L'informatique et les réseaux
Le quatrième atelier, sur l'informatique et les réseaux, a permis d'étudier les différents niveaux de réseaux opérationnels ou en cours d'élaboration dans les BU.
Le premier niveau, proprement universitaire, est celui de la constitution du catalogue interne de l'université, dans une fédération de catalogues BU-BUFR. Le deuxième niveau peut aboutir à une collaboration locale BM-BU, comme à Saint-Etienne, avec une mise en valeur de la complémentarité. Le troisième est celui des réseaux nationaux et internationaux et de leur politique de financement.
Un autre aspect important a été abordé sur les catalogues et les sources : le réseau SIBIL, la conversion rétrospective dans OCLC 2, le catalogue collectif cofinancé par la Bibliothèque de France et la DPDU. Le problème du choix des sources se fait en général en fonction du taux de recouvrement du fonds documentaire dans les bases récupérables.
Le débat a porté essentiellement sur la contradiction entre les besoins locaux et les besoins nationaux, voire internationaux. Pour la plupart des universitaires, l'objectif national n'est pas très bien perçu ; ils privilègient avant tout les solutions locales car, pour eux, il est plus urgent de connaître et d'accéder au catalogue et aux ressources locales que de « savoir à Bordeaux ce qui existe à Strasbourg » !
Les bibliothécaires, de leur côté, bien qu'étant convaincus de la nécessité et de l'utilité des objectifs nationaux, doivent néanmoins tenir compte des préoccupations immédiates de l'université s'ils veulent s'assurer de son soutien dans les programmes des bibliothèques.
Le débat général et les conclusions de la journée du 21 mai, après la présentation des travaux des ateliers, ont renforcé les points débattus la veille et se sont orientés plus particulièrement dans deux directions : la formation et les bibliothèques ; les moyens et les contrats.
Michel Bomancin, vice-président de la CPU 3, a souhaité aller au-delà des rapports techniques présentés pour aborder le problème des objectifs pédagogiques et mesurer leur évaluation. L'intervention de France Demichel, sous-directeur de l'enseignement et de la pédagogie à la DESUP (Direction des enseignements supérieurs), a porté sur la mise en place du tutorat, dans le cadre de la rénovation pédagogique, de façon à familiariser le nouvel étudiant avec son nouvel environnement universitaire et à encourager les réflexions préalables à la création de formations par « modules », adaptée à des méthodes pédagogiques et à des supports spécialisés.
Sur les moyens et les contrats, l'intervention de Mr Bessière, adjoint au directeur scientifique de la DRED, a clarifié la procédure d'établissement des contrats quadriennaux de la recherche et des programmes pluriformation. Il a rappelé que le rôle de la DRED n'était pas d'allouer aux bibliothèques un budget documentaire pour les acquisitions de type recherche et a souligné l'articulation des réseaux thématiques nationaux avec les politiques des SCD. Roland Peylet, directeur de la DPDU, a mis l'accent sur l'intérêt de la politique contractuelle différenciée en fonction des établissements et de leurs opérations de restructuration.
Répondant aux souhaits de Michel Bornancin de définir des objectifs de travail pour les futures rencontres, Geneviève Boisard, dans son bilan final, a proposé deux thèmes d'études : les missions des bibliothèques et l'évaluation des services ; la coopération à tous les niveaux avec des exemples d'expériences étrangères en parallèle. Dans sa conclusion sur l'intérêt de cette première rencontre entre les présidents d'université et les directeurs des BU, et la présidente de l'ADBU a souligné que les journées de Nice ont permis de « créer des liens, de mettre en commun des bilans de situations diverses, de faire prendre conscience de l'apport des bibliothèques, "terreau" qui nourrit le travail des étudiants », de poser les premisses d'une politique de documentation et de développement universitaire dans lequel la bibliothèque trouvera toute sa valeur d'outil pédagogique et culturel