OPAC ou à la Trinité : l'indispensable langage naturel

Entretien avec Martine Blanc-Montmayeur

Martine Blanc-Montmayeur

L'OPAC de la bibliothèque municipale de Valence est consultable sur place, mais aussi de l'extérieur, grâce au Minitel. Très apprécié par le public, il aboutit cependant à des résultats peu satisfaisants, notamment en recherche par sujets (la plus utilisée par le public). Le système statistique mis en service pendant quelques mois a permis de mettre le doigt sur les lacunes d'un langage d'interrogation très cadré et trop éloigné du langage naturel. L'emploi d'un langage proche du langage naturel semble cependant, à ce jour, incompatible avec les petits systèmes utilisés par les collectivités de taille moyenne, en raison de ses exigences informatiques. Il implique également une totale réorganisation du travail à l'intérieur de l'établissement, avec l'alourdissement des tâches de mise à jour des fichiers et des collections.

The OPAC of the municipal library of Valence is searchable both online and from outside through the Minitel. Although it is much appreciated by the public, the results are not entirely satisfactory, above all in subject retrieval (which is mostly used). The statistical system that had been operating for several months gave an opportunity to detect the lacks of a search language, too coded and too distant from the natural language. However, because of its technical requirements, a language similar to the natural language does not, to date, fit the small systems which are being used by the middle size communities. It also implies a general reorganization of the tasks inside the library, with the increased updating of the files and collections.

Très apprécié des usagers mais peu performant : c'est le verdict qui ressort un an après la mise en service au public du catalogue informatisé de la bibliothèque municipale de Valence. Principal incriminé : le langage d'interrogation, trop éloigné du langage naturel. Mais qui dit langage naturel, dit gonflement immodéré du logiciel, des fichiers... L'OPAC, ou catalogue public en ligne, serait-il en définitive un produit de luxe, réservé aux gros établissements ?

BBF. La Bibliothèque municipale de Valence offre depuis plus d'un an l'accès direct à son catalogue informatisé. Quels avantages cela représente-t-il pour les usagers ?

M. BLANC-MONTMAYEUR. Les terminaux donnent accès aux collections de l'ensemble du réseau, à savoir la centrale et les cinq annexes. C'est un avantage très appréciable par rapport aux anciens fichiers papier, et les usagers l'ont fort bien compris. La consultation des fichiers informatisés permet, de plus, de connaître la disponibilité des documents dans les différentes bibliothèques du réseau, ce qui entraîne une plus grande circulation des usagers et des documents.

Ces deux services sont importants ; ils le sont suffisamment pour faire oublier les temps de réponse tout à fait inacceptables du système à l'heure actuelle - jusqu'à deux minutes d'attente !

BBF. Vous avez opté, chaque fois que c'était possible, pour des écrans Minitel. Quels en sont les points forts ?

MBM. Un faible coût - nettement inférieur à celui des terminaux Intertechnique -, auquel s'ajoute naturellement la possibilité, pour toute personne disposant d'un Minitel, de consulter le catalogue de l'extérieur. En outre, le Minitel exerce un certain attrait sur le public, par son aspect codé. La familiarité de nombre d'usagers - et notamment de jeunes - avec le Minitel et ses services Télétel pouvait générer certaines confusions. En réalité, il ne semble y avoir eu que très peu d'interrogations 36.15 parmi les recherches non abouties - en tous cas à la Centrale ; les choses auraient peut-être été différentes dans certaines annexes très populaires.

Le temps a sans aucun doute joué pour nous. Les usagers contemplaient en effet depuis deux ans, sans y avoir accès, les écrans dédiés utilisés par le personnel pour le prêt. En outre, dans certaines annexes, les écrans Minitel ont été installés plus d'un mois avant leur mise en service. Les usagers ont pu se familiariser avec l'écran, avec les touches, de sorte que lors du branchement au réseau, la phase d'apprentissage critique était déjà dépassée. Le public a très vite compris qu'il s'agissait de Minitels internes, ce qui n'était tout de même pas si évident !

BBF. Les usagers recourent-ils facilement à l'interrogation du catalogue ?

MBM. La localisation de l'écran apparaît souvent déterminante. Il doit être nettement mis à la disposition du public : installé sur la banque de prêt, il ne sera que fort peu consulté. L'usager doit se sentir tout à fait libre, tout en ayant la possibilité de se faire aider par le personnel.

En règle générale, l'appareil ne fait pas peur. Au contraire, il incite à la recherche documentaire béaucoup de gens qui n'en avaient jamais fait jusque-là, et n'en ont absolument pas les mécanismes intellectuels.

BBF. Ce qui doit poser des problèmes de méthode...

MBM. Les usagers peu sensibilisés à la recherche documentaire effectuent dans un premier temps une sorte de parcours d'obstacle visant à vérifier si tel ouvrage vu en rayon est bien signalé dans le fichier informatisé. Et ce n'est qu'après avoir fait cette vérification qu'ils peuvent appréhender l'étape suivante, à savoir rechercher dans le fichier un ouvrage qu'ils ne voient pas. On retrouve là les comportements ludiques mis en évidence à la Médiathèque de la Villette 1. Mais l'enjeu dépasse celui d'un jeu.

BBF. Quel est le type de recherche le plus utilisé ?

MBM. C'est indéniablement la recherche par sujets, qui est aussi malheureusement la plus difficile à mener 2. Le taux de recherches abouties - c'est-à-dire se soldant par l'affichage d'au moins une notice - y est très faible (23 % seulement) ; de plus, rien n'indique que ces réponses soient pertinentes. J'avoue que je suis de plus en plus pessimiste devant les limites de l'interrogation sur de petits systèmes tels que le nôtre. Plusieurs interrogations sont nécessaires pour aboutir (4 ou 5 en moyenne). Les usagers procèdent souvent par tâtonnements et sont extrêmement persévérants, effectuant jusqu'à dix, voire quinze interrogations... Ni les temps de réponse, ni le peu de réponses abouties ne semblent, au moins pour l'instant, les rebuter. Mais jusqu'à quand ?

BBF. Quelles sont les principales sources d'erreur ?

Les confusions entre types de recherches (sujets, auteurs ou titres) sont très fréquentes. La refonte des trois fichiers auteurs-titres-sujets en un seul serait souhaitable, mais pose un problème de taille-mémoire. On peut cependant envisager dans un premier temps le passage automatique d'un fichier à l'autre en cas de recherche infructueuse. Restent les nombreuses erreurs dues aux fautes d'orthographe - ou de frappe. Le logiciel OPSYS propose la troncature (trois premières lettres d'un mot) pour la recherche par auteur ou par mot du titre. Cette facilité devrait limiter les bruits dus à ce type d'erreur ; elle est cependant insuffisante 3, et surtout très peu utilisée par les usagers. Par souci de précision, beaucoup préfèrent frapper un mot entier - voire le prénom dans la recherche par auteur - multipliant ainsi les risques d'erreur. Lorsqu'ils n'obtiennent aucune réponse, soit ils persévèrent avec la louable intention de comprendre le fonctionnement du système - s'éloignant le plus souvent davantage du concept général qu'ils auraient une chance de trouver -, soit ils concluent à l'absence de références, soit ils se tournent vers le bibliothécaire...

BBF. Les principes d'interrogation sont cependant exposés en début d'interrogation...

MBM. Encore faudrait-il prendre une recherche à son début, et non rentrer directement dans le vif de l'interrogation à partir de la page écran abandonnée par un précédent utilisateur, comme c'est très souvent le cas.

La situation est encore plus complexe dans le cas d'une recherche par sujets, qui s'effectue sur un ou plusieurs mots. Lequel choisir ? Il faudrait établir toute une série de renvois, ce qui est extrêmement lourd. J'ai longtemps cru dans la vertu des listes de mots matières. J'avoue que l'interrogation informatisée m'y fait moins croire ! Pour que les gens trouvent ce qu'ils cherchent, il faudrait que les fichiers fonctionnent non plus comme des thésaurus plus ou moins bien faits, mais comme de véritables banques de données, permettant la recherche multicritères. Or seuls les gros systèmes en sont capables. Il faudrait de même que les usagers puissent utiliser un langage d'interrogation très proche du langage naturel. Mais les exigences informatiques du langage naturel semblent démesurées ! Peut-on évoluer vers un langage le plus naturel possible, tout en gardant des tailles de mémoire et des capacités machine supportables par de petites collectivités ? Car qui dit langage naturel dit sélection par le système de mots signifiants, simplification des pluriels, renvois multiples...

BBF. C'est un problème à soumettre aux informaticiens...

MBM. Pas uniquement. Je suis très inquiète des gonflements de logiciel voulus par les bibliothécaires. Ils sont utiles, mais entraînent des conséquences en taille-mémoire, en coût et en temps de réponse, que nous ne maîtrisons pas. En outre, l'établissement de renvois nécessite un gros investissement en temps et en personnel. Cela implique la mise en place d'une cellule de catalogage matières, et donc une nouvelle organisation du travail. A Valence, deux personnes s'occupent des renvois depuis un an. Mais elles n'ont pu effectuer que des corrections ! Or d'autres exigences apparaissent à côté de la propreté du catalogage : par exemple celle qui concerne l'état des collections. Tel ouvrage est affiché comme disponible, mais disparu en rayon. Une fois de plus, l'informatique sert de révélateur, faisant par exemple apparaître le désordre des collections.

BBF. Cette surcharge de travail n'est-elle pas compensée par des services nouveaux rendus aux usagers comme aux professionnels ?

MBM. Effectivement. L'interrogation pourrait ainsi être un bon moyen de mise à jour des collections. Encore faudrait-il disposer d'une cellule d'action immédiate. L'examen des réponses non abouties devrait également permettre de déceler certaines lacunes dans les collections et aider à mieux orienter les acquisitions. Mais elle demande une certaine disponibilité... Même chose pour les réservations à distance, qui impliquent la pratique d'une véritable gestion des stocks, pour l'instant absente de la plupart des bibliothèques.

Les possibilités sont nombreuses, mais elles ont leur prix. La mise en service de l'OPAC nous a permis d'entrevoir tout ce qui pourrait être fait, et par là-même de mieux mesurer l'indigence et l'insuffisance des services actuellement offerts. Pour améliorer les résultats, il faudrait gonfler fichiers et logiciel, ce qui n'est pas compatible avec les capacités limitées des petits systèmes des collectivités territoriales. Les bibliothèques seraient-elles condamnées à ne pas pouvoir offrir ce service ? Les usagers semblent fort intéressés par le nouveau système. Leur impatience de voir la discothèque s'informatiser à son tour en est une preuve suffisante. Il serait dommage de les décevoir !

janvier 1989

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La bibliothèque municipale de Valence

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Interrogations privilégiées par les usagers (février-mars 1988)

  1. (retour)↑  Ou encore à la Bibliothèque publique d'information du Centre Georges Pompidou : voir dans ce même dossier l'article de Joëlle LE MAREC, « Les OPACs sont-ils opaques ? ».
  2. (retour)↑  Cf. encadré.
  3. (retour)↑  Des techniques de recherche automatique des formes avoisinantes existent déjà, qui pourraient efficacement compléter ce dispositif. Voir dans ce méme dossier l'article de Pierre LE LOARER, « Transparence et opacité des catalogues informatisés », note 25.