Jacques Archimbaud (1930-1978)
Marie-Thérèse Sart
Raymond Perrin
La Bibliothèque de Clermont est en deuil et, avec elle, toutes les Bibliothèques universitaires, car la disparition d'une personnalité aussi remarquable que celle de Jacques Archimbaud ne peut laisser indifférents tous ceux qui ont approché sa personne ou ses œuvres.
J'ai eu, quant à moi, le privilège de faire sa connaissance il y a plus de 30 ans, alors que nous suivions ensemble les cours de philosophie de la Faculté des lettres de Clermont. Nous ne savions pas alors, que cette entraide et cette camaraderie qui étaient nôtres, le choix d'une même profession nous amènerait à les poursuivre durant trois décennies.
Déjà à cette époque on pouvait discerner chez le très jeune homme les qualités de réalisme, d'ordre et de méthode qui ont marqué toute sa carrière. Le goût de l'abstraction qui l'avait poussé vers des études de philosophie n'excluait pas un sens pratique très développé, qualité bien rare chez les étudiants en philosophie. Ses notes de cours, qu'il était toujours disposé à prêter à qui en avait besoin, étaient aussi claires et précises que son écriture.
Plus tard, à la Bibliothèque municipale et universitaire de Clermont, j'ai retrouvé, chez le collègue, la même disponibilité généreuse que chez mon camarade d'études. Réalisme, simplicité, désintéressement sont, je crois, les qualités les plus caractéristiques de cette personnalité, exceptionnelle également par son intelligence aiguë des problèmes documentaires de notre temps.
Lorsque sa notoriété de bibliographe et ses qualités d'organisateur et d'animateur l'eurent signalé à l'attention de la Direction des bibliothèques, des promotions importantes lui furent proposées à plusieurs reprises. Il les refusa, non par crainte des responsabilités, mais parce qu'il ne voulait pas sacrifier son œuvre bibliographique à des tâches administratives trop absorbantes. « J'ai choisi de réaliser une œuvre me confiat-il un jour, pas de faire une carrière ». Et il avait trouvé auprès de Mme Archimbaud une compréhension totale de son idéal.
Son travail de bibliographe était parfaitement intégré à son activité de responsable d'une bibliothèque et loin de nuire à celle-ci, il la vivifiait. Il était pour tous ceux qui travaillaient près de lui et tout d'abord pour moi-même, un conseil et un appui. M. Perrin qui a collaboré quotidiennement avec lui durant 10 ans parlera mieux que moi de son travail de bibliographe médical. Il évoquera également ses talents d'artiste. Mais je ne voudrais pas manquer de mentionner ici l'attention qu'il a consacrée à l'Auvergne et à ses artistes, en préfaçant des rééditions de recueils de gravures du XIXe siècle et en collaborant grâce à son talent de photographe à « l'Inventaire des monuments et objets historiques de la Région Auvergne » pour le canton de Tauves.
Tauves est un petit pays pittoresque et charmant, berceau de la famille de sa femme, où il aimait à se reposer. Au cours de ses promenades quotidiennes, un livre sous le bras et l'appareil en bandoulière, il allait photographier la croix de pierre plantée à un carrefour, une porte sculptée, une statue, un abreuvoir creusé dans la lave...
Mais Jacques Archimbaud n'était pas seulement un intellectuel et un artiste, c'était aussi un homme de cœur, sensible et attentif à toutes les misères humaines, n'hésitant pas à s'engager dans des œuvres difficiles. Ainsi, pendant de longues années, fut-il visiteur des prisons et aida-t-il de multiples façons les villages d'enfants SOS. Donner une présence fraternelle à ceux que leurs erreurs ont retranché de la vie, contribuer à rendre à des frères et sœurs qui ont perdu leurs parents un foyer qui les regroupe, était pour lui une manière de vivre l'Évangile auquel il croyait. Cette amitié délicate pour les êtres, Jacques Archimbaud savait la témoigner dans la vie de chaque jour : tous ses collègues et amis garderont très vivant le souvenir de sa gentillesse, de sa disponibilité, de son humour bienveillant.
Marie-Thérèse Sart
Né le 27 juin 1930 à Clermont-Ferrand, Jacques Archimbaud y est décédé le 16 décembre 1978 à la suite d'une longue et douloureuse maladie.
En nous faisant comprendre combien sa vie devait être brève, sa mort nous a livré le secret de son activité débordante. On ne s'étonnera plus de l'ingéniosité ni du zèle avec lesquels il accomplissait son métier. Tous les bibliothécaires sont désormais les héritiers de son exemple et de son œuvre.
Bibliothécaire, il le fut entièrement, avec élégance et avec bonheur. Après des études de philosophie il était admis au Diplôme supérieur de bibliothécaire en 1954. Puis il prenait son premier poste à la Section médecine-pharmacie de Lyon. En 1956 il devenait conservateur de la Section médecine-pharmacie de Clermont-Ferrand et devait le rester pendant vingt-deux ans.
Dès les premières années de sa carrière s'affirme la personnalité du bibliothécaire qu'il veut être. A l'amour des documents il ajoute la passion de la bibliographie créatrice. En 1956 il fonde Presse internationale ORL qu'il devait continuer pendant vingt ans avec l'appui des Laboratoires Chibret et, à partir de 1963, le support des Annales d'Otolaryngologie.
Dès le début de sa carrière également il assume sa profession comme une pédagogie de la bibliographie et de la documentation. En 1957 le Conseil de la Faculté de médecine de Clermont-Ferrand lui adresse officiellement des félicitations et des encouragements pour son enseignement de la bibliographie aux étudiants. Vingt années plus tard Jacques Archimbaud évoquait encore ce souvenir avec la même émotion que dut ressentir le jeune conservateur de 1957. Il n'en éprouvait aucune vanité personnelle mais il considérait ces compliments comme un juste hommage à son métier de bibliothécaire.
Il prépare ensuite, sous la direction de Mlle Chevalier, la construction de sa nouvelle bibliothèque intégrée aux nouveaux bâtiments de la Faculté de médecine et de pharmacie. Il conçoit lui-même toute son organisation, son agencement et son classement. Pendant onze ans, avec des moyens budgétaires de plus en plus limités, il allait la faire rayonner à l'échelle nationale et internationale.
Il l'a présentée en 1968 dans un article du Bulletin des bibliothèques de France 1. Parmi les nombreuses particularités de cette bibliothèque, celle qui retient le plus l'attention est la conception des salles spécialisées. Au lieu de répartir les documents suivant leur nature : livres, périodiques, bibliographies... il avait tenu à les regrouper à l'intérieur de chaque discipline : traités, ouvrages de référence, monographies, publications en série, bibliographies spécialisées et années récentes des périodiques. Ainsi se trouvent matérialisées sur les rayons les différentes étapes d'une recherche bibliographique. Jusque dans son organisation matérielle, une bibliothèque était, pour Jacques Archimbaud, une institution pédagogique.
Il tenait à ce que l'entrée des salles de lecture soit avenante et éducatrice. Elle était agrémentée en permanence d'affiches évoquant les principaux événements culturels parisiens ou locaux. Des vitrines et des panneaux lui permettaient de présenter des expositions constamment renouvelées. Parmi les plus remarquables, on peut citer : 5 000 ans d'écriture au service de la pensée médicale, Pascal et ses médecins, Gabriel Roux précurseur de la pénicilline.
En 1969, il était en train de préparer son œuvre maîtresse Bibliographie et recherche documentaire en médecine et pharmacie. C'était un émerveillement de le voir aller et venir dans la bibliothèque de son pas saccadé et résolu, prenant un « Chemical abstracts » par-ci, un « Excerpta medica » ou un Bulletin signalétique par-là, se faisant traduire littéralement un passage d'une introduction, feuilletant pour trouver l'exemple le plus typique, décorticant une page de l'« Index medicus » à l'aide de numéros en bleu, de flèches en rouge et d'explications en noir pour la montrer à un lecteur invisible mais présent. Pour un conservateur débutant, le spectacle de cette activité rayonnante et heureuse était une saisissante image du triangle bibliothéconomique : un bibliothécaire, des documents, un lecteur.
Tout a été dit sur Bibliographie et recherche documentaire. Ce que l'on n'a peut-être pas assez souligné, c'est l'ingéniosité pédagogique de la méthode de recherche proposée. Cette méthode est une véritable maïeutique permettant à l'étudiant d'apprendre progressivement le sujet qu'il étudie en lui faisant découvrir toutes les références utiles au moment où il est en mesure de les assimiler. Les répertoires bibliographiques évoluent très rapidement ainsi que les techniques documentaires, mais cette méthode a une valeur durable.
Afin de soustraire la partie analytique de son ouvrage à l'usure du temps, il la continua par la publication en série Actualités bibliographiques. Au mois d'octobre dernier il eut encore la force d'organiser la diffusion de ses exemplaires d'auteurs de la quatrième série. La cinquième est restée en chantier dans son bureau et à son domicile.
Il réalisa son Introduction à la bibliographie dans les sciences biomédicales afin, disait-il, qu'elle soit « distribuée comme des petits pains ». Elle est destinée à apporter à l'étudiant un guide bibliographique simple et pratique.
Après avoir mis au point une méthode de recherche bibliographique, il imagina une technique d'indexation des documents qui est une synthèse très originale du système KWIC, des systèmes d'indexation hiérarchisée et du catalogage matières traditionnel. Appliquée avec discernement par ses collaborateurs et améliorée d'année en année, elle devait aboutir aux Thésindex médical et aux Thésindex dentaire. Avec une extraordinaire économie de moyens elle a permis à la Section médecine de Clermont-Ferrand de tenir à jour des fichiers de toutes les thèses françaises de médecine et d'odontologie soutenues depuis 1968 et de les publier depuis 1974 au rythme de deux volumes annuels.
Quand il vit qu'un arbre avait poussé là où il avait semé une graine, il assuma son nouveau rôle de jardinier avec toute l'autorité d'un directeur et l'affection d'un père. En 1976 les index furent gravement menacés par la nouvelle réglementation sur le dépôt des thèses. Pour les sauver et préserver les thèses de l'anéantissement bibliographique, il créa le Fonds national des thèses du domaine médical (FNT). Son autorité morale et sa foi avaient réussi à infléchir la lettre d'un arrêté ministériel pour en préserver l'esprit.
La création des thèses de doctorat en Chirurgie dentaire avait eu lieu en 1973 dans une totale anarchie documentaire, sans que rien n'ait été prévu pour leur assise bibliographique, ni pour leur dépôt dans les bibliothèques, ni pour leur traitement documentaire. Il organisa une réunion des responsables de la documentation des UER dentaires, définit une présentation normalisée de ces thèses, notamment de la quatrième page de couverture, et obtint un exemplaire pour la réalisation des index et pour un « prêt opérationnel ».
L'histoire des catalogues annuels et quinquennaux des thèses de pharmacie est plus lointaine mais elle illustre bien son talent d'organisateur et son habileté à nouer des contacts féconds. En 1968 venait de paraître le Catalogue des thèses soutenues devant la faculté de pharmacie de Paris de 1960 à 1967. Il réunit aussitôt ses collaborateurs de l'époque et leur dit : « Nous allons faire la même chose pour les thèses de province ». Il trouva un éditeur dans la revue Produits et problèmes pharmaceutiques. Profitant de l'expérience acquise et des contacts noués, il poursuivit ce travail par des catalogues annuels intégrant, cette fois, les thèses de pharmacie de Paris. Quand la revue Produits et problèmes pharmaceutiques disparut, il trouva aussitôt un autre support dans la revue Labo-pharma qui publie les catalogues annuels depuis 1974 et va éditer prochainement le catalogue quinquennal 1973-1977.
Ainsi, la Section médecine-pharmacie-odontologie de Clermont-Ferrand est-elle devenue un centre de traitement bibliographique de toutes les thèses françaises de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de chirurgie dentaire. Le rapport sur les thèses que Jacques Archimbaud avait brillamment présenté en 1968 au Congrès de l'ABF ne pouvait trouver un meilleur terrain que sa bibliothèque pour germer en réalisations utiles.
En 1969 il fut chargé par la Direction des bibliothèques de mener une expérience pilote de création d'une antenne locale pour l'utilisation décentralisée du système automatisé MEDLARS que l'INSERM venait d'implanter en France. Il eut la sagesse de ne pas attribuer à cette expérience une importance qui n'aurait pu que flatter un amour propre de néophyte. Ayant constaté que les demandes étaient peu nombreuses et que le système ne répondait pas exactement aux besoins les plus courants d'une Section médecine, il ne s'obstina pas à maintenir l'antenne MEDLARS en activité forcée.
Il songeait avant tout à répondre le plus simplement et le plus économiquement possible aux besoins les plus quotidiens du plus grand nombre de ses usagers. Il organisa dans sa bibliothèque une diffusion sélective de l'information en assurant aux enseignants et chercheurs un service de photocopies de sommaires et de prospectus d'ouvrages nouveaux que son maigre budget ne lui permettait pas d'acheter. Il créa un fichier de dépouillement des questions d'internat et le publia d'abord dans les Cahiers médicaux lyonnais puis dans la Revue d'internat. L'utilisation intensive de ce fichier par les étudiants lui apporta la preuve que cette réalisation était utile donc bonne.
Le fichier ISIS (Index signalétique pour une information par sujets) fut créé en 1970. Il est né de la rencontre d'un besoin et d'une technique. Jacques Archimbaud s'était aperçu que les répertoires bibliographiques répondaient surtout aux besoins des spécialistes et des chercheurs mais que rien n'existait pour faciliter le travail d'information et de documentation de l'étudiant, du praticien et de l'enseignant. Il disposait d'une technique d'indexation qui commençait à faire les preuves de son efficacité pour les thèses. Avec son équipe il se mit donc à indexer les articles des périodiques médicaux français ou de langue française de niveau général.
ISIS devait donner naissance à ISIDOR (Index signalétique pour une information dentaire d'orientation rapide) et à PHARMADOC, ainsi qu'à des fichiers semblables à Nancy et à Reims et, peut-être, bientôt, à Angers et à Rennes. Pour cette nombreuse descendance Jacques Archimbaud était un grand-père enchanté et discret.
Il n'a pas pu suivre l'expérience de connexion de sa bibliothèque aux réseaux documentaires par terminal d'ordinateur. Son exemple et ses réalisations bibliographiques, en montrant la mission originale et créatrice d'une Section médecine, ouvrent la voie à une fructueuse complémentarité entre la « télématique» et les fichiers artisanaux.
Au début de l'année 1977 il avait eu un emploi du temps particulièrement chargé. Il consolidait l'organisation du FNT, il présidait le groupe de travail sur les bibliothèques médicales, il participait aux travaux du BNIST sur la formation bibliographique des usagers, il animait et représentait le groupe Auvergne de l'ADBS dont il était le délégué régional. Le mois de mai se passa dans un continuel va-et-vient entre Clermont-Ferrand et Paris.
Au retour de l'un de ces voyages nous l'avons découvert blessé de s'être vu refuser une subvention pour son enseignement bibliographique. Il ne se résigna pas devant cet échec ; mais ce fut son dernier combat en faveur de l'enseignement bibliographique. Peu de temps après il commença d'être malade et ne devait plus retrouver la santé.
Jacques Archimbaud fut bibliothécaire et bibliothécaire médical avec une compétence et un enthousiasme inégalés. C'est ainsi qu'il sut mériter l'estime de tous les spécialistes et praticiens des disciplines médicales, pharmaceutiques et odontologiques. Lauréat de l'Académie de médecine (prix Jansen, 1973), il était justement fier d'un titre qui honorait sa profession. Sa notoriété et son ardeur créatrice l'amenèrent tout naturellement à collaborer aux principaux ouvrages de base de la documentation médicale : le CANDO du Dr Chevalier, le Dictionnaire français de médecine et de biologie du Dr Manuila, le Guide pratique des études médicales du Dr Heran.
Il accomplissait son métier avec le génie d'un artisan. Dans les problèmes les plus complexes, il savait toujours trouver la solution pratique. Il ne se posait de questions qu'en les résolvant avec le pragmatisme et la « roublardise » d'un authentique Auvergnat. Il fut un anti-technocrate. Il l'était à un point tel que jamais le mot de « technocrate », si banalisé, n'apparaissait dans son vocabulaire. C'était sa façon d'appliquer la consigne de Saint-Paul aux Corinthiens : « Que le mal ne soit même pas sur vos lèvres ».
Il fut aussi un artiste. Il excellait dans le domaine de la peinture qu'il pratiquait lui-même avec talent. Il avait entrepris de réaliser à sa bibliothèque une série d'expositions de travaux de peintres qu'il comptait parmi ses relations et ses amis. Lorsqu'il avait l'occasion de rencontrer un confrère artiste, le temps suspendait son vol : il était heureux et bavard comme un enfant dans une communion et un dialogue interminables.
Il écrivit une série d'articles sur Beethoven. Comme ce grand musicien, il était atteint de surdité, une surdité légère que beaucoup ignoraient mais qui le handicapait, notamment dans les réunions publiques. Elle contribuait à sa personnalité sensible et profonde et donnait à son visage une légère tension qui était de l'attention.
Il était capable de captiver un amphithéâtre d'étudiants en lui parlant de bibliographie. Le timbre de sa voix était un peu frêle, mais comme il parlait avec compétence, conviction et clarté, il forçait l'attention des plus sceptiques. Son enseignement était en constante évolution. Après les cours devant un vaste auditoire il imagina un enseignement par petits groupes d'une quinzaine d'étudiants, assorti de travaux pratiques dans les salles de la bibliothèque. Sa dernière idée fut de réaliser une présentation audiovisuelle de la bibliographie et des principaux répertoires. Il n'eut pas le temps de la réaliser.
Sa notoriété lui attirait de nombreuses demandes de recherches bibliographiques ou de conseils pour l'organisation de services de documentation. Il considérait les premières comme la rançon de son succès et les confiait à ses collaborateurs pour leur laisser le plaisir de les résoudre ; mais il était toujours disponible pour conseiller un collègue dans l'embarras.
Par amour de sa bibliothèque, de son enseignement et de ses travaux bibliographiques il refusa les plus brillantes promotions qui lui furent proposées. Pour ses supérieurs hiérarchiques comme pour l'administration centrale il n'en était pas moins un conseiller très écouté, car sa modestie n'avait d'égales que sa compétence et sa clairvoyance.
Il recevait de nombreux stagiaires à sa bibliothèque. En leur montrant simplement ce qu'elle était et ce qu'elle faisait, il leur communiquait sa foi ingénieuse. Ils avaient visité bien des bibliothèques plus remarquables techniquement que ce qu'ils voyaient. Ils avaient connu bien des conservateurs qui croyaient autant à leur métier. Mais la coïncidence exceptionnelle d'une ingéniosité aux mille facettes avec un grand enthousiasme était pour eux une leçon inoubliable.
Qu'il s'agisse de l'enseignement bibliographique, de l'activité documentaire d'une Section médecine, d'un catalogage centralisé et efficace des thèses, de la place d'une BU dans la diffusion sélective de l'information, il fut un initiateur et un précurseur. Alors que la profession en était aux spéculations préliminaires, il était déjà dans les réalisations pratiques depuis cinq ou dix années.
Rarement un bibliothécaire eut parmi ses collègues autant d'admirateurs et autant d'amis. Sa modestie et son désintéressement ont suffi à désarmer les réactions d'envie. Ce n'est pas le moindre de ses mérites que d'avoir su se faire pardonner par ses collègues de paraître meilleur que beaucoup.
Il ne savait ni mépriser, ni riposter, ni critiquer. Il avait l'obstination des faits ; mais il était tellement simple et sensible qu'il avait besoin d'être soutenu. Il a mérité tous les soutiens fidèles et amicaux qu'il a rencontrés aux différentes étapes de sa carrière.
L'étendue de sa culture surprenait les interlocuteurs qui le rencontraient pour la première fois. Ceux qui le connaissaient bien étaient surtout frappés par la qualité de son savoir. C'était un savoir qui n'offensait pas mais qui encourageait à connaître. A son contact on ne pouvait que ressentir l'invitation socratique : « Connais-toi toi-même » ou bien « Sois toi-même ».
A l'égard de ses subordonnés il était un chef attentif. Ses directives portaient toujours la signature de l'élégance intellectuelle avec laquelle il examinait chaque question dans tous ses détails pratiques. Il s'ingéniait à confier à chacun le travail qui convenait le mieux à chaque personnalité et savait respecter chaque personnalité dans sa manière de travailler. Il ne laissait passer aucune occasion de fêter avec son personnel un événement heureux ou de témoigner sa sympathie.
Il était profondément bon et humain et manifestait une amitié fidèle et active envers l'œuvre des Villages d'enfants SOS de France. Conformément au souhait exprimé par son épouse, c'est aux Villages d'enfants que fut versée la plus grande partie de la somme collectée à la BIU de Clermont-Ferrand à l'occasion de son décès.
La dernière visite qu'il fit à sa bibliothèque remonte au mois de juin 1978, à l'occasion du récolement. Il avait revêtu sa blouse blanche comme pour un jour de travail ordinaire. Il paraissait plus lent et moins proche qu'à l'accoutumée, légèrement soucieux, comme si la résignation devant une issue fatale l'empêchait de montrer le plaisir qu'il éprouvait à revoir sa bibliothèque. Il put constater que les nouveaux fichiers ISIS avaient été mis en place et que les fichiers de thèses avaient été réorganisés. Le personnel de la bibliothèque ne devait plus le revoir. Ainsi tous ont-ils pu garder de lui une image intacte.
Il a quitté sa bibliothèque tout simplement sans lui dire adieu ni au revoir, comme s'il devait revenir bientôt. Sa foi en elle était si grande que son esprit ne l'a jamais quittée. A plusieurs reprises il eut même la sublime délicatesse de s'excuser du surcroît de travail que nous occasionnait sa longue absence.
Il a vécu sa douloureuse maladie entouré des soins d'une épouse admirable qui, avec la complicité de ses sœurs, l'accompagna vers sa mort comme une mère prépare un enfant à naître ; tandis que lui-même préparait ses plus proches collaborateurs à continuer de travailler sans lui.
La nouvelle de sa mort a répandu une réelle et profonde consternation. A tous ceux qui n'ont pu être les témoins du courage de Mme Archimbaud en cette circonstance, nous voudrions dire combien il serait vain de s'attarder dans la tristesse.
L'œuvre pédagogique et bibliographique de Jacques Archimbaud présente une qualité exceptionnelle et inaltérable : celle de n'avoir rien de définitif mais d'être un perpétuel commencement. Tout en elle n'est qu'une invitation à prendre ses idées et ses méthodes pour les faire fructifier dans les sillons qu'il a tracés.
L'année dernière, alors qu'il ressentait déjà les premiers signes de la terrible maladie qui devait l'emporter, il écrivait en préfaçant le Thésindex médical 1976-1977 : « Tout laisse à penser que ce travail pourra être poursuivi ».
Il n'y a rien à ajouter à la modestie et à la simplicité de ce dernier message. Il suffit de l'écouter en s'efforçant de le suivre.
Raymond Perrin