Colloque de Liège
Liège, 20-21 octobre 1965
Des professeurs d'université et des bibliothécaires se sont réunis en 1965 à Genève et à Liège. Le premier colloque portait sur trois thèmes principaux : l'évolution des structures des bibliothèques, les politiques d'acquisition, les moyens de diffusion. Le second a traité des problèmes posés aux responsables des bibliothèques universitaires par l'explosion démographique et l'accroissement de l'édition
L'Université de Liège, à l'étroit dans ses anciens locaux, doit s'installer à la périphérie de la ville, dans le domaine du Sart Tilman. Les facultés des sciences, de médecine et des sciences appliquées seront les premières à être transférées, c'est pourquoi la Bibliothèque de l'Université vient d'inaugurer une section où sera rassemblé l'ensemble des collections relevant de ces disciplines.
A cette occasion, la Bibliothèque a organisé, les 20 et 21 octobre 1965, un colloque placé sous le patronage de l'Université de Liège et de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires. Le thème de discussion choisi pour ce colloque était « les bibliothèques universitaires devant l'explosion démographique et l'accroissement de l'édition ».
La présidence de cette réunion était assurée par M. Liebaers, conservateur en chef de la Bibliothèque royale de Belgique. Une centaine de personnes y participaient, et, si la plupart d'entre elles étaient des bibliothécaires belges, il fallait remarquer la présence de nombreux professeurs de l'Université qui témoignaient de l'importance du sujet débattu. Mme Gobeaux-Thonet, bibliothécaire en chef de l'Université de Liège, s'était chargée de l'organisation de ces journées. Nous ne relaterons pas ici les diverses visites qui avaient été prévues à l'intention des congressistes, nous ne rendrons compte que des séances de travail 1.
Le colloque était conçu essentiellement comme une confrontation des problèmes posés dans divers pays par l'expansion des bibliothèques, et des solutions qui y ont été apportées jusqu'à présent. Six conférenciers avaient été invités à animer les débats : Mme G. von Busse, Bibliotheksreferat à la « Deutsche Forschungsgemeinschaft », M. A. Chonez, chef de la Section technique documentation au Service central de documentation du Commissariat à l'énergie atomique, M. J. R. de Groot, directeur de la Bibliothèque de l'Université de Leyde, M. K. Garside, directeur de la Bibliothèque du « King's college » de Londres, M. G. Lohse, directeur de la Bibliothèque de l'Université technique d'Aix-la-Chapelle et M. P. Poindron, inpecteur général des bibliothèques, adjoint au Directeur des bibliothèques et de la lecture publique.
Après les allocutions d'ouverture et, en particulier, celle de M. Liebaers, M. Poindron prit la parole pour traiter des « Bibliothèques universitaires françaises et de la politique de la Direction des bibliothèques ». Il n'était pas inutile, devant un public étranger, de rappeler quelques notions concernant l'organisation des universités et des bibliothèques en France, nos structures administratives hiérarchisées étant bien différentes de l'indépendance relative dont jouissent la plupart des universités étrangères. M. Poindron mit ensuite l'accent sur la situation nouvelle que connaissent nos bibliothèques universitaires par suite du transfert des facultés dans les quartiers suburbains et de la création des collèges universitaires. Scinder une bibliothèque ancienne, équiper une bibliothèque nouvelle ne laissent pas de poser de difficiles problèmes, en particulier du fait des publications épuisées. L'Université de Paris, qui comprendra d'ici quelques années quatre et même cinq universités, est un bon exemple des difficultés auxquelles nous avons à faire face. L'organisation des bibliothèques universitaires en deux niveaux et le classement systématique des livres en rayons marquent également une étape nouvelle qu'il convenait de souligner. M. Poindron rappelle alors que devant l'accroissement de l'édition et les moyens forcément limités des bibliothèques, nos bibliothécaires peuvent recourir au prêt interuniversitaire qui bénéficie de l'existence de catalogues collectifs, par exemple le Catalogue collectif des ouvrages étrangers et l'Inventaire permanent des périodiques étrangers en cours. Le prêt sera, à l'avenir, facilité, grâce au développement des moyens de reproduction, objectif qui figure parmi les préoccupations actuelles de la Direction des bibliothèques.
Répondant aux mêmes impératifs, le Service d'information bibliographique, qui a pour but d'aider les bibliothécaires des nouvelles sections scientifiques en leur fournissant des sélections des nouveautés et les fiches qui s'y rapportent, sera bientôt, nous l'espérons, étendu aux sciences sociales.
M. Poindron termina son exposé en faisant part des divers projets à l'étude en France : information plus rapide sur les thèses en cours de soutenance, reproduction sous forme de microfiche des thèses dactylographiées, mais surtout planification des acquisitions à l'échelon national et mise sur pied de relations de coopération entre les bibliothèques universitaires et les bibliothèques d'instituts. De telles réalisations ne se feront que lorsque les effectifs auront été accrus et ils ne pourront l'être que lorsque notre profession aura été revalorisée. « Il n'est pas mauvais, constate M. Poindron, que des problèmes de cet ordre soient posés sur le plan international ». Et il conclut : « Cette politique est le résultat d'une politique générale des bibliothèques, menée par une Direction responsable de toutes les bibliothèques (c'est là l'originalité de notre système), où les problèmes traditionnels de la conservation gardent leur place légitime mais qui participe activement à l'organisation de la documentation et de l'information scientifiques ».
Au cours de la discussion qui, l'après-midi, suivit cet exposé, M. Poindron fut convié à préciser les moyens envisagés pour que bibliothèques universitaires et bibliothèques d'instituts coopèrent : « un bibliothécaire de la bibliothèque universitaire pourrait être affecté, soit à mi-temps soit à temps complet, à l'organisation de la bibliothèque de l'institut; une expérience de ce type va être tentée dans une de nos bibliothèques universitaires, mais la faiblesse de nos effectifs nous entrave ». Il fut également amené à décrire le fonctionnement du prêt entre les bibliothèques et la libéralité que les bibliothèques universitaires manifestent en prêtant, au besoin, à la plus petite des bibliothèques françaises, semble avoir particulièrement frappé ses auditeurs.
Après M. Poindron, M. Gehrard Lohse prit la parole. Dans un exposé avant tout historique, il retraça les relations qui unissent les bibliothèques allemandes, les bibliothèques belges et les bibliothèques hollandaises depuis l'époque carolingienne jusqu'à nos jours; il montra aussi à quel point les résultats obtenus dans un pays influencent la vie des bibliothèques des pays limitrophes. C'est ainsi que les Pays-Bas, par leurs catalogues imprimés et leurs recherches relatives à la technique du catalogue, la Belgique, par ses travaux sur la classification décimale et l'Allemagne par sa conception de la bibliothèque publique et ses catalogues centraux ont exercé une influence enrichissante sur leurs voisins. Dans une telle collaboration réside peut-être la clé de l'avenir des bibliothèques.
Cette première journée du colloque fut clôturée par M. J. R. de Groot. Il traitait des « Réalisations et des projets hollandais en face de l'explosion démographique et de l'accroissement de l'édition ». La situation est rendue d'autant plus difficile aux Pays-Bas qu'une décentralisation récente (196I) a accordé l'autonomie aux universités et aux écoles supérieures ». Un Conseil national pour les bibliothèques, dont la création est actuellement à l'étude, pourrait, espère-t-on, remédier à cette situation; l'explosion démographique et l'accroissement de la production des livres créent d'ailleurs un climat favorable à une réforme. Deux nouvelles facultés ont vu le jour à Rotterdam, une autre sera bientôt ouverte, et trois écoles polytechniques ont été créées depuis peu à Eindhoven et à Twente. D'autre part les universités existantes se développent et des bibliothèques sont en cours de construction ou en projet. Le problème des relations entre bibliothèques universitaires et instituts serait résolu en choisissant pour la bibliothèque un emplacement central, au coeur de l'Université. Ce n'est hélas pas le cas pour la plupart des universités hollandaises, les bibliothèques y sont trop souvent traitées en « parents pauvres ». En ce qui concerne les acquisitions, les instituts sont, en ce domaine aussi, souvent favorisés. Mais la situation est peut-être sur le point de changer; le Ministre de l'enseignement en effet, soucieux de combattre ce déséquilibre budgétaire entre bibliothèques universitaires et instituts et d'aboutir à une centralisation plus poussée, vient de lancer une enquête auprès des autorités des universités sur les mesures qui pourraient être prises.
D'autre part pour répondre à l'accroissement de l'édition, on projette de concentrer la littérature peu demandée dans un dépôt central national. On envisage également de coordonner les acquisitions entre les bibliothèques. Enfin on pense pouvoir diminuer le conflit d'influence entre bibliothèques universitaires et instituts en confiant à ceux-ci le domaine de la documentation, les bibliothèques universitaires collectionnant les documents que les instituts dépouilleraient.
Toutes ces perspectives sont fonction de la promulgation d'une nouvelle loi sur les bibliothèques que tous les bibliothécaires néerlandais attendent avec impatience. Le débat qui suivit la mise au point de M. de Groot a permis de donner quelques précisions sur le Conseil national des bibliothèques universitaires. Il y a actuellement deux conseils, l'un relatif aux bibliothèques municipales, l'autre aux bibliothèques universitaires, mais leur rôle auprès du gouvernement est extrêmement limité. C'est en les fusionnant qu'on espère les rendre plus efficaces. On revient alors sur un détail de l'exposé de M. de Groot : il avait souligné la nécessité de mettre de plus en plus d'exemplaires d'un même livre à la disposition des étudiants dont le nombre croît régulièrement et avait fait allusion au bénéfice que les bibliothèques retireraient si des bourses d'achat de livres étaient accordées aux étudiants. Mlle Rosamund, directeur adjoint de la Bibliothèque universitaire de Leyde, précise que ce problème est loin d'être résolu aux Pays-Bas; elle indique du reste que, si un tel système existe en Angleterre, on en arrive cependant à réclamer qu'un contrôle soit exercé sur l'utilisation de ces bourses.
La journée du 21 octobre fut consacrée aux interventions de M. Kenneth Garside et de Mme Gisela von Busse le matin, à celle de M. Chonez et à la séance de clôture l'après-midi.
M. Garside traita des « Relations entre les bibliothèques universitaires du Royaume Uni et le « University Grants Committee ». Le « University Grants Committee » (U.G.C.) a été institué en 1919 par le Ministère des finances pour répartir les deniers publics entre les universités, servant ainsi de trait d'union entre l'État et les universités, et permettant à ces dernières de garder leur liberté (chaque université du Royaume Uni est en effet autonome). Il est subordonné depuis 1964 au Ministère de l'éducation et des sciences, mais la situation n'en a pas pour autant été changée. Il dépend de chaque université de répartir comme bon lui semble les crédits qui lui ont été alloués; les besoins des bibliothèques sont de la sorte souvent sacrifiés à ceux des instituts : « la bibliothèque ne reçoit que la part du fonds global qui lui permet de soutenir l'enseignement et la recherche courante de son université ». Pour l'année 1962-1963, sur un total de 97 000 000 £ attribuées aux universités, 4 % seulement revinrent aux bibliothèques universitaires. L'U.G.C. ne subventionne directement les bibliothèques qu'en cas de construction, d'équipement d'une bibliothèque nouvelle (175 000 £ ont été ainsi accordées à chacune des bibliothèques universitaires récemment créées) ou de développement de certaines collections sous la pression d'intérêts nationaux (c'est ainsi que les bibliothèques se sont vues dotées pour acquérir dernièrement des livres relatifs aux pays slaves, orientaux et africains). D'autre part, si l'U.G.C. s'est toujours abstenu de dicter à l'université la composition de sa bibliothèque, il a néanmoins insisté dans les rapports successifs qu'il a rédigés sur la place capitale qui doit revenir à la bibliothèque dans l'université.
Depuis 1946, l'accroissement du nombre des étudiants a imposé à l'université de nouvelles conditions dont il fallait tenir compte, le « Robbins Committee » fut chargé de l'étude de cette question. Il démontra qu'en 1973 il faudrait 218 ooo places dans les universités. Ce résultat sera atteint grâce à des créations nouvelles mais surtout grâce au développement des universités existantes. Une telle mutation ne pouvait se faire sans affecter parallèlement les bibliothèques, et l'U.G.C., dans les années 60, s'inquiéta de leurs insuffisances. Il faut citer quelques-unes des questions qu'il posait alors dans son rapport : devant la hausse des prix des livres et des périodiques, leur nombre croissant, la spécialisation des études, « est-ce qu'une université pourrait encore avoir l'ambition de satisfaire tous les besoins du personnel enseignant et des étudiants ? Ne faut-il pas accroître la coopération entre les bibliothèques en général ainsi qu'entre les diverses unités de l'université ?... Sur quel taux d'accroissement des livres et des périodiques doit-on calculer la longueur des rayonnages nécessaires dans les salles de lecture et les magasins ?... Comment doit-on pourvoir aux besoins des étudiants de doctorat ?... ». Pour répondre à ces questions, il fut décidé en 1963 d'instituer un conseil qui, sous la présidence du docteur Thomas Parry et en collaboration avec le Ministère de l'éducation et le Bureau de l'éducation en Écosse, serait chargé de « considérer les mesures les plus efficaces et les plus économiques pour satisfaire les besoins des universités et des collèges de technologie en ce qui concerne les livres et les périodiques, en tenant compte de l'expansion du personnel enseignant et de la population estudiantine, des besoins éventuels d'autres usagers, de l'accroissement de la recherche, du prix croissant des livres et des périodiques et de la hausse des prix initiaux des immeubles destinés aux bibliothèques; d'évaluer les moyens d'utiliser au mieux des services communs entre les universités elles-mêmes et entre les universités et les autres types de bibliothèques ou d'institutions diverses, et les moyens modernes de reproduction ».
Le rapport de ce conseil est attendu pour 1966. On peut dès à présent augurer de sa portée d'après les thèmes sur lesquels le conseil s'est informé auprès des associations de bibliothécaires et de professeurs. Aux unes comme aux autres il a demandé : « Quelle est la fonction principale de la bibliothèque ? Ses services doivent-ils être restreints au personnel et aux étudiants de son institution ou étendus à d'autres personnes étrangères ? Doit-elle prêter les livres ou les garder comme ouvrages de références? ». Aux bibliothécaires il a demandé entre autres choses si les étudiants de Ire et 2e année devaient ou non avoir accès aux collections destinées à la recherche; s'il appartenait à la bibliothèque de fournir sur son propre fonds un ouvrage qui ne serait demandé que deux fois par an ou un périodique dont un tome seulement serait demandé une ou deux fois sur une année; s'il convenait d'étendre aux lettres et aux sciences sociales un service de prêt centralisé tel que celui de la Bibliothèque nationale de prêt pour les sciences et la technologie; quelle proportion des livres paraissant sur le marché mondial semble n'être acquise par aucune bibliothèque de Grande-Bretagne; quels moyens permettraient de mettre en réserve ou même de supprimer les livres très peu utilisés, etc.
Aux professeurs, le questionnaire demandait par exemple si la qualité de la bibliothèque universitaire intervenait dans le désir du personnel enseignant de faire partie de telle ou telle université, si les usagers utilisaient volontiers les microfilms, si la bibliothèque universitaire devait prévoir un service de références et de renseignements. Dans l'attente de ce rapport, beaucoup d'espoirs sont nés en Grande-Bretagne. Nous pouvons ajouter que ses conclusions seront d'une extrême importance pour tous les bibliothécaires, quelle que soit leur nationalité.
La conférence de M. Garside fit l'objet d'une discussion longue et animée. M. Poindron interrogea d'abord notre confrère sur les résultats de la création de la « National Lending Library ». M. Garside rappela que la Bibliothèque centrale de prêt pour les sciences, institution gouvernementale, a pour tâche de collectionner surtout les périodiques scientifiques et technologiques, et spécialement ceux rédigés dans les langues peu connues. Elle s'attache à rendre le service des prêts aussi rapide que possible. M. Garside répond affirmativement à la question de M. Poindron qui demandait si les bibliothèques universitaires utilisaient beaucoup ce service, mais il admet que la création d'une telle centrale pour les lettres ne présente pas le même caractère d'urgence; il reconnaît, d'autre part, que la « National Central Library » n'est plus équipée pour jouer le rôle qui lui avait été dévolu et que les bibliothèques universitaires préfèrent le plus souvent, pour emprunter, se passer de son intermédiaire qui ne faisait dans la plupart des cas qu'accroître les délais.
Faisant allusion aux projets de création à Londres d'une bibliothèque centrale de références pour les sciences, M. Liebaers exprime le désir d'obtenir des informations sur ce sujet. Cette bibliothèque, répond M. Garside, doit avoir pour base les collections du « Patent Office » (Office des brevets) : elle serait en quelque sorte un complément, pour les sciences, du « British Museum » et ne serait destinée qu'à la consultation sur place.
A Mme G. von Busse qui demandait quels résultats tangibles on pouvait attendre du rapport du conseil sur les bibliothèques universitaires, M. Garside répondit que ces résultats dépendront, en fait, du budget qui sera à l'avenir attribué aux bibliothèques.
Il est intéressant de noter qu'en Grande-Bretagne, les rapports entre bibliothèques d'instituts et bibliothèques de l'université n'ont pas la même acuité que dans les autres pays car il y a très peu de bibliothèques d'instituts indépendantes de la bibliothèque centrale : elles en sont généralement des branches, administrées par le bibliothécaire en chef.
A propos des prêts octroyés par la « National Lending Library », les participants au Colloque en vinrent à envisager les problèmes que posent les droits d'auteur dans la reproduction des documents et la pratique qui en est faite dans les différents pays.
A la demande de M. Liebaers, M. Garside expliqua en peu de mots ce qu'est la « Standing conference of the National and the University Libraries » (SCONUL) : il s'agit d'une conférence permanente des directeurs des bibliothèques nationales et universitaires qui fut instituée en 195I-1952 et qui n'était, à l'origine, qu'une section de la « Libraries Association ». Elle se réunit deux fois par an pour étudier en sous-comités les problèmes qui peuvent se poser dans ce type de bibliothèques, mais elle ne peut avoir auprès des organismes officiels qu'un rôle consultatif.
La parole fut alors donnée à Mme von Busse. Celle-ci s'attacha d'abord à dégager les caractères particuliers que présentent les bibliothèques universitaires de la République fédérale d'Allemagne : I) si, dans les nouvelles universités, on a prévu diverses formes de coopération entre bibliothèques universitaires et bibliothèques d'instituts, de laboratoires, de facultés etc..., dans la majorité des cas, ces dernières « possèdent une autonomie totale dans le domaine des acquisitions et disposent de budgets, de locaux, de catalogues et d'un personnel propres»; 2) la plupart des bibliothèques d'Allemagne sont en même temps bibliothèques publiques; nées d'autre part à des époques très diverses et plus ou moins décimées par les guerres, elles ont besoin à plus d'un titre les unes des autres, et leur service de prêt à l'extérieur se trouve considérablement alourdi; 3) jusqu'en 1950 environ, elles se sont consacrées uniquement à réparer les dommages causés aux collections aussi bien qu'aux bâtiments; 4) le régime des bibliothèques, tant en ce qui concerne leur budget que leur personnel, varie considérablement d'un « Land » à l'autre ; en effet, la constitution de la République fédérale accorde à chacun d'eux la liberté la plus totale dans le domaine culturel.
C'est pour compenser ces inconvénients que les bibliothèques universitaires ont éprouvé le besoin de recevoir des directives d'organismes centraux : la « Deutsche Forschungsgemeinschaft » (Association allemande pour la recherche scientifique) s'occupe depuis 1949 de la promotion des bibliothèques scientifiques et le « Wissenschaftsrat » (Conseil des sciences et des lettres) a publié en 1964 des recommandations relatives à ces mêmes bibliothèques, ces deux organismes se complétant mutuellement.
Parmi les réalisations les plus connues de la « Forschungsgemeinschaft » figurent le plan d'acquisition d'ouvrages par domaines spécialisés (dont il a déjà été question dans ce Bulletin 2) et les bibliothèques spécialisées centrales. Mme von Busse, devant un auditoire qui connaissait déjà les grandes lignes de cette organisation, s'est contentée d'en rappeler quelques principes : « l'acquisition des publications scientifiques nouvelles des pays étrangers a été répartie sur 24 bibliothèques, dont chacune est responsable d'un ou de plusieurs secteurs spécialisés, prévus dans le plan, et dont le nombre total s'élève à plus de cent. La « Forchungsgemeinschaft » procure les moyens financiers nécessaires à l'achat des publications, les bibliothèques portent seules la responsabilité du choix de celles-ci, mais la partagent cependant, en ce qui concerne le choix des revues, avec la section des bibliothèques de la « Forchungsgemeinschaft » et une sous-commission du Comité des bibliothèques. Les bibliothèques se sont, de plus, engagées à s'occuper avec un soin tout particulier des publications allemandes se rapportant à leurs secteurs spécialisés ». Il faut ajouter qu'à ces secteurs spécialisés sont affectés des bibliothécaires spécialisés dans la discipline traitée, et que, d'autre part, le personnel doit être assez nombreux pour que les livres soient disponibles en prêt le plus rapidement possible. Grâce à cette décentralisation, les chercheurs allemands sont assurés que figure dans la République fédérale au moins un exemplaire de toutes les publications étrangères importantes. Une révision récente du plan d'acquisition, due à l'accroissement de la production des livres scientifiques, a conduit à limiter les crédits accordés par la « Forschungsgemeinschaft » : les publications très consultées, qu'il s'agisse de monographies, de manuels ou de périodiques, devront se trouver dans toutes les universités et non plus seulement dans celle qui était responsable du secteur spécialisé auquel appartiennent ces ouvrages; elles seront d'autre part acquises sur les crédits propres à chaque bibliothèque. Cette mesure prendra effet en 1967. La « Forschungsgemeinschaft » étudie parallèlement les moyens par lesquels elle pourrait associer au plan d'acquisition certaines bibliothèques très spécialisées qui n'ont aucun rapport direct avec les bibliothèques universitaires et qui seules reçoivent des documents hautement spécialisés.
Par ailleurs, durant ces dernières années, ont été créées un certain nombre de bibliothèques spécialisées centrales, rattachées à des bibliothèques universitaires existantes ou nées d'elles. Elles ont pour vocation de rassembler d'une part les ouvrages rédigés dans des langues rares et d'autre part les rapports de collectivités (organismes officiels, instituts spécialisés, congrès, firmes commerciales, etc...) difficiles à trouver sur le marché. Ces bibliothèques, conçues comme des centres de documentation, sont avant tout des bibliothèques de consultation et prêtent uniquement sous forme de reproductions. Une bibliothèque de ce type a été créée en 1958 auprès de l'École supérieure technique de Hanovre, et une autre est née, en 1962, de la transformation de la section agricole de la Bibliothèque universitaire de Bonn, c'est la Bibliothèque centrale des sciences agricoles. Une bibliothèque centrale des sciences économiques et une bibliothèque centrale de médecine sont en projet.
Grâce à ce double programme : plan d'acquisition par domaines spécialisés et création de bibliothèques spécialisées centrales, les bibliothèques universitaires et les bibliothèques d'instituts supérieurs sont en Allemagne « incorporées à un grand ensemble dont la mission dépasse de loin le cadre de l'établissement d'enseignement supérieur lui-même. »
Mme von Busse revient alors sur une des caractéristiques des bibliothèques universitaires allemandes, qu'elle avait soulignée dès son introduction : les moyens financiers des bibliothèques universitaires dépendent de l'administration des « Länder » auxquels elles appartiennent. Or, de ces moyens financiers, dépend en partie la bonne marche du plan d'acquisition. Dans le but d'unifier les ressources des bibliothèques universitaires, tant en crédits qu'en personnel, le « Wissenschaftsrat » vient de publier un cadre type pour une bibliothèque universitaire d'une part, et pour une bibliothèque d'institut d'autre part. Une bibliothèque universitaire devrait disposer de 650 000 DM (520 000 pour les acquisitions, 130 000 pour la reliure) et de 119 personnes (14 appartenant au cadre scientifique, 36 au personnel assistant, 60 au personnel administratif et technique, 9 affectées aux ateliers de reliure et de photographie). Une bibliothèque d'institut disposerait de son côté de 405 000 DM et de 75 employés. A partir de ce plan type, une recommandation particulière a été rédigée pour chaque bibliothèque universitaire en tenant compte des conditions qui lui sont propres. Les ministres des finances et de la culture siégeant au « Wissenschaftsrat », on peut s'attendre à ce que ces propositions deviennent réalité dans les années prochaines. La conférencière fait alors état des autres réalisations en cours d'étude ou en voie de réalisation, à l'heure actuelle, dans son pays. Des spécialistes de l'organisation dans les secteurs de l'économie et de l'administration ont été conviés à étudier la structure et le travail d'une bibliothèque scientifique : les enseignements qu'ils en tireront seront connus dans le courant de cette année. Un bureau de travail de technique bibliothéconomique, chargé des bibliothèques scientifiques en général, devrait pouvoir être organisé auprès de la bibliothèque d'état de la fondation « Preussischer Kulturbesitz » à Berlin. L'application des ordinateurs au prêt et au catalogage fait également l'objet de recherches. La « Forschungsgemeinschaft » apporte son appui financier à 30 bibliothèques dont le service de prêt à l'extérieur est particulièrement important, pour leur permettre de fournir à l'usager des reproductions xérographiques au moindre prix : 0,50 DM par article.
Il faut cependant rappeler - et c'est ce à quoi fut consacrée la conclusion de Mme von Busse - que les bibliothèques ne sont qu'une part de l'œuvre accomplie par la « Deutsche Forschungsgemeinschaft » et le « Wissenschaftsrat » en faveur de la recherche scientifique. C'est la « Forchungsgemeinschaft » qui gère toutes les universités, les académies et instituts scientifiques, la société Max Planck ainsi que les grandes associations scientifiques : « elle a pour mission de promouvoir la recherche dans tous les domaines, de conseiller les gouvernements et les parlements dans les questions scientifiques, de développer les relations entre la recherche allemande et celle des pays étrangers; elle se soucie avant tout d'assurer la relève des chercheurs scientifiques en veillant à leur formation et à leur promotion ». De même, le « Wissenschaftsrat » a pour mission de publier des « recommandations en vue de l'organisation et du financement des établissements scientifiques de la République fédérale et de Berlin-Ouest, d'établir un plan d'ensemble pour la promotion de la science et de veiller à la coordination rationnelle des moyens mis en action par la République et par les pays fédérés. Le premier volume de ses recommandations, paru en 1960, traite des universités et des écoles supérieures scientifiques, le deuxième a pour objet les bibliothèques scientifiques, le troisième, qui concerne les établissements de recherche scientifique, est à la veille de sa publication ».
M. Chonez était le dernier conférencier qui devait être entendu lors de ce colloque. Son propos était de faire le point des possibilités offertes à l'heure actuelle au documentaliste et au bibliothécaire par les ordinateurs électroniques et il avait intitulé son exposé : « L'automatisation des fonctions documentaires. Mythes et réalités. » On attendait beaucoup de l'application de l'électronique à la recherche documentaire. En réalité les expériences faites ne se sont montrées intéressantes que dans des collections qui ne dépassaient pas cent ou deux cent mille références, les machines n'étant pas toujours « dotées de mémoires suffisamment vastes et d'accès assez rapide, sinon à des prix exorbitants, généralement disproportionnés à leur efficacité en sélection documentaire ». En revanche, c'est avec succès qu'on a employé ces techniques plus ou moins automatiques à l'élaboration de bulletins bibliographiques ainsi qu'à l'automatisation de la gestion matérielle des collections. Partant de ce principe, le Service central de documentation du Commissariat à l'énergie atomique « a renoncé à l'idée d'emmagasiner les 220 000 références qu'il a traitées depuis 1962 dans une vaste mémoire, faute d'instrument suffisamment efficace, pour les diffuser sous forme de bulletins bibliographiques indexés spécialisés, devant servir eux-mêmes, avec leurs index cumulatifs annuels, d'instruments de recherche rétrospective décentralisés 3 ». Il a aussi commencé à automatiser la chaîne des opérations allant du catalogage initial des documents par la bibliothèque à la préparation de ces bulletins, avec, comme produits intermédiaires, les multiples fiches nécessaires pour alimenter certains fichiers spéciaux et une liste hebdomadaire de tous les documents reçus; il applique également ses moyens mécanographiques à la mise à jour et à la diffusion de la liste des périodiques qu'il reçoit (et bientôt 'de celle de l'état des collections correspondantes) ainsi qu'à la tenue à jour d'un fichier et à la publication d'une liste mensuelle des congrès et conférences annoncés. Il utilise concurremment pour ces diverses tâches les techniques de la bande perforée, de la carte perforée et du traitement électronique de l'information, celui-ci pour produire automatiquement des index par permutation des titres des documents.
Si les techniques des ordinateurs pouvaient, dans l'avenir, être appliquées par les bibliothèques universitaires à la recherche documentaire, conclut M. Chonez, ce ne pourrait être que dans le cadre plus large de l'université elle-même, le traitement de l'information ne constituant alors qu'une part très réduite de l'exploitation du système.
Ces six interventions appelaient une conclusion : elle fut tirée par M. Poindron qui avait été chargé de faire la synthèse des deux journées du colloque en l'absence de M. Liebaers retenu à Bruxelles. « Le thème du colloque, rappela M. Poindron, comprenait deux volets : - la bibliothèque universitaire devant l'explosion démographique ; - la bibliothèque universitaire devant l'accroissement des documents. Prenons le premier thème et voyons ce que nous avons à dire à cet égard. D'abord une constatation que nous aurions pu faire même avant de venir ici, c'est que ce phénomène est un phénomène général, le nombre des étudiants croît dans tous les pays... Il me semble qu'il y a actuellement un risque pour l'étudiant, c'est celui de le spécialiser trop vite... Évidemment, nous l'avons vu au cours de ces journées, on est souvent obligé de séparer les étudiants en médecine des étudiants en lettres... Nous avons été préoccupés, en France précisément, du sort des étudiants des facultés des sciences qui ne fréquentaient plus que la bibliothèque de la section-sciences. Nous avons envisagé, tout au moins à titre d'expérience, dans deux de ces « campus », de créer, à côté de la section-sciences, une bibliothèque dite « de culture générale » pour qu'au moins l'étudiant de sciences n'oublie pas qu'il y a de grands écrivains; c'est d'ailleurs ce qui existe dans les universités américaines, sous une autre forme qu'on appelle la « browsing library »...
Le second volet de ces journées était : les bibliothèques face à une production sans cesse croissante. M. Poindron revient à ce propos sur le problème qu'avait évoqué M. de Groot : en ce qui concerne les acquisitions, l'accroissement du nombre des étudiants compte plus que celui de la production imprimée; en effet, les livres qui doivent être mis à leur disposition restent en nombre à peu près constant, c'est le nombre d'exemplaires à prévoir qui varie. Par contre, poursuit-il, quand on envisage au-delà des besoins des étudiants ceux des chercheurs, « il me semble qu'il n'y a pas seulement l'accroissement de la documentation, il y a aussi les exigences, un peu différentes de ce qu'elles étaient jadis, du professeur et du chercheur... Dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la science fondamentale ou de la science appliquée, on demande de l'information déjà élaborée. A ce sujet plusieurs questions se sont présentées à nous. Il me semble que, quelles que soient les structures propres à nos pays, quelles que soient les situations présentes, et même quelles que soient les solutions d'avenir qui seront peut-être différentes, nous sommes à peu près tous d'accord pour penser qu'il faut essayer de normaliser les rapports entre la bibliothèque universitaire et les bibliothèques d'instituts et de laboratoires... Là encore je voudrais souligner le rôle que la bibliothèque universitaire peut jouer. S'il n'y avait pas de bibliothèque universitaire, est-ce que la solution serait satisfaisante?... On s'apercevrait qu'il y aurait des disciplines qui seraient bien servies, d'autres qui ne le seraient pas, qu'il y aurait des lacunes... On constate d'autre part que les disciplines sont de plus en plus dépendantes les unes des autres... Je crois que ceci est vrai, non seulement dans les disciplines dites scientifiques, mais également dans les sciences humaines. Nous savons bien que, dans toute discipline, les disciplines dites marginales jouent un très grand rôle. Je crois qu'à cet égard la bibliothèque universitaire, qu'elle soit unique ou qu'elle soit divisée par grandes disciplines, peut être l'organe coordonnateur ».
« Je crois que nous sommes tous d'accord pour penser qu'il est absolument nécessaire d'aboutir à une certaine planification dans le domaine des acquisitions... Les solutions peuvent être différentes (M. Poindron fait à ce moment allusion à celles qui ont été adoptées en Allemagne et en Grande-Bretagne), mais précisément parce que nous avons des bibliothèques nouvelles à créer et que ces bibliothèques nouvelles, malgré les sommes plus ou moins importantes qu'elles auront, ne pourront pas immédiatement jouer un rôle efficace et surtout parce que le nombre des documents croît d'une manière exagérée, je crois que nous avons besoin de mettre de l'ordre dans ces acquisitions aussi bien au niveau des universités qu'au niveau national et peut-être, demain, au niveau de l'Europe. D'ailleurs la bibliothèque qui a été fondée à Delft en liaison avec le Service des traductions pour la production des pays de l'Est, répond bien également à l'un des soucis de normalisation des acquisitions. »
M. Poindron reprend alors brièvement ce qui a été dit à propos de l'équipement reprographique dans les bibliothèques ainsi que les conclusions auxquelles avait abouti l'exposé de M. Chonez. Il souligne que, quelle que soit l'organisation des bibliothèques, on a senti dans tous les pays le besoin d'une réflexion commune sur les problèmes qu'elle pose et l'on a créé - ou l'on envisage de créer - des conseils, des comités, des organismes qui ont pour but de favoriser l'essor des bibliothèques en planifiant leurs tâches. Et il conclut : « Je crois que ce qui fait l'intérêt des problèmes que nous venons d'évoquer c'est que petit à petit - comme l'a souligné M. Liebaers dans son exposé introductif - ils intéressent d'autres personnes que les bibliothécaires. Je souhaite donc, pour terminer, que les documents qui sortiront de cette assemblée trouvent une audience particulière d'abord dans le corps enseignant... mais également dans les sphères gouvernementales de l'ensemble de nos pays, car les problèmes des bibliothèques universitaires ne sont pas seulement des problèmes qui intéressent nos universités, ce sont des problèmes qui intéressent entièrement, totalement, nos pays respectifs. »