L'activité du Comité d'étude « Documentation » à la Délégation générale à la recherche scientifiaue et technique (1959-1963)
Analyse du rapport remis au Ministre d'État chargé de la recherche scientifique et technique le 22 avril 1963. Étude des différents stades de diffusion et de transformation des informations scientifiques. Rédaction des notes et mémoires originaux (« Code du bon usage »). - Les périodiques scientifiques français. -Rédaction des résumés de mémoires. - Les centres de documentation (le Répertoire des bibliothèques d'études et organismes de documentation). - Le C.N.R.S. - Les sélections automatiques et électroniques. - Projet de création d'un organisme de coordination et de direction. - Les exposés de mise au point. - L'édition scientifique française. - Les revues de vulgarisation scientifique
La Délégation générale à la recherche scientifique et technique a créé à la fin de l'année 1959 un comité chargé d'étudier les problèmes que posent la rédaction et la diffusion correctes des informations scientifiques. Ce comité a commencé de siéger dès le début de janvier 1960. Ce n'est qu'au début de l'année 1963 qu'il a pu estimer comme terminée la première partie de sa tâche : le 22 avril 1963, il remettait à Mr le Ministre d'État chargé de la recherche scientifique et technique un rapport sur l'ensemble de son activité 1. C'est ce document que nous voudrions analyser brièvement dans les lignes qui vont suivre.
I Stades de diffusion et de transformation des informations scientifiques
Le domaine de la Documentation scientifique s'organise d'une façon assez logique et aisément compréhensible : à l'origine, il y a les résultats nouveaux obtenus par les collaborateurs de la recherche scientifique et technique. Ces résultats sont diffusés par le moyen de notes, de mémoires et de rapports rédigés par ceux là même qui ont obtenu les résultats qu'il s'agit d'annoncer. Mémoires et rapports peuvent avoir une diffusion restreinte (circulation réservée aux membres d'une organisation déterminée); ils peuvent être rendus publics : dans ce dernier cas, la majeure partie d'entre eux est soumise aux rédacteurs en chef de périodiques spécialisés dans leur publication; une fraction plus faible se trouve publiée de diverses autres manières, par exemple sous forme de brochures isolées et aussi dans les volumes où l'on rassemble les comptes rendus des congrès scientifiques. Les informations nouvelles ainsi diffusées se trouvent disséminées dans un volume très considérable de littérature imprimée. Les statistiques que nous possédons ne permettent que des estimations vagues; il existe certainement, dans le monde, plusieurs dizaines de milliers de périodiques dans les pages desquels on peut trouver des informations de première main; en dehors de ceux-ci, de nombreuses collections de rapports représentent un volume publié qui, dans certains pays (particulièrement aux États-Unis d'Amérique), correspond à une fraction très importante de l'ensemble.
Cette littérature scientifique primaire est, en général, diffusée sous une forme qui ne convient qu'aux spécialistes. Pour élargir l'audience de ceux qui doivent être tenus au courant des progrès de chapitres déjà vastes de la science ou de la technique, il est nécessaire de faire subir aux informations originales une suite de traitements et de transformations :
I° Dans la situation actuelle, nous l'avons vu, les informations intéressant le spécialiste peuvent se trouver disséminées d'une façon quasi aléatoire entre les pages de plusieurs milliers de périodiques ou de publications rédigées dans des langues très variées. Sans aide le spécialiste n'a que peu de chance d'arriver à connaître toutes les informations qui l'intéressent. On a donc vu se créer à partir de la fin du xixe siècle des périodiques scientifiques secondaires qui rassemblent et qui publient non pas des notes ou des mémoires scientifiques originaux mais le résumé de ceux-ci accompagné de leurs titres, des noms de leurs auteurs et des citations bibliographiques complètes qui permettra de les retrouver si l'on dispose d'une bibliothèque suffisamment complète. En France, le Centre national de la recherche scientifique est responsable de l'édition de l'un de ces journaux secondaires, le Bulletin signalétique du C. N. R. S. dont l'audience s'étend non seulement aux pays francophones mais encore aux scientifiques de langue latine et à divers spécialistes du monde entier.
2° Ainsi digérées, résumées, les informations scientifiques originales gardent leur caractère fragmentaire et dispersé. Si l'on veut obtenir une vue claire du mouvement de pensée et des progrès dans un chapitre donné de la science, un effort de synthèse est nécessaire et cet effort doit s'organiser à deux degrés. L'évolution scientifique actuelle est caractérisée par la rapidité de son rythme : pour informer tous ceux qui doivent, dans certains domaines, la suivre en quelque sorte au jour le jour, des exposés de mise au point sont nécessaires. De tels exposés sont rédigés par des spécialistes compétents qui utilisent dans leurs recherches les journaux secondaires dont nous avons parlé pour retrouver la trace de toutes les nouveautés pertinentes qu'ils devront classer et présenter dans une perspective convenable.
3° Plus tard, quand le chapitre de la Science auquel on s'intéresse aura vu se ralentir un peu son évolution, on pourra songer à rendre compte de la situation quasi-stable à laquelle on est parvenu en rédigeant un livre; cet ouvrage, encore spécialisé, servira à l'enseignement c'est-à-dire à la formation de nouveaux chercheurs et à la préparation de professeurs.
4° Plus tard encore d'autres auteurs moins spécialisés, utilisant les ouvrages précédents comme sources, rédigeront des manuels d'enseignement de caractère classique et couvrant un domaine large.
5° Tout ce qui précède n'a pour but que d'informer des professionnels. Le développement scientifique et technique jouant aujourd'hui un rôle national de premier plan, il n'est pas moins nécessaire que le public non scientifique puisse être alimenté lui aussi par des informations simplifiées, décortiquées mais correctes : c'est le rôle de la littérature de vulgarisation, dont l'importance nationale est certaine.
Le Comité d'étude « Documentation », au cours de ses trois années de travail, a étudié un par un les stades de diffusion et de transformation des informations scientifiques dont nous venons de donner ci-dessus la liste. C'est en suivant l'ordre de la liste en question qu'il a présenté au Ministre toute une série de propositions dont voici les principales.
II Informations scientifiques de caractère original
Les notes et les mémoires rédigés par les chercheurs sont en dernière analyse la source unique de toutes les informations scientifiques. Aucun conditionnement, aucune digestion ne pourra en améliorer la qualité, la précision, la clarté, la sincérité ; aucune machine, aucun procédé automatique ne pourra transformer un mémoire mal rédigé en un texte correct. Il est donc évident que la rédaction des notes et des mémoires originaux doit être l'objet de grands soins. La préparation de ces textes doit respecter des règles de style et d'éthique qu'on ne se préoccupe guère aujourd'hui d'enseigner aux chercheurs, ni même de rédiger. Le Comité d'étude a signalé la très grande importance de ces règles. Il les a rassemblées en un texte à la rédaction duquel il a apporté tous ses soins et auquel il a donné le nom de « Code du bon usage en matière de publications scientifiques originales ». Ce code qui a été rapidement adopté par l'Unesco, a déjà été brièvement commenté dans le Bulletin des bibliothèques de France 2.
Tout en considérant que son texte n'avait qu'un caractère de proposition, tout en suggérant qu'on lui en propose l'amélioration, le Comité a demandé une large diffusion du code dans les milieux scientifiques. Cette diffusion a été commencée par l'Unesco qui a imprimé une édition allemande, une édition espagnole, une édition anglaise et une édition russe. Une traduction japonaise a également été éditée à petit nombre.
Bien entendu, le respect des dispositions du code par les auteurs scientifiques est affaire purement morale : le Comité n'a jamais envisagé de mesures de coercition tendant à imposer à tous l'application d'un tel texte; il suffit que chacun se rende compte que l'application du code améliorera à coup sûr la qualité des textes originaux qui laisse aujourd'hui beaucoup à désirer tout en contribuant à en réduire le volume, en rendant plus rare la multiplication d'informations identiques.
III Les périodiques scientifiques
On a dit plus haut le grand nombre de périodiques scientifiques publiant des informations originales et l'existence de collections de rapports et de publications sérielles au sein desquelles on peut trouver également de telles informations. En cette matière, la France ne s'écarte pas de la plupart des autres nations. Les études du Comité, menées à partir de répertoires et d'analyses faites par la Documentation française, ont fait apparaître l'existence en France d'environ 208 revues ou périodiques consacrés aux sciences exactes et naturelles. Près de la moitié de ceux-ci concernent les sciences biologiques. A ces périodiques proprement scientifiques s'ajoutent des périodiques de caractère technique, industriel, commercial ou artisanal dont l'éventail s'étend sur plus de 1 500 titres.
Les périodiques français, trop nombreux pour un volume d'informations à publier et un nombre relativement petit d'auteurs, forment pour la plupart des recueils de dimensions et de présentation modestes. Leur situation budgétaire est mauvaise; ils sont sous-administrés : il n'existe pas ou presque pas d'emploi à plein temps dans la presse scientifique française. Par voie de conséquence, on ne s'occupe guère de la diffusion de cette presse spécialisée à l'étranger; il semble que l'audience internationale des journaux scientifiques français soit à l'heure actuelle en voie de diminution. Le Comité d'étude a signalé que l'État lui-même participe au maintien de cet état des choses par l'éparpillement de ses subventions ; il a estimé que les principaux journaux scientifiques français appartenant à une même discipline devraient être encouragés à fusionner de façon à permettre l'établissement en France de périodiques de classe internationale suffisamment peu nombreux pour être bien administrés et efficacement soutenus. Il a recommandé encore que les articles et mémoires publiés par les journaux scientifiques français ne soient acceptés qu'après avis conforme d'un ou de plusieurs experts choisis dans des comités ad hoc.
IV Informations scientifiques conditionnées : centres de documentation; journaux secondaires
L'une des tâches les plus importantes dans ce domaine a paru au Comité être la rédaction des résumés de mémoires. Il semble que, pour disposer d'une information complète, il faudrait résumer chaque année entre un et deux millions de textes originaux publiés en plus de 26 langues. Il semble qu'il soit déraisonnable d'imaginer que l'on réunira jamais assez de collaborateurs compétents pour exécuter correctement un tel travail en langue française. On voit aussi qu'un travail analogue devrait être fait en langue anglaise, en langue russe, en langue allemande, etc..., ce qui engendre une multiplication des efforts qui rendent coûteux et lent le fonctionnement des journaux secondaires et des centres de documentation. Or, le temps est ici un facteur de première importance : la valeur des informations scientifiques originales décroît rapidement avec lui.
Le Comité d'étude a souligné que le problème ainsi posé ne saurait avoir de solution parfaite; il a ajouté que la solution la plus raisonnable et la plus acceptable consistait dans l'utilisation systématique des résumés d'auteurs. C'est pourquoi il a recommandé qu'on veille à la généralisation de ceux-ci : toute note, tout mémoire original ne devraient être publiés qu'accompagnés d'un bref résumé rédigé par l'auteur, selon des règles qui ont déjà été précisées par des documents publiés par le département des sciences exactes et naturelles de l'Unesco et par l'ISO 3 et qui sont aujourd'hui systématiquement diffusées dans tous les pays du monde.
La sous-administration et l'isolement de la plupart de nos périodiques scientifiques ont cependant pour conséquence que ces recommandations et ces règles élémentaires sont encore loin d'être appliquées par tous les journaux français.
Au cours d'une brève enquête faite par un organisme international, 34 rédacteurs en chef de périodiques scientifiques français publiant des mémoires originaux ont été questionnés; 28 c'est-à-dire 85 % d'entre eux ont déclaré tout ignorer des règles pour la rédaction des résumés d'auteurs; celles-ci ont pourtant été diffusées en France au cours d'une action qui s'est poursuivie sur plus de cinq années. On trouve là une autre caractéristique importante des problèmes de l'information scientifique : si simples qu'elles puissent paraître, si facile que soit leur application, toutes les propositions destinées à améliorer notre situation actuelle doivent lutter, avant de s'imposer, contre la tradition et l'habitude, ici très puissantes.
Il existe en France un nombre important de centres de documentation scientifique et technique. Ces organismes ont pour mission de faire connaître aux chercheurs et aux utilisateurs industriels l'existence des informations dont ils ont besoin, mettant ces hommes en situation de les appréhender et de les apprécier de façon suffisamment complète, suffisamment rapide, suffisamment sincère. Ces organismes doivent parvenir à traiter dans un temps très limité un volume de littérature scientifique d'autant plus important que le domaine couvert est plus vaste. Pour mieux parvenir à comprendre leur situation, le Comité d'étude les a fait recenser et ce travail, entrepris sous la direction de Mr Poindron, membre du Comité, par la Direction des bibliothèques de France, est aujourd'hui terminé. Les résultats en ont été publiés (Répertoire des bibliothèques d'étude et organismes de documentation. I. Paris, Seine et Seine-et-Oise. II. Départements. III. Supplément et Index. - Paris, Bibliothèque nationale, 1963. 3 vol.)
Le répertoire contient au total 2 383 notices concernant des bibliothèques et des organismes de documentation, dont 959 établissements situés dans Paris, la Seine et la Seine-et-Oise. Parmi ces établissements, 513 sont capables d'établir des bibliographies signalétiques ou analytiques et 282, compris à peu près tous parmi les précédents, peuvent effectuer des traductions; 337 offrent des reproductions photographiques.
Parmi les 563 établissements considérés comme ayant une activité documentaire, 321 s'occupent des sciences fondamentales et des sciences appliquées : c'est là un nombre très grand qui contient des organismes de toutes les tailles. En tête, se trouve le Centre de documentation du Centre national de la recherche scientifique qui publie régulièrement un Bulletin signalétique dont les fascicules traitent des sciences mathématiques, physiques, chimiques, biologiques, des sciences de la Terre, de la mécanique, de la métallurgie et de nombreuses disciplines d'application. Les services du C. N. R. S. sont à la disposition de tous. Le plus grand nombre des autres services de documentation recensés est formé d'organismes de petites dimensions, assez étroitement spécialisés. Dans beaucoup de cas, leurs services sont réservés à des cotisants appartenant à un groupe industriel ou à une association. Très souvent, cependant, une personne étrangère à ces groupements peut être admise, sur demande, à profiter temporairement des facilités qu'ils offrent.
Après avoir constaté la très grande dispersion que révélait en France cet inventaire des centres de documentation, le Comité d'étude a noté le rôle fondamental que joue, chez nous, le Centre de documentation du C. N. R. S. Il a souhaité que l'activité de ce grand organisme puisse continuer de se développer, et en particulier qu'il puisse entreprendre la publication annuelle d'un index systématique des matières. La Délégation générale à la recherche scientifique et technique a immédiatement mis à la disposition du C. N. R. S. un crédit pour permettre le démarrage de cette nouvelle activité.
Le Centre de documentation du C. N. R. S. traite chaque année une masse documentaire considérable, atteignant plusieurs millions de pages de tous formats. Il est cependant permis de penser que le volume de cette littérature traitée devrait encore être augmenté ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas sélectionner les revues collectées et analysées. Les problèmes posés par cette situation, d'ailleurs, rejoignent en partie ceux que pose la publication des revues scientifiques elles-mêmes.
Les méthodes utilisées jusqu'ici par le Centre de documentation du C. N. R. S. sont principalement manuelles. Le développement récent des moyens électroniques et automatiques de traitement de l'information a soulevé dans le monde scientifique et technique un intérêt très grand et très légitime. Étant donnés la puissance et le prix très élevé des ordinateurs, l'industrie qui construit ces grandes machines cherche, bien raisonnablement, à en multiplier les applications. En divers pays, depuis plusieurs années, on a proposé de mettre au nombre de ces dernières l'activité des centres de documentation ou tout au moins, une grande partie des opérations qu'on y exécute (mise en mémoire des titres, des citations bibliographiques, des résumés, classement et tri de ces informations, établissement de bibliographies sélectionnées en réponse à des questions données, etc...). Des expériences ont été faites à ce sujet dont une en France par les soins de la Société Saint-Gobain 4. Toujours satisfaisantes à petite échelle, ces expériences n'ont pas permis encore d'avoir l'assurance qu'on atteindrait, dans le traitement de grands volumes de littérature scientifique, la rentabilité et la rapidité souhaitables. Si la rapidité et la capacité des ordinateurs actuels paraissent largement suffisantes pour résoudre les problèmes posés par la Documentation scientifique, deux obstacles pourtant continuent jusqu'ici de se poser; ils sont situés l'un à l'entrée, l'autre dans l'ordinateur même.
Le premier consiste dans le fait que l'ordinateur ne sait pas lire les textes imprimés qui sont la seule forme sous laquelle les informations scientifiques puissent actuellement parvenir au Centre de documentation. Il faut les traduire selon un certain code et jusqu'ici cette opération reste manuelle. Parce qu'elle est manuelle, elle coûte beaucoup plus cher et elle est beaucoup plus longue que les opérations automatiques qui la suivent : elle constitue donc un goulot d'étranglement du système qui en compromet à la fois la vitesse et la rentabilité. Des recherches actives sont engagées pour l'éliminer au bénéfice de véritables « machines à lire ».
Le second obstacle est d'une autre nature. Si vaste que soit la capacité de la mémoire d'un ordinateur, cette capacité est finie : on ne peut donc envisager d'accumuler indéfiniment des informations nouvelles à l'intérieur d'une seule mémoire; d'ailleurs, cela n'est pas désirable : il faut sûrement, si l'on ne veut pas que l'opération de tri augmente indéfiniment en importance et en durée, éliminer de la mémoire de l'ordinateur les informations qui sont devenues inutiles, désuètes ou qui ont été reconnues fausses. Cette opération fait évidemment appel à l'intelligence et même à de nombreuses intelligences spécialisées. Aucune proposition raisonnable n'a encore été faite sur la manière de la mener à bien.
Avec l'aide d'un travail considérable exécuté par l'Association nationale pour l'étude de la documentation automatique (A. N. E. D. A.), le Comité d'étude a longuement examiné ces problèmes. Il a finalement conclu que la mise en œuvre des solutions automatiques et électroniques sur une grande échelle serait à l'heure actuelle prématurée, surtout si l'on songeait à créer un organisme unique couvrant la totalité des disciplines scientifiques et des disciplines d'application. Le Comité d'étude a estimé, par contre, qu'il serait extrêmement désirable de fonder un organisme central qui dominerait l'ensemble du réseau documentaire français y compris le Centre de documentation du C. N. R. S. Cet organisme jouerait un rôle de coordination et de direction; il faudrait le doter des hommes, des crédits, de la compétence et de l'autorité suffisants pour pouvoir repenser et étudier à loisir une organisation probablement fédérale de la documentation scientifique et technique française, encourager les expériences nécessaires, mener à bien les créations indispensables. Le Comité a défini la mission et le budget de départ d'un tel organisme dont la Délégation générale à la recherche scientifique et technique étudie actuellement la création.
V Informations scientifiques conditionnées : exposés de mise au point; livres; revue de culture scientifque générale.
L'expérience a montré depuis longtemps qu'il est du plus haut intérêt pour les étudiants qui s'initient à la recherche, pour les chercheurs entraînés, pour les experts et les conseillers qui doivent avoir les moyens de juger de la conjoncture scientifique et technique, de disposer en temps utile de bons exposés critiques de l'état de nos connaissances dans les domaines d'actualité. La rédaction de tels exposés est un travail long, difficile et qui ne peut être confié qu'à des chercheurs qualifiés. Or, dans l'état actuel des choses, ils ne profitent guère à la carrière de ces derniers. Toutes les tentatives d'obtenir la rédaction de tels exposés par une politique de subventions ont échoué, montrant bien que là n'est pas le problème. Après une étude sérieuse, le Comité a proposé, pour le résoudre, une disposition administrative très simple concernant les soutenances de thèses dans les Facultés des sciences françaises. Voici cette disposition :
La deuxième thèse, exigée pour l'obtention du titre de docteur décerné par les Facultés des sciences françaises, devrait consister en un exposé de mise au point concernant une question scientifique d'importance actuelle. Le sujet de cet exposé serait choisi par le jury, compte tenu de la spécialisation du candidat, sur une liste établie chaque année par le Conseil de la Faculté.
L'exposé aurait un caractère critique et serait accompagné d'une bibliographie commentée. Au moment de la soutenance, le jury en recommanderait ou non la publication. La publication des bons exposés de mise au point présentés en vue du doctorat devrait trouver place dans les pages des différents journaux scientifiques nationaux subventionnés.
Il ne semble pas que la mise en œuvre de cette recommandation présente de grandes difficultés, ni qu'elle entraînera des dépenses importantes. Divers membres des Facultés des sciences françaises, consultés, l'ont accueillie avec beaucoup de sympathie. Pour qu'elle puisse prendre effet, il serait nécessaire que le vœu du Comité soit transmis à Mr le Ministre de l'Éducation nationale, seul qualifié pour lui donner une suite.
L'édition française scientifique présente des lacunes qui peuvent être résumées comme suit :
- manque de traités spécialisés écrits par des experts;
- absence presque totale de traités à caractère exhaustif faisant le point sur un sujet;
- insuffisance de traductions d'ouvrages étrangers, en particulier du russe, de l'allemand et des « langues difficiles » ;
- difficulté de publication de travaux très spécialisés dont la clientèle est restreinte;
- rareté des ouvrages destinés à mettre la science et la haute technique à la portée des praticiens.
Ces lacunes proviennent en premier lieu de la difficulté qu'il y a à trouver des auteurs disposant à la fois de temps et de suffisantes capacités. Les écrivains scientifiques et les traducteurs sont souvent peu enthousiastes devant l'œuvre à entreprendre; le faible rapport financier de l'opération, hors de proportion avec le travail qu'ils doivent s'imposer, ne permet pas de s'en étonner.
En ce qui concerne les maisons d'édition, les lacunes que nous avons signalées proviennent en partie de ce qu'elles manquent de suggestions, de conseils; elles manquent même de relations suffisamment étendues dans les milieux scientifiques et techniques. Enfin, les éditeurs reculent souvent devant un investissement financier lorsque la perspective de vente prévoit l'amortissement sur une période trop longue. Pour améliorer cette situation, sur la proposition de son vice-président, le Comité d'étude a proposé la constitution d'un groupe permanent dénommé Commission consultative de l'édition scientifique.
Cette commission aurait pour but :
- de centraliser toutes les suggestions quant à la publication de livres nouveaux ou de traductions, qu'elles viennent des usagers ou des auteurs;
- de rechercher des auteurs et des traducteurs;
- de rechercher des éditeurs et de conseiller ceux-ci quant à la valeur scientifique des ouvrages et leurs possibilités de vente;
- d'aider les auteurs en leur fournissant des moyens matériels (assistance technique, documentation, dessins, préparation et correction des manuscrits) ;
- de récompenser les auteurs;
- de proposer aux éditeurs, après étude, des prêts garantis remboursables sur la vente, en accord avec la Délégation générale à la recherche scientifique et technique.
La Commission consultative de l'édition scientifique posséderait un secrétariat permanent et pourrait se faire aider par des experts rémunérés.
Cette suggestion est actuellement à l'étude à la Délégation générale à la recherche scientifique et technique.
Il existe en France au moins 14 revues de vulgarisation. Quels que soient les efforts souvent louables que font les rédacteurs de ces périodiques, il faut bien convenir que le « standing d'aucun de ces périodiques n'est réellement digne de notre pays. Aucun non plus n'a les moyens de beaucoup mieux faire; aucun ne dispose de l'état-major professionnel indispensable.
D'où vient cet état des choses ? Les professionnels du journalisme technique soutiendront qu'il n'est possible d'atteindre un tirage rémunérateur qu'à condition de descendre à un niveau populaire, celui du périodique américain Popular mechanics (il en existe une traduction française) ou de la revue, d'ailleurs très honorable, Science et vie; de fait, le nombre d'abonnés de Nucléus dont le niveau est beaucoup plus élevé, n'atteint sans doute pas 1 500. Dans le même temps, il existe quelques sociétés de caractère scientifique et technique non spécialisé dont les nombreux membres cherchent en vain à se tenir au courant de l'actualité scientifique, technique et industrielle. Nous ne citerons que l'exemple de la Société des ingénieurs civils de France. Cette Société possède 14 000 membres payant une cotisation de 60 francs, à chacun desquels elle fait le service d'un bulletin mensuel. La Société éprouve les plus grandes difficultés à assurer la rédaction de ce bulletin : elle aussi ne fait appel qu'à ses propres ressources pour le faire. Dans le même temps, les chercheurs et les professeurs cherchent vainement les moyens de se tenir au courant du mouvement scientifique et technique dans les domaines situés hors de leur spécialité. Devant ces constatations et étant donné ce que l'on sait du revenu qu'on peut espérer tirer de la publicité dans une revue de haute vulgarisation scientifique qui tirerait à 35 000 exemplaires, on ne voit plus pourquoi une telle revue ne serait pas viable en France : son public existe. Pour qu'elle puisse naître, il faudrait sans doute encourager les initiatives qui tendent à sa création par voie de fusion de périodiques déjà valables. La Société des ingénieurs civils de France tente actuellement de le faire, conjointement avec d'autres sociétés scientifiques et peut-être avec un ou des éditeurs compétents. La Délégation générale à la recherche pourrait encourager et surveiller de telles initiatives, pour accorder finalement son patronage au projet le plus représentatif. Une telle revue de haute culture scientifique et technique générale serait d'autant plus désirable qu'elle fournirait à la Délégation un moyen d'expression très répandu et qui lui manque aujourd'hui complètement.
Nous avons résumé dans les pages qui précèdent le rapport général qui rend compte des travaux du Comité d'étude Documentation; nous espérons que le lecteur aura pu se rendre compte de l'importance et de la complexité des problèmes étudiés par cet organisme qui s'est attaché à ne formuler à leur sujet que des conclusions à la fois prudentes et constructives.