La nouvelle Bibliothèque municipale de Chartres
La Bibliothèque municipale entièrement détruite en 1944 à la suite d'un bombardement vient d'être reconstruite et inaugurée le 20 octobre 1962. Cette bibliothèque comporte trois niveaux pour le public et 6 niveaux de magasins. Brève description des locaux et activités récentes de la nouvelle bibliothèque depuis son ouverture
Des fenêtres de la nouvelle bibliothèque de Chartres, on peut apercevoir les bâtiments de l'ancien collège Saint-Michel qui abrita les collections de la Bibliothèque municipale de sa naissance, le 20 octobre 1804, à 1837 1. Du rez-de-chaussée occupé par le collège, les poêles dégageaient, paraît-il, une telle fumée que les conservateurs de la bibliothèque, installés à l'étage supérieur, ne pouvaient se voir d'un bout à l'autre de la salle. De plus, par temps de pluie, le toit était loin d'offrir une protection efficace. Cela n'empêchait pas les conservateurs, représentants des notables et des vieilles familles de la ville, d'y travailler bénévolement de longues heures. Ils avaient en effet le sentiment de sauvegarder, avec les richesses de la bibliothèque, leur raison d'être, en même temps que le passé de leur ville. C'est, en effet, un des caractères originaux de la Bibliothèque de Chartres de n'avoir eu de bibliothécaire en titre qu'en 1941 2. Jusque là, la bibliothèque était gérée bénévolement par un certain nombre de membres de la Commission qui avaient le titre de « conservateur ». Ils tenaient ce travail bénévole pour un privilège et s'étaient toujours opposés à la nomination d'un bibliothécaire appointé.
La nomination de Mlle Guittet en 194I intervint donc quelques années seulement avant le bombardement de la Bibliothèque. Des collections, susbsistaient seulement quelques centaines de livres imprimés et 976 des 1744 manuscrits, qui purent être récupérés et remis en ordre après des années de travail.
La « Bibliothèque des conservateurs » et ses richesses irremplaçables avaient été anéanties.
C'est donc, par la force des choses, une bibliothèque entièrement nouvelle et tournée vers l'avenir qui a été inaugurée le 20 octobre 1962.
Comme l'ancienne bibliothèque, les nouveaux bâtiments s'insèrent dans un ensemble ordonné autour de l'hôtel Montescot, belle construction Louis XIII en brique rose, qui abrite encore une partie des services municipaux. C'est donc un édifice de style classique. Les seuls ornements de la façade sont les « remplissages » en pierre de Berchères, tirées des mêmes carrières qui servirent à la cathédrale de Chartres.
La façade donnant sur les futurs jardins de l'hôtel Montescot, composée d'un soubassement, d'un étage noble et d'un attique, est largement ouverte au public 3.
Derrière les portes vitrées, une belle statue d'ange du xve siècle semble inviter à entrer. Le rez-de-chaussée est réservé à la lecture publique. Bibliothèque d'enfants où, de la huche à livres réservés aux plus petits, au coin d'usuels pour les studieux, les jeunes de six à quatorze ans peuvent découvrir le royaume de la lecture. Au fond de la salle, une cloison mobile permet d'isoler un coin pour les montages de lecture, dirigés le jeudi par des élèves de l'École normale d'instituteurs.
La bibliothèque de prêt, dont les murs vert tilleul rappellent ces arbres dont la senteur accueille le visiteur venu à Chartres au début de l'été, offre actuellement au lecteur un choix de 8 ooo volumes environ. Une section « adolescents » groupe un choix de livres susceptibles d'intéresser plus spécialement les jeunes de quinze à dix-neuf ans.
Près des fenêtres, des meubles à périodiques, quelques usuels 4, deux tables et des chaises confortables complètent cette salle qui est la plus largement accessible au public : les horaires d'ouverture de 10 h à midi et de 13 h à 19 h permettent d'y accueillir ceux qui, habitants de Chartres ou travailleurs venus de Paris, ont un moment libre après le travail, le restaurant ou la cantine.
Au premier étage, la salle de lecture offre actuellement 44 places. Le jeudi après-midi, on est déjà obligé, avec des moyens de fortune, d'y accueillir parfois 70 personnes. Cet afflux s'explique par la proximité des deux lycées et par la venue régulière d'internes du Lycée de jeunes filles, dans le cadre des activités dirigées. Cette salle contient environ 3 ooo usuels classés par grandes catégories et par format afin d'utiliser au maximum la place disponible. Elle ouvre sur la salle des catalogues qui donne elle-même sur une autre salle, prise sur les réserves, et consacrée aux suites. Cette dernière salle permet de mettre à la disposition du public un plus grand nombre d'usuels et de laisser un peu en retrait les traductions grecques et latines, qui offrent toujours le même attrait aux nouvelles générations de lycéens. Le bureau du bibliothécaire ouvre à la fois sur la salle des catalogues et sur la salle de lecture. Le travail et la surveillance de ces salles en sont facilités.
La partie gauche de l'étage, protégée spécialement contre le vol, comprend le cabinet et le bureau des manuscrits ainsi qu'une salle d'exposition. Pour l'inauguration, quelques-uns des plus beaux manuscrits sauvés de l'incendie y furent exposés. Une salle prise sur les réserves et faisant pendant à la salle des suites a permis de loger le fonds de la Société archéologique d'Eure-et-Loir. L'essentiel des collections nécessaires aux érudits et aux étudiants se trouve donc groupé à cet étage et peut rendre le maximum de service avec un personnel restreint.
Au second étage, une salle aveugle servira peut-être, dans l'avenir, de discothèque, comme à Tours. Une autre salle, en revanche, a déjà trouvé son utilisation pour présenter au public des expositions plus simples sur les sujets les plus divers :
- « Chartres et la Beauce 1900 », ensemble de très belles photographies sur la Beauce, prises au début du siècle par un représentant en mercerie, Gustave Fouju, passionné de folklore et de marche à pied et dont les clichés avaient été conservés par M. Marcel-Robillard. A l'occasion de cette exposition, un club de lecture sur les « Blés » de Roger Bordier a pu être donné, dans la salle même, en présence de l'auteur ainsi qu'un cercle d'étude sur les problèmes paysans;
- au mois de décembre, l'exposition itinérante de l'Association des bibliothécaires français sur l'énergie atomique attirait surtout les jeunes, qui pouvaient voir en même temps, dans une chaîne de ciné-club, « La Bataille de l'eau lourde »;
- en janvier, M. Marcel-Robillard y montre sa collection d'images postales et de calendriers sous le titre « Cent ans d'imagerie postale, du facteur au préposé »;
- au mois de février, un professeur du lycée Rémi Belleau de Nogent-le-Rotrou expose une trentaine de tableaux ainsi que des poèmes et donne, avec un collègue, une soirée consacrée à la présentation du poète René-Guy Cadou; cette même salle doit accueillir ensuite une exposition des Maisons de jeunes sur le problème dulogement. Dans le cadre de cette exposition, trois films ont pu être passés à la bibliothèque : Aubervilliers, l'Amour existe et la Crise du logement.
Le succès de ces expositions a confirmé le rôle qu'une Bibliothèque municipale peut jouer comme centre culturel dans une agglomération de 50 ooo habitants.
Au cœur même de la ville, près des quartiers administratifs et commerçants et dans le voisinage immédiat des principaux établissements d'enseignement, la Bibliothèque, située, comme la cathédrale, en « ville haute », atteint difficilement la « basse-ville » et les proches banlieues.
Le nombre anormalement bas des lecteurs avait déjà posé le problème avant l'installation dans les nouveaux locaux. Une enquête menée par une élève de l'École normale d'institutrices avait montré un désintéressement assez général pour les livres dans les banlieues anciennes, mais un certain désir de lecture auprès des habitants de la nouvelle zone industrielle, pour lutter contre l'ennui des dimanches dans les H. L. M. Comme il n'était pas question d'installer pour l'instant des annexes permanentes ni de prévoir un bibliobus, des solutions différentes furent adoptées suivant les quartiers.
Des prêts par roulement de 200 à 500 volumes, renouvelables tous les deux mois furent organisés.
Pour la banlieue, encore campagnarde, de Rechèvres, une annexe fut créée, dans le cadre de la Maison des jeunes où une équipe « bibliothèque » assure les permanences et la responsabilité du prêt pour le quartier.
A Beaulieu, cité H. L. M. de 5000 habitants environ, M. Jean-Claude Lucien, animateur à l'Office municipal de la jeunesse, prenait la responsabilité de la bibliothèque, installée dans un ancien garage aménagé par l'Office municipal de la jeunesse.
A Bel-Air, quartier des cités d'urgence et banlieue la plus pauvre, les livres étaient déposés au Centre social sous la responsabilité de l'instituteur. C'est dans ce quartier que l'enthousiasme a été le plus grand, semble-t-il.
La « basse-ville » était touchée grâce au dépôt consenti au Foyer des jeunes travailleurs qui groupe deux cents apprentis environ, dont beaucoup sont originaires de la campagne. Leur adaptation à la ville et au travail d'usine ou de bureau pose de grands problèmes et il semble que la lecture les aide à les comprendre et, par là, à les résoudre. Ils organisent actuellement une discussion sur un livre tous les quinze jours.
Il est apparu bientôt qu'il fallait également faire quelque chose de plus pour les enfants. Plusieurs classes de fin d'études viennent avec leur instituteur choisir, tous les mois, une trentaine de livres. C'est maintenant un privilège particulièrement recherché de faire partie de l'équipe chargée de venir à la Bibliothèque choisir les livres pour les camarades.
Le Foyer de Lèves, pour l'enfance inadaptée et l'Internat d'éducation surveillée de Spoir, qui dépend du Ministère de la justice et accueille des enfants de sept à quatorze ans venus de toute la France, posait un problème un peu différent, surtout pour l'Internat de Spoir.
Ces enfants, enlevés à leurs familles et élevés en pleine campagne sont complètement séparés du monde normal. Ils lisent beaucoup et uniquement des livres sombres. En dehors des prêts de livres qui leur sont consentis, des groupes d'enfants (trois chaque semaine) viennent le jeudi après-midi à la Bibliothèque et assistent à « l'Heure joyeuse », animée par les jeunes normaliens. Ils prennent contact avec d'autres enfants et nouent des relations avec eux. Plusieurs semblent déjà plus épanouis et prêts à orienter leur lecture dans un sens un peu moins pessimiste. Plusieurs groupes ont décidé de présenter régulièrement un livre à leurs camarades.
Il était à craindre que ces nombreux prêts à l'extérieur ne vident un peu de sa substance la Bibliothèque centrale et l'on pouvait redouter une certaine dispersion. La fréquentation de la Bibliothèque en janvier avec 8 ooo volumes empruntés à domicile et 2000 consultés sur place prouve qu'il n'en a rien été. Ces chiffres montrent que la fréquentation de la Bibliothèque a décuplé par rapport à ce qu'elle était il y a trois ans. Les lecteurs des annexes viennent souvent y chercher un complément d'information. Elle reste un centre où tous se retrouvent et apprennent à se connaître. Des initiatives nouvelles y sont discutées.
A proximité, dans les locaux de l'ancienne Bibliothèque, rue Saint-Pierre, une maison provisoire de jeunes s'installe, où se tiennent des sessions de l'O. M. J. et notamment des sessions concernant les ciné-clubs.
Ce quartier du vieux Chartres, qui vit la naissance de la Bibliothèque municipale en 1804, essaye de renouer, à sa manière et dans la limite du possible, avec la tradition chartraine d'un humanisme adapté au monde présent et ce sont des jeunes que l'on voit maintenant parfois, parmi les lecteurs, consulter des manuscrits sur l'histoire de Chartres, dans des conditions matérielles assurément plus confortables que celles de l'ancien collège Saint-Michel.
P. S. Les Établissements Baudet-Donon-Roussel ont publié sous le titre : La Nouvelle Bibliothèque municipale de Chartres (Paris, Éd. « La Déesse », 1963), une brochure richement illustrée de 24 pages, avec une introduction de M. Julien Cain, un avant-propos de M. Joseph Pichard, maire de Chartres, une description de la nouvelle bibliothèque par Mme Suzanne de Cazeneuve et un exposé du parti architectural par M. Dominique Maunoury, architecte D.P.L.G.