L'association pour la conservation et la reproduction photographique de la presse (A.C.R.P.P.)
Le Bulletin des bibliothèques de France a entretenu ses lecteurs à diverses reprises 1 des études réalisées à la Bibliothèque nationale pour trouver une solution nouvelle au difficile problème de la conservation et de la communication des journaux.
Les procédés de conservation et de communication classiques soulèvent en effet de nombreuses difficultés et se heurtent parfois à des impossibilités formelles : difficulté de trouver de la place pour loger des collections effroyablement encombrantes, des crédits pour subvenir aux frais considérables de la reliure, du personnel pour classer et déplacer des volumes lourds, incommodes et fragiles, impossibilité enfin de conserver pour une durée en principe indéfinie, comme c'est le rôle des Bibliothèques nationales, des objets par nature même éphémères, des volumes dont le papier se détruit de lui-même en quelques dizaines d'années, par un processus interne auquel on n'a jusqu'ici trouvé aucun remède.
Le problème intéressait non seulement les bibliothèques et les dépôts d'archives, mais toutes les grandes administrations, ainsi que les organismes de presse, qui participèrent activement, dès 1956, aux études poursuivies tant sur le plan technique (définition des procédés et de l'appareillage), que sur le plan administratif et financier.
La reproduction photographique, et surtout le microfilm déjà largement employé à l'étranger pour les journaux, apparut dès l'origine comme susceptible d'apporter la solution cherchée, mais trop de servitudes grevaient encore cette technique : services de reproduction insuffisamment équipés pour une production à haut rendement, par suite prix de revient excessifs, délais inadmissibles, d'une part; d'autre part, appareils de lecture inadaptés à la lecture des journaux, mise en place du film délicate, difficulté de la recherche d'une page donnée, impossibilité de passer instantanément du microfilm à la photocopie, par agrandissement direct.
Les problèmes posés par la reproduction en grande série de journaux apparaissant décidément très différents de ceux qu'étaient accoutumés à résoudre les services photographiques existants, la décision fut prise de constituer un organisme nouveau et spécialisé.
C'est ainsi que fut créée, en mai 1958, l'Association pour la conservation et la reproduction photographique de la presse (A.C.R.P.P.), association régie par la loi de 190I, donc sans but lucratif, avec comme membres fondateurs, outre la Bibliothèque nationale : la Fédération nationale de la presse française, la Confédération de la presse française, l'Institut français de presse, la Direction de la documentation à la Présidence du conseil et la Direction des journaux officiels. M. Julien Cain, directeur général des Bibliothèques de France, a montré, en acceptant la présidence du Conseil d'administration, l'intérêt qu'il portait à ces questions; M. Jean Prinet, conservateur en chef du Département des périodiques de la Bibliothèque nationale, sous la direction duquel les études préliminaires se poursuivaient depuis 1954, assure le secrétariat général.
La première réalisation de l'A. C. R. P. P. a été la création, en mars 1959, grâce à une subvention du Ministère de l'Information (Fonds culturel), d'un atelier de reproduction de journaux sur microfilm, installé 4, rue Louvois, à proximité de la Bibliothèque nationale, maintenant en pleine activité, et dont nous ne saurions trop recommander la visite à ceux de nos collègues qui s'intéressent à ces questions.
Cet atelier utilise l'appareillage le plus moderne, en partie réalisé spécialement pour lui, sur les indications de la Bibliothèque nationale : caméra Kodagraph munie d'un porte-modèle à translation automatique permettant d'effectuer la prise de vue, d'après les journaux reliés, à la cadence de 3.000 images environ par jour, avec une seule personne; machine à développer automatique « Aiglonne », qui absorbe le film impressionné et le restitue quelques minutes plus tard développé et séché, prêt pour le tirage (négatif) ou l'utilisation (positif); « tireuse » (pour l'établissement de copies positives), susceptible de fournir 13.000 images positives à l'heure, et enfin appareil de lecture « Audomatic » (prototype) 2 pour bandes de film de 200 à 300 m, un chargeur correspondant à une année de quotidien, permettant une recherche extrêmement rapide des pages à consulter, et l'agrandissement sur papier en quatre minutes exactement de toute image, sans déplacement du chargeur.
L'automatisme très poussé de toutes les opérations permet un rendement élevé, avec un personnel très restreint (actuellement quatre personnes, y compris le secrétaire administratif), donc un prix de revient relativement bas.
En possession de l'instrument de travail remarquable que représente cet atelier, l'A.C.R.P.P. a élaboré un plan de reproduction de la presse française dont la mise en œuvre a aussitôt commencé. Deux groupes d'opérations sont réalisées parallèlement :
I. Reproduction sur microfilm de journaux faisant déjà partie des collections nationales, dans un ordre de priorité déterminé par les besoins reconnus et les demandes reçues.
2. Reproduction systématique des principaux journaux français actuels, dès leur sortie de presse.
L'Association cède à qui en fait la demande des copies positives des microfilms établis, au prix de revient, qui varie en fonction de divers éléments, notamment de l'état des collections originales et surtout du nombre de copies commandées simultanément, mais s'établit aux alentours de 10 F l'image (I page de journal grand format par image, 2 pages pour les journaux format « Journal Officiel »).
Périodiquement, l'Association publiera un catalogue des titres reproduits, envoyé gratuitement, sur demande, aux intéressés. Le catalogue n° 1 comporte déjà : Le Journal officiel de la République francaise (1957 →), Le Figaro (1944 →), La Croix (1883-1958), Combat (194I-1947), Le Populaire de Paris (1916 →), Le Parisien libéré (1944 →), Le Monde (1957 →), La Voix du Nord (1958 →), et une trentaine de reproductions partielles de collections de journaux anciens.
Le Mercure galant (I.765 volumes) est en cours de microfilmage selon les mêmes principes, mais par la Bibliothèque nationale, à la demande d'une bibliothèque étrangère, et des copies de ce film peuvent être cédées dans des conditions analogues.
En dehors des titres figurant aux « Catalogues », l'Association peut étudier la reproduction de tout autre titre, français ou étranger, sous réserve de l'autorisation des ayants droits éventuels, et à condition qu'il s'agisse de séries importantes. Elle fournit gratuitement des devis détaillés.
Il y a là pour les bibliothèques une formule d'un extrême intérêt. Outre les avantages bien connus du microfilm : gain de place considérable (trois années d'un quotidien sur microfilm tiennent exactement la place de deux mois d'un même quotidien relié), grandes facilités de communication, donc économie de locaux et de personnel, compensant rapidement le prix d'achat du microfilm, possibilité d'avoir plusieurs exemplaires d'un même titre (journal très souvent communiqué, ou archives de sécurité), faculté d'établir à très bon compte des « relais de conservation ». Les opérations de reproduction en cours ont mis en lumière un autre aspect de la question - que nous soupçonnions - sans pouvoir mesurer son importance : il est extrêmement rare que les collections de journaux anciens conservées dans les bibliothèques soient parfaitement complètes; même dans le cas le plus favorable de collections reliées, apparemment complètes et en bon état (et signalées comme complètes dans les catalogues), il est exceptionnel que ne manquent pas çà et là un numéro (numéros spéciaux surtout, souvent non inclus dans la numérotation), un supplément, un feuillet, ou même un morceau de page déchirée. Toute reproduction par les soins de l'A.C.R.P.P. est précédée d'une étude du journal à reproduire, menée grâce aux monographies historiques s'il s'agit de journaux anciens, avec le concours des administrations de presse s'il s'agit de journaux vivants; la collection dont dispose l'A.C.R.P.P. est confrontée si besoin est avec d'autres collections françaises et étrangères, il est fait appel aux spécialistes du Catalogue collectif des périodiques pour résoudre les cas difficiles - bref, rien n'est négligé pour procurer un microfilm aussi complet que possible et ne comportant en tout cas aucune lacune non signalée. Le résultat est que la plupart du temps, le microfilm fourni par l'A.C.R.P.P. est plus complet qu'aucune des collections connues : l'exemple du Mercure galant est particulièrement frappant, pour lequel ont été mises à contribution, outre la Bibliothèque nationale, les bibliothèques Mazarine, de l'Arsenal, de l'Institut de France, de l'Institut d'art et d'archéologie, de Toulouse, Dijon et Versailles, et dans lequel ne manquent plus, actuellement, que quelques pages, arrachées dans tous les exemplaires ( ?) par autorité de censure, avant la mise en vente. L'A.C.R.P.P. espère encore trouver un exemplaire épargné et pouvoir ainsi offrir aux lecteurs du microfilm les textes soustraits aux abonnés de 172I... Dans un domaine différent, certains numéros du journal Le Populaire n'ont pu être trouvés qu'en Hollande!
Les journaux régionaux et départementaux actuels posent d'autres problèmes, par la multiplication de leurs éditions locales qu'aucune bibliothèque ne peut conserver toutes : l'A.C.R.P.P. utilise largement le Catalogue collectif Journaux français 1944-1956, rédigé en 1958 à la Bibliothèque nationale, pour identifier et localiser toutes les éditions, et peut réunir sur un même film les pages principales et toutes les « variantes » (pages locales) parues chaque jour, donnant ainsi une image encore inconnue et souvent très révélatrice des grandes feuilles régionales.
De nombreuses bibliothèques et organismes étrangers ont déjà demandé des microfilms de journaux français, confirmant ainsi l'intérêt culturel du travail de l'Association; ce n'est pas en France seulement que les bibliothèques manquent de place, et il est certain que beaucoup d'institutions qui hésitaient à constituer des collections de journaux français, vont pouvoir maintenant mettre à la disposition de leurs lecteurs cette documentation si importante, sans charger outre mesure leur budget. Au fur et à mesure que le nombre des films positifs d'un même titre augmente, le prix de revient de chaque positif s'abaisse, ce qui permet, soit de diminuer le prix de cession, soit de financer la reproduction de séries « non rentables », mais d'un intérêt culturel certain (sauvetage de collections uniques ou dont la conservation ne peut être assurée dans de bonnes conditions, par exemple).
Les bibliothèques françaises doivent pouvoir bénéficier largement des efforts de l'Association; elles peuvent aussi l'aider, et beaucoup ont déjà été appelées à le faire, l'ont fait avec une parfaite obligeance, en facilitant la reproduction de leurs collections, ou en fournissant les renseignements demandés pour l'établissement des plans de travail.