« Les bibliothèques ont pris conscience de leur importance dans la société et de la nécessité de le faire savoir »
Entretien avec Barbara Lison, présidente de l’IFLA
Barbara Lison a pris le 25 août dernier la présidence de l'International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA). Directrice de la bibliothèque publique de Brême, en Allemagne, depuis 1992, cette professionnelle énergique et enthousiaste, très investie depuis de nombreuses années dans les instances associatives professionnelles allemandes, européennes et mondiales, évoque pour le BBF les principales tâches qui occuperont son mandant de deux ans, en particulier la poursuite du travail d'advocacy entamé depuis plusieurs années par l’IFLA et la mise en place de l'importante réforme des statuts de la fédération, qui prévoit notamment une plus grande représentativité des différentes régions du monde au sein du conseil d'administration.
BBF : Pouvez-vous nous présenter les axes de votre programme, intitulé « Libraries building a sustainable future » ?
Barbara Lison : Les bibliothèques sont des actrices importantes dans la réalisation des objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 de l’Organisation des Nations unies (ONU). Les bibliothèques contribuent par leur travail à bon nombre de ces objectifs, pas seulement en fournissant de l’information, condition indispensable à la réalisation des objectifs, mais aussi en ce qui concerne le soutien à l'égalité pour les femmes, une éducation de haute qualité, un développement durable des villes, ou la réalisation de la paix dans ce monde. L'IFLA poursuit son action pour faire connaître les effets du travail des bibliothèques dans la réalisation de ces objectifs, et pour inciter les bibliothèques elles-mêmes à recourir au plaidoyer afin d'attirer l'attention sur leurs réalisations. C'est l'une des tâches les plus importantes que je voulais décrire avec ma devise. Une autre tâche importante sera de garantir la durabilité de l'IFLA elle-même en assurant la mise en œuvre des nouveaux statuts adoptés en février dernier. Pour répondre à une demande de nos membres qui souhaitaient une plus grande représentativité au sein des instances de gouvernance et de décision, ces statuts prévoient la création d'un conseil spécial qui rassemblera des représentants des six grandes régions du monde telles qu'elles sont définies par l'ONU : Europe, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Moyen-Orient et Afrique du Nord, Afrique, Asie et Océanie. C'est totalement nouveau et cela constitue un cap important pour l'IFLA qui va ainsi renforcer la représentation des différentes cultures professionnelles du monde. Je suis très heureuse que dans le conseil européen il y ait, avec Frédéric Blin de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNUS), un collègue français. Autre changement, le nombre de membres du conseil d'administration de l'IFLA sera réduit de 18 à 11 personnes afin de garantir une plus grande réactivité et une plus grande efficacité dans les prises de décision. Sous mon mandat, nous devrons également entamer les discussions pour le prochain plan stratégique de l'IFLA pour la période 2024-2029 qui devra être sur les rails quand je quitterai la présidence en août 2023. Je compte également poursuivre le travail d'advocacy de l'IFLA, renforcer le dialogue avec les adhérents et assurer la durabilité financière de l'IFLA car les programmes d'envergure que nous développons nécessitent de l'argent.
BBF : Parmi vos projets, vous souhaitez développer un droit de prêt numérique équitable. Comment y parvenir en satisfaisant également les intérêts des éditeurs et des ayants droit ?
Barbara Lison : La conception du fair use n'est effectivement pas la même pour les bibliothécaires et pour les éditeurs. L'IFLA travaille à différents niveaux avec les organisations représentant les ayants droit et les éditeurs pour parvenir à une définition commune. Je souhaite poursuivre le dialogue, entamé il y a deux ans et interrompu par la pandémie, au cours duquel nous avions évoqué non pas nos différences d'opinion mais nos intérêts communs et, à partir de là, la manière dont cela pourrait se traduire dans un accord satisfaisant pour tout le monde. Nous ne sommes pas les adversaires des éditeurs mais notre partenariat pourrait être approfondi. Pour moi, le fair use est un objectif concret, pas un mot creux. Pour y parvenir, l'IFLA doit être un partenaire actif notamment au sein de la World Intellectual Property Organization (Wipo).
BBF : Vous avez commencé à prendre des fonctions dans la gouvernance de l'IFLA en 2011. Qu'est-ce qui a changé en 10 ans pour la Fédération et pour les bibliothèques ?
Barbara Lison : En ce qui concerne l'IFLA, le principal changement a été le développement de sa mission d'advocacy. Quand je suis entrée au conseil d'administration de l'IFLA en 2011, la vocation de la fédération était principalement de contribuer à améliorer le niveau professionnel des bibliothèques, de diffuser les bonnes pratiques, d'aider les établissements et les personnels à se professionnaliser dans les pays où ce n'était pas encore le cas. Mais à partir de la présidence de Claudia Lux, de 2007 à 2009, et de son programme « Libraries on the Agenda », l'IFLA s'est donné pour mission de faire exister les bibliothèques dans les agendas politiques à tous les échelons. Depuis, elle a développé de nombreuses actions dans ce sens, mais aussi de nombreux outils – ressources en ligne, programmes de formation – pour que les bibliothèques ou associations de bibliothèques acquièrent les moyens d'assurer elles-mêmes leur promotion à l'échelle nationale ou locale. Je crois que cela a contribué à ce que les bibliothèques prennent conscience de l'importance de leur impact sur la société, et de la nécessité de ne plus rester timidement en arrière de la scène mais de faire entendre leur voix pour valoriser leurs actions. Du côté des bibliothèques, le principal changement depuis 10 ans, c'est l'impact du numérique. Les bibliothèques ont compris que cela n'allait pas tuer leur activité mais leur ouvrir de nouvelles possibilités. Parallèlement, ce qui a beaucoup changé également, c'est la conception de l'accueil du public, devenu central dans les bibliothèques publiques comme dans les bibliothèques académiques, avec le développement d'espaces conviviaux dans l'esprit troisième lieu.
BBF : Quel a été l'impact de la pandémie sur les bibliothèques ?
Barbara Lison : La pandémie, qui a été un fil rouge tout au long du congrès de cette année, a été pour les bibliothèques comme pour tous les établissements dont la vocation est d'accueillir du public, terrifiante. Alors que, comme je le disais précédemment, l'une des tendances fortes des dernières années a été l'importance accordée à l'accueil des usagers et la création d'espaces physiques accueillants, la pandémie, en contraignant les établissements à la fermeture, a constitué un gros pas en arrière. Mais les bibliothèques se sont montrées très inventives pour rester en contact avec les usagers, pour développer des services en ligne et pour continuer à fournir les documents physiques. L'effet positif est qu'on a vu l'importance qu'occupent les bibliothèques auprès de la population. La grande question, maintenant, est de savoir si les usagers vont revenir en bibliothèque comme avant ou si les pratiques qui se sont développées pendant la crise sanitaire, la consommation de loisirs culturels via les plateformes en ligne notamment, vont modifier durablement les habitudes des gens. Je suis optimiste car les bibliothèques offrent des programmes d'activités vraiment inspirants.
BBF : Quel bilan tirez-vous du congrès ?
Barbara Lison : Le congrès de cette année a été un véritable moment fort à l'IFLA. Bien sûr, il n'y avait pas de contact social, pas de discussions directes dans les domaines techniques, pas de bavardages, ni de rencontres de nouveaux collègues. Mais nous avons été surpris d’avoir eu près de 3 000 inscrits. Il y a même eu des participants qui sont restés éveillés la nuit pour assister aux présentations dans un fuseau horaire différent du leur ! Les réactions dans les chats et dans les emails ont été extrêmement positives. Ce qui a été très bien reçu, ce sont les présentations des représentants d'autres organisations non gouvernementales, qui m'ont parlé, ainsi qu'à la précédente présidente de l’IFLA et au secrétaire général, des problèmes actuels du changement social et technique mondial et ont discuté du rôle des bibliothèques dans ce contexte.
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