« Les alliances d’universités européennes sont une nouvelle opportunité pour la documentation »
Entretien avec Johann Berti
Le 27 septembre s’ouvrira à Marseille la 50e édition du Congrès de l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU). Programmée initialement en 2020 et annulée en raison de la crise sanitaire, cette édition se penchera sur les recompositions du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et leur impact sur la documentation. Rencontre avec Johann Berti, directeur du service commun de la documentation (SCD) d’Aix-Marseille Université, pilote de la commission « Métiers » de l’ADBU et coorganisateur avec Sandrine Gropp, directrice du SCD de l’université de Montpellier et vice-présidente de l’ADBU, de la journée d’étude de cette 50e édition.
BBF : Qu’est-ce qui a motivé le thème du congrès, « la carte et les territoires » ?
Johann Berti : C’est le thème qui avait été choisi pour l’édition 2020 où nous devions fêter les 50 ans de l’association. Nous voulions, avec ce sujet, interroger le rôle des BU au prisme des transformations à l’œuvre dans les universités depuis la dernière décennie avec la loi sur l’autonomie des universités dite LRU puis la loi Fioraso, et explorer les différents échelons qui nous semblent caractéristiques de ces évolutions, territorial, national, européen et international. Avec Sandrine Gropp, nous avons bâti un programme à la fois rétrospectif, pour donner un coup d’œil dans le rétroviseur à l’occasion de l’anniversaire de l’ADBU, mais aussi tourné vers le présent et surtout vers l’avenir. Nous avons sélectionné différents types de formats et différents profils d’intervenants, des professionnels de l’ESR, bien sûr, mais aussi des sociologues, des géographes, des responsables politiques des universités.
BBF : Quels sont les principaux impacts de la restructuration des universités sur la documentation ? La crainte initiale des bibliothécaires de voir les inégalités entre établissements se creuser s’est-elle avérée fondée ?
Johann Berti : L’un des traits saillants des réformes successives est d’avoir rendu de plus en plus marquées les politiques d’établissements d’où, effectivement, des écarts qui peuvent se creuser, mais je ne parlerais pas d’inégalités. Il y a des différences très factuelles concernant la taille des établissements, leur implantation géographique, disciplinaire, qui induisent des stratégies et des positionnements différents. Le choix du type de regroupement des universités a aussi un impact. On voit que les fusions d’établissements ont souvent créé des dynamiques très fortes dont les services documentaires ont bénéficié, avec des moyens financiers accrus, des projets structurants qu’ils soient immobiliers ou à travers les initiatives d’excellence (IDEX). Les autres types de regroupements comme les communautés d’universités et établissements (COMUE) ou les associations ont des impacts moins visibles ou moins immédiats, peut-être parce qu’ils ont été davantage imposés alors que les fusions reposaient sur des politiques d’établissements locales. Concernant les services documentaires, je dirais que les lois sur l’autonomie des universités et les compétences élargies ont eu tendance à renforcer la place et le rôle des bibliothèques en les intégrant davantage dans les politiques des établissements. Aujourd’hui, le service documentaire doit, comme n’importe quel autre service ou direction de l’université, justifier ses moyens en inscrivant son projet dans la stratégie de son établissement. Il doit montrer son utilité, son efficience, se rendre plus visible et plus lisible. Les bibliothèques interviennent comme appuis à la formation, à la recherche, à la vie étudiante, dans le domaine du numérique, autant de pans qui sont centraux dans la politique des établissements.
BBF : Ces transformations ont-elles changé l’ancrage territorial des bibliothèques mais aussi le rôle de la documentation à l’échelle internationale ?
Johann Berti : Oui, effectivement. Les universités ont toujours eu une stratégie à l’international mais au cours de la dernière décennie en France, l’effort a porté sur les politiques de site, la cohérence au niveau territorial et régional. Aujourd’hui, les alliances d’universités européennes qui se mettent en place essaient, elles aussi, de créer un maillage qui, même s’il se situe à une échelle plus large, reste cohérent avec la notion de territoire. Les projets de ces alliances créent un cadre qui peut être propice à la coopération entre services, notamment documentaires, car ils ont souvent un engagement politique assez marqué et mettent l’accent sur des sujets tels que la science ouverte, la citizen science, les ressources pédagogiques ouvertes, la lutte contre la désinformation, la citoyenneté, la coopération, les réseaux. Autant de sujets qui sont des clés d’entrée pour les services documentaires. L’articulation entre les maillages, qui sont en train de se mettre en place à ces différentes échelles, constitue un point important, sur lequel nous avons encore peu de recul, et qu’on essaiera de creuser pendant la journée d’étude du congrès.
BBF : Une enquête menée en 2020 par l’ADBU auprès des professionnels sera présentée pendant le congrès. Pouvez-vous nous en dévoiler les principaux enseignements ?
Johann Berti : L’ADBU avait lancé cette enquête début 2020 pour demander aux directrices et directeurs de services documentaires comment ils voyaient l’évolution de la documentation dans l’ESR et l’évolution du rôle de l’ADBU. Depuis, la crise sanitaire est passée par là et a bouleversé beaucoup de choses mais l’enquête garde son intérêt en tant qu’instantané de ce que pensaient les collègues avant cette fracture. Les résultats mettent en lumière les grands enjeux et les dossiers stratégiques pour la documentation. Le premier est l’appui à la formation et à la réussite étudiantes, avec notamment tout ce qui concerne la maîtrise des compétences informationnelles, qui sont déjà largement intégrées dans les cursus. Concernant l’appui à la recherche, le développement de la science ouverte, dont les bibliothèques ont souvent été les fers-de-lance, permet de renouer un dialogue fécond avec les chercheurs et de reposer les enjeux des modèles éditoriaux et économiques liés aux publications. Beaucoup d’enjeux sont signalés également pour ce qui est de la vie étudiante. Les bibliothèques s’appuient sur des démarches qualité très structurées, qui sont souvent à la pointe dans leurs établissements, pour améliorer leurs services sur place et à distance. Elles ont aussi une place importante dans la vie culturelle des universités et dans le domaine du patrimoine scientifique.
BBF : Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur les BU ?
Johann Berti : Je crois que cette crise a permis d’asseoir définitivement les bibliothèques comme des facteurs essentiels de lien social dans les établissements de l’ESR, que ce soit sur place ou à distance, et de montrer qu’elles ne sont pas seulement des lieux d’étude, de travail et de recherche mais aussi de sociabilité, d’ouverture, d’équité, par exemple en agissant contre la fracture numérique. Ce sont des lieux qui se sont révélés vitaux, souvent parmi les rares à être restés ouverts et accessibles sur les campus pendant la pandémie. La crise a aussi montré que, même si les services et ressources à distance étaient déjà bien développés, il restait une marge de progression importante. Il y a eu une explosion des statistiques d’utilisation des services de questions/réponses, notamment synchrones comme les chats. Concernant les ressources électroniques, on a eu du mal à répondre complètement aux besoins des étudiants de premier cycle qui n’avaient plus accès à la documentation papier, ce qui est dû en partie à l’offre éditoriale qui n’est pas encore satisfaisante sur ce segment. Même si les services en ligne ont connu une explosion, la crise sanitaire a paradoxalement montré que les lieux physiques restaient absolument indispensables et a dégonflé, sans doute définitivement, l’affirmation qu’on entendait encore il y a quelques années selon laquelle les espaces physiques des bibliothèques étaient appelés à disparaître.
BBF : L’ADBU fête ses 51 ans cette année. Qu’est-ce que signifie être une association professionnelle aujourd’hui ?
Johann Berti : C’est une bonne question. Face à l’hétérogénéité du paysage de l’ESR qu’on évoquait, une association professionnelle permet d’offrir aux établissements de tout type, quels que soient leur configuration et leur contexte, un lieu d’échange sur des problématiques communes. Elle peut être un soutien, une aide pour faire communauté. C’est le sens des cinq commissions thématiques de l’ADBU qui rassemblent des professionnels autour d’un sujet pour produire des ressources qui serviront à toute la communauté. Le deuxième axe que je vois est l’action de lobbying ou en tout cas de discussion avec le ministère, l’inspection générale et les structures ayant des missions nationales telles que l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur, le Comité pour la science ouverte. Un des rôles de l’association est de faire évoluer l’image des bibliothèques en menant des actions de plaidoyer. L’ADBU poursuit le travail entamé sous le précédent mandat avec le slogan « les grandes idées commencent ici », sous-entendu « dans les bibliothèques universitaires ». La crise a illustré de façon frappante la capacité qu’ont les bibliothécaires à se parler, à créer du réseau et à en faire émerger des idées.
BBF : Contrairement à nombre de vos collègues vous avez opté pour un congrès en présentiel. Pourquoi ce choix ?
Johann Berti : Quand la crise sanitaire a débuté, nous étions déjà très largement investis dans les préparatifs du congrès avec des engagements financiers auprès des prestataires. Nous avons pris la décision difficile d’annuler l’édition 2020 mais le président de l’ADBU a tout de suite annoncé que celle de 2021 se ferait à Marseille comme prévu initialement si les conditions le permettaient. On a pensé que, même si nous avons continué à faire réseau avec des assemblées générales et des réunions de commissions thématiques virtuelles, les collègues avaient envie de se retrouver en vrai, de partager le plaisir d’être ensemble. Pour le conseil d’administration de l’ADBU et les équipes d’Aix-Marseille Université qui travaillent depuis longtemps à l’organisation de ce congrès, c’est important de l’accueillir comme prévu.
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