Le réseau des bibliothèques d’archives
Retour sur un groupe de travail associatif
Le groupe des bibliothèques d’archives (BA) fête ses 10 ans d’existence. Engagé dans les stratégies de valorisation patrimoniale et de travail collaboratif, ce réseau professionnel compte aujourd’hui parmi les acteurs du monde des archives, il est également considéré comme un interlocuteur significatif dans la sphère des bibliothèques spécialisées.
Naissance du groupe et premières actions (2013-2015) : se positionner
La genèse de ce groupe métier, né en 2013, est à mettre au crédit de Véronique Bernardet (Archives départementales [AD] des Bouches du Rhône) et de Sabine Souillard (Archives départementales de Seine-Saint-Denis). Après avoir mené un travail collaboratif avec la rédaction du guide Bibliothèque d’archives publié par l’Association des archivistes français (AAF) en 2010, la volonté commune s’installe pour fonder un groupe métier afin de prolonger le travail entrepris sur le guide, et de poursuivre la réflexion sur la transversalité des métiers des bibliothèques et archives.
Grâce à l’AAF, qui donne son accord pour la création d’un groupe de travail des bibliothèques d’archives (GTBA), le projet est réamorcé fin 2012 1
. Il est alors articulé selon des objectifs précis, des actions à programmer et des moyens à mettre en œuvre à partir d’une fiche explicative soumise à l’AAF. La parution d’un article dans La Lettre des Archivistes à l’automne 2013 annonce la création officielle d’un groupe de travail des bibliothèques d’archives. Cette annonce est suivie de nombreuses réactions des services d’Archives municipales ou départementales qui contactent les cofondatrices du groupe pour en faire partie.Le choix de l’AAF comme institution soutien s’est imposé de lui-même car les BA sont abritées par l’institution Archives. Il convenait de marquer la reconnaissance de la communauté des archivistes et le rôle à jouer de nos bibliothèques au sein des services d’archives. Cependant, il nous fallait aussi faire connaître notre existence dans les associations de bibliothécaires, avec qui nous avons en commun de nombreux fondamentaux professionnels. La parution d’un article dans la revue Bibliothèques en mars 2013 entre dans cette stratégie.
Le réseau se réunit pour la première fois en novembre 2014 dans les locaux de l’Association des bibliothécaires de France (ABF) à Paris en présence de neuf personnes. La gouvernance du nouveau groupe privilégie la participation des membres et la coconstruction d’actions, en proposant par exemple la rédaction de fiches pratiques ou la réflexion pour la constitution d’ateliers. Chaque membre peut donner son avis grâce à la rédaction d’un billet sur le blog Des livres aux archives 2
créées en 2014. Une charte documentaire est publiée sur la page d’accueil. L’idée est d’expliciter et de promouvoir le caractère spécifique des bibliothèques (définition, missions, acquisitions). Ce document de cadrage nous positionne à la fois aux côtés des archivistes et des bibliothécaires, il constitue alors un point d’appui pour nos travaux en cours et à venir. Notre charte définit les BA et leur politique documentaire en fonction des missions à remplir et des publics à desservir. Elle traduit la vocation d’une BA, quelle que soit sa tutelle archives, et énonce sa fonction documentaire en incitant à réfléchir sur des acquisitions partagées.La promotion du GTBA bénéficie d’une journée d’étude ayant pour thème « La bibliothèque dans un service d’archives » qui a lieu aux AD de Côte-d’Or en décembre 2014. Le groupe de travail est convié afin de présenter la démarche ayant amené à sa constitution. Des participants sont alors intéressés pour s’inscrire au sein du groupe de travail qui, assez vite, va prendre l’étoffe d’un réseau. Peu à peu, les bibliothèques d’archives vont adopter le sigle BA qui va s’officialiser dans les écrits.
Un groupe grandissant (2016-2018) : coopérer et construire
À l’aube de 2016, les actions du groupe de travail se précisent avec la mise en place d’un annuaire des BA (communales, départementales, nationales), cet outil permettant de mieux connaître les collections et les progiciels des BA. L’assise du groupe de travail au sein de l’AAF nous permet de bénéficier de financements pour organiser des événements. En effet, la première journée d’étude « Bibliothèques d’archives et bibliothèques publiques, main dans la main » 3
nous amène à contacter de nombreux intervenants. Plus de 50 participants assistent à cette rencontre établie sous la thématique de la coopération entre bibliothèques, centres de documentation et musées : mutualisation des collections, des outils et des actions de valorisation. L’intervention d’Éric Delpech (AD du Var) autour du prêt à domicile 4 pose la double question de la nécessité et de la possibilité de prêter des documents considérés comme patrimoniaux puisque conservés dans un service d’archives. L’expérimentation du prêt à domicile aux AD du Var concerne 2 000 documents récents et exposés en salle de lecture, susceptibles d’attirer l’attention des publics car s’agissant de livres d’histoire locale, de généalogie et de psychogénéalogie en vogue depuis quelques années. Ce projet a réussi à aboutir car il a bénéficié d’un changement de SIGB permettant la gestion des ouvrages communiqués à l’extérieur. Au sortir de cette journée, une préconisation émerge : les livres prêtés doivent être achetés en deux exemplaires, le premier, destiné à la salle de lecture, le second, conservé en magasin. Si certaines bibliothèques patrimoniales prêtent des ouvrages parfois anciens lorsqu’elles disposent de plusieurs exemplaires, d’autres émettent toutefois une réserve et estiment que la pratique n’est pas au prêt mais plutôt à la consultation sur place via le prêt entre bibliothèques (PEB). Le thème autour du prêt à domicile a soulevé de nombreux débats depuis cette journée d’étude car il demeure un sujet délicat, et nécessite de dépasser la crainte de perdre des documents, même si des services d’archives (Var et Val-d’Oise) ou des bibliothèques spécialisées proposant le prêt ne constatent aucun document perdu ou volé. Une fiche pratique sur ce sujet est rédigée l’année suivante, validée et mise en ligne sur le site de l’AAF.La 2e journée d’étude organisée le 8 novembre 2018 au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne a pour thème la littérature grise, documentation ô combien spécifique des BA. Sa complexité en matière de définition, d’identification, de catalogage, de communication et de diffusion, rend sa gestion d’autant plus ardue. Les nombreuses thématiques abordées mettent en avant des pistes de gestion et de valorisation, car la littérature grise bien qu’occupant une place considérable dans les collections de BA, demeure souvent méconnue.
Un groupe reconnu au sein des réseaux professionnels (2019-2022) : animer et participer
2019 et le début d’année 2020 constituent un tournant pour le réseau qui participe de plus en plus à des événements différents et extérieurs à ses propres manifestations. Tout d’abord, la participation au Forum des archivistes (AAF) à Saint-Étienne du 3 au 5 avril 2019 en présentant, entre autres, deux posters, l’un sur le thème du prêt en bibliothèque d’archives, l’autre sur les témoignages de guerre marquant la dimension plurielle des sources archives et collections de bibliothèques. Ces posters drainent des échanges positifs avec les participants et confortent le groupe de travail dans sa volonté d’être associé par la suite à des journées auprès des archivistes. En février 2020, la participation aux réunions annuelles de la section des archivistes départementaux (RASAD) participe de la même volonté de s’intégrer aux réseaux professionnels archivistiques. Le groupe de travail y anime un atelier intitulé « Quelle mise en valeur des catalogues des bibliothèques des archives ? ». Dans la même teneur transversale, le dossier central d’Archivistes ! de janvier-mars 2020 (numéro 132) est consacré aux « Bibliothécaires et archivistes, regards croisés sur un tandem engagé ».
Le groupe de travail se voit également sollicité pour intervenir à l’occasion de la journée d’étude du 18 novembre 2019 organisée par la Commission Bibliothèques universitaires / bibliothèques spécialisées de l’ABF et consacrée aux « bibliothèques spécialisées au service de la diversité des savoirs » avec une présentation des collections des Archives nationales d’outre-mer (ANOM), et une coprésentation sur le métier de bibliothécaire d’archives.
En parallèle des journées d’étude annuelles, une nouvelle formule de rencontre professionnelle est conçue, dédiée davantage aux membres du réseau et à leurs préoccupations pour gérer leurs bibliothèques. La première rencontre professionnelle de ce type est organisée le 10 octobre 2019 à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris sur le thème « À la découverte des fonds patrimoniaux en bibliothèques d’archives : typologie, gestion, conservation, valorisation & enjeux ». Cette journée a permis, à travers les retours d’expérience ou les exposés photographiques, de faire le point sur la notion de fonds patrimoniaux et la manière de gérer et conserver des collections d’ouvrages anciens et parfois rares.
Les trésors patrimoniaux des BA requièrent un savoir-faire en termes descriptifs de catalogage, cotation et indexation. Leur traitement finalisé réclame aussi des actions de valorisation afin de les promouvoir ensuite auprès des publics. La valorisation devenant un sujet récurrent dans les discussions, la seconde rencontre professionnelle, organisée le 18 novembre 2021 au Centre culturel irlandais, a eu pour thème « La valorisation dans les bibliothèques d’archives, option ou mission ? D’une fonction facultative à une mission devenue impérative ». Cette rencontre, réunissant près de 50 professionnels, bibliothécaires et également quelques archivistes, confirme la vocation du groupe de travail à pérenniser ses manifestations (journées d’étude et rencontres professionnelles) en faisant appel tant à ses membres qu’aux personnes extérieures.
En raison du contexte sanitaire contraint en 2020, la 3e journée d’étude, consacrée au numérique, est reportée aux 1er et 2 avril 2021 sous forme d’un webinaire de deux demi-journées intitulées « BA à la conquête du net plus ultra ! Le numérique dans tous ses états ». Elles permettent de s’interroger sur la place des bibliothèques d’archives au regard des services numériques, de la numérisation des documents, des salles virtuelles. À cette occasion, les résultats de l’enquête réalisée les mois précédents sur la place des BA sur le Web sont présentés. 94 bibliothèques sont présentes sur le Web et y sont entrées en moyenne entre 2000 et 2020, l’absence d’une BA sur le site institutionnel du service peut parfois s’expliquer par le manque de temps et de force vive ou par une visibilité située sur des sites mutualisés et/ou des catalogues collectifs. Les documents numérisés, notamment la presse, bénéficient souvent d’un chemin différencié. Outre l’espace qui leur est consacré, les BA émargent aussi sur les pages « Actualité », sur l’état des fonds, les expositions virtuelles, les fiches pratiques, les archives et les inventaires en ligne. Il ressort de ces demi-journées d’étude que les rubriques consacrées au BA, au sein de leurs portails archives, sont de plus en plus attrayantes et sophistiquées. Nombreux sont les catalogues de BA qui commencent à fonctionner en réseau, avec des liens pour évoluer via les réseaux sociaux. Et les BA présentent aussi des expositions virtuelles. Les systèmes intégrés de gestion de bibliothèque (SIGB) présentent souvent des difficultés, mais ils sont de plus en plus mutualisés avec les bibliothèques du département et les musées dans un souci d’interopérabilité.
En 2022, le réseau poursuit sa volonté de participer aux manifestations susceptibles de valoriser les missions et collections des BA. Le groupe participe en mai au Mois de l’engagement organisé par l’AAF. Il présente une frise chronologique résumant l’ampleur des actions menées depuis 2013. À l’occasion d’une conférence-atelier à l’Institut national du patrimoine (INP), il lance les bases d’un projet autour des « perles » (documents remarquables qu’ils soient anciens, rares ou originaux) conservées au sein des BA municipales et départementales sur tout le territoire français.
Outre ce projet axé sur les documents d’exception à faire connaître auprès des institutions culturelles et des publics, la thématique centrée sur la place des bibliothèques dans les salles de lecture se confirme au regard des nombreuses tentatives de BA d’aménager leurs espaces différemment en salle de lecture : exposer davantage de documents, développer le libre accès, aménager ou réaménager l’espace documentaire avec du mobilier plus adapté. Une fiche pratique sur les usuels, en cours de rédaction, accompagne cette réflexion et cette volonté de mettre en avant les BA au sein des salles de lecture archives. Cette fiche pratique induit alors le thème élu pour la 4e journée d’étude : « Salles de lecture sous toutes leurs coutures ! Usagers et usuels : des pratiques novatrices dans de nouveaux espaces ? » qui se déroule à la Cinémathèque française le 24 novembre 2022 accueillant pas loin de 90 participants. Au-delà du traditionnel libre accès cantonné aux usuels, plusieurs intervenants ont démontré que désormais de nouveaux types d’ouvrages et de supports sont proposés et présentés dans les salles de lecture des bâtiments d’archives. Dans de nombreux services, des dynamiques naissent ou sont en projet afin de travailler à l’agencement des salles de lecture et de proposer des services novateurs. Les BA souhaitent favoriser la mobilité et la circulation des publics par une signalétique clarifiée et une offre de mobilier adapté. Mais il convient de rendre ces espaces encore plus inspirants. Bien des questions restent encore ouvertes, tant les expérimentations demeurent à explorer pour aller à la rencontre du public.
Un réseau inscrit dans la durée pour consolider activités et projets (2023) : se renouveler
Depuis janvier 2023, des « perles » des BA sont dévoilées deux fois par mois sur les réseaux sociaux de l’AAF et ce jusqu’à décembre 2023. Il est prévu qu’une campagne de capsules vidéo soit menée afin que des membres puissent évoquer leurs parcours, leur vision du métier BA, leur ressenti sur les pratiques du métier depuis l’existence du réseau. Ces vidéos seront présentées lors de la prochaine rencontre professionnelle qui se tiendra à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec), les 23 et 24 novembre 2023. Ce moment cristallisera tous les efforts menés par notre réseau afin de le rendre plus prégnant dans le monde des bibliothèques. Le sujet portera sur la médiation et des personnalités invitées devraient répondre à l’appel, ce qui suscitera débats autour des enjeux patrimoniaux de nos collections et de nos missions.
Le GTBA compte aujourd’hui parmi les autres réseaux professionnels, avec une diversité de profils de ses 140 membres qui échangent régulièrement ou ponctuellement sur une liste de discussion 5
. Il souhaite continuer à affirmer sa politique documentaire et sa politique de valorisation en coopérant avec d’autres établissements. Son rôle complémentaire des fonds archivistiques lui permet de jouer sur les transversalités archives-bibliothèques en visant des publics diversifiés. Chaque nouveau projet contribue à soutenir le réseau, à s’entourer de nouveaux partenaires et à le diriger vers de nouveaux publics.