« Ce qui caractérise les bibliothèques aujourd’hui est leur capacité d’adaptation face au changement »
Entretien avec David Aymonin
Annulées en 2020 en raison de la crise sanitaire, les Journées de l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (Abes) se dérouleront cette année les 12 et 13 octobre à Montpellier sur le thème « Ensemble, donnons de l’élan à nos métiers ! ». À cette occasion, nous avons rencontré le directeur de l’Abes, David Aymonin.
BBF : Les prochaines « JAbes » aborderont les évolutions des métiers et des missions des bibliothèques universitaires et de recherche. Quelles en sont, selon vous, les principales tendances ?
David Aymonin : Ce que j’observe au niveau international, notamment aux États-Unis, c’est un renouveau du prêt entre bibliothèques. La crise budgétaire de ces dernières années, accentuée par la pandémie, a conduit les grandes bibliothèques universitaires à s’organiser pour développer des systèmes de fourniture de documents à distance très performants. Pour elles, la problématique est désormais moins de posséder des ressources que de les partager en réseau afin de les mettre le plus possible à disposition des utilisateurs.
Une autre évolution est que le développement conséquent des ressources documentaires en accès ouvert conduit les bibliothèques à se repositionner en tenant compte d’outils de type Open Access Button ou Unpaywall ou divers moteurs de recherche spécialisés qui donnent accès aux ressources scientifiques ouvertes et qui concurrencent les catalogues des bibliothèques. Ces dernières vont devoir s’investir dans la construction d’outils de signalement qui permettent d’intégrer les ressources ouvertes dans les catalogues traditionnels, l’enjeu étant de rendre visibles ces ressources à travers des plateformes et des métadonnées de qualité. Enfin, les bibliothèques, devenues à la fois utilisatrices et productrices d’identifiants, contribuent de plus en plus par leur travail sur les métadonnées à relier les documents et les données sur leurs auteurs en intégrant les grands identifiants standards comme ORCID ou les DOIs.
On voit aussi de plus en plus de bibliothèques s’impliquer dans la chaîne éditoriale de production littéraire et scientifique, notamment en accès ouvert, d’où un rapprochement avec les presses universitaires et l’installation de plateformes numériques de flux, comme l’a fait la bibliothèque de l’université de Lyon 3 avec Métopes.
La dernière tendance que j’observe est la généralisation des actions de numérisation du patrimoine documentaire. Cela a commencé il y a plusieurs années, mais le résultat n’était pas toujours complètement abouti. Aujourd’hui, on voit une deuxième ou troisième génération de numérisations réalisées avec des outils plus performants tels que NumaHop, qui intègre toutes les étapes de la numérisation, et avec un meilleur savoir-faire chez les bibliothécaires. Ces facteurs, ajoutés à l’impulsion qui sera donnée par le programme national de numérisation porté par Persée font que davantage d’établissements se lanceront dans des campagnes de numérisation.
En ce qui concerne plus spécifiquement le contexte des bibliothèques françaises, ce qui me frappe c’est l’hétérogénéité des situations. Les bibliothèques font face à beaucoup de facteurs qui bouleversent leur fonctionnement, récemment la crise du Covid-19, mais aussi la massification des études supérieures, les contraintes budgétaires et en matière de ressources humaines, la transition bibliographique, l’évolution vers le cloud, les transformations des universités. En fait, la principale tendance est peut-être la grande capacité d’adaptation dont font preuve les bibliothèques et leurs équipes pour s’adapter rapidement et avec succès à tous ces changements internes et externes.
BBF : Comment ces changements se traduisent-ils en termes de formation et de diversification des profils professionnels ?
David Aymonin : La table ronde programmée pendant les Journées Abes essaiera d’apporter des éléments de réponse à cette question. La problématique, que résumait récemment très clairement Christophe Pavlidès, le directeur du centre de formation Médiadix, est de savoir si les professionnels de l’information doivent se former pendant leurs études ou une fois en poste. Pour ce qui est de l’ouverture des recrutements à de nouveaux profils issus d’autres filières que celle des bibliothèques, la diversification des missions fait que c’est déjà largement le cas, et désormais presque partout, les équipes sont composées de collègues issus des filières techniques et de la filière bibliothèques. Ce qui me semble important aujourd’hui, c’est que les établissements aient un projet de formation continue et que les professionnels en formation ou en poste soient sensibilisés aux mutations qui sont en train de s’opérer telles que l’indexation automatique ou les applications de l’intelligence artificielle aux traitements documentaires.
BBF : Comment l’Abes accompagne-t-elle les établissements dans ces mutations ?
David Aymonin : Tout d’abord, pour économiser le temps de chacun, nous visons la simplification administrative. L’augmentation des services et prestations proposés par l’Abes a conduit à la multiplication des conventions entre l’agence et les établissements. Nous sommes actuellement en train de réduire le nombre de ces conventions. Cela peut paraître anecdotique mais cela facilite grandement le quotidien de tout le monde dans les établissements comme à l’Abes.
Nous proposons aussi de plus en plus de services que les établissements de notre réseau peuvent utiliser par eux-mêmes en autonomie, sans passer par nous, tout en gardant la philosophie de départ du Sudoc, basée sur la notion de mutualisation et de partage. En cette période de pénurie de moyens et de gestion drastique des priorités, il faut permettre que chaque établissement puisse travailler plus vite et plus efficacement, tout en s’assurant que ce travail puisse bénéficier à tous. C’est dans cet ordre d’idées que nous avons ouvert un espace de codéveloppement sur GitHub où les collègues qui ont développé des applications peuvent les partager avec tout le réseau. On ne partage plus seulement des notices créées à l’unité, mais aussi de plus en plus de lots de notices et des outils de traitement des données.
Un autre travail de l’Abes consiste à accepter que les données créées par les bibliothécaires soient reliées aux grands systèmes d’information et de recherche nationaux et aux bases de données utilisées par les chercheurs, afin de valoriser cette matière première de haute qualité auprès des communautés scientifiques et techniques. IdRef, la base des autorités gérée par l’Abes, est constituée des notices fournies depuis des années par les bibliothécaires des réseaux. L’importance et la qualité de ce réservoir de données font qu’il est devenu une référence pour de nombreux usages. Depuis 2017, nous nous sommes associés à près d’une dizaine de projets CollEx-Persée portés par des binômes chercheurs/bibliothécaires et axés sur le traitement documentaire de fonds spécifiques ou de fichiers d’autorités, notre apport consistant à fournir les métadonnées d’IdRef nécessaires à ces projets. Des partenariats avec les bibliothèques des pays francophones ou avec des opérateurs nationaux comme Persée ou l’Agence nationale de la recherche permettent de partager et de valoriser ce capital construit patiemment par des milliers de professionnels. C’est aussi leur qualité qui a fait que les données d’IdRef sont désormais intégrées dans ScanR, le moteur de la recherche française développé par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et qui est au cœur de la feuille de route du ministère relative à la politique des données, des algorithmes et des codes publiée le 24 septembre dernier.