68e Congrès de l’Association des bibliothécaires de France (ABF)
« Notre association a un réel impact, plus on sera nombreux et plus on aura de poids » – Entretien avec Hélène Brochard
BBF : Quel bilan tirez-vous de la 68e édition du Congrès de l’ABF et notamment des nouvelles modalités mises en place cette année ?
Hélène Brochard : Le bilan est très positif puisque 870 personnes ont assisté au congrès, réparties entre 630 congressistes et 240 visiteurs sur le salon professionnel. Nous avons effectivement beaucoup communiqué cette année sur le fait que l’accès au salon professionnel est gratuit. Cela a toujours été le cas mais peu de personnes le savaient. La grande nouveauté est que nous avons mis en place un programme de rencontres et d’animations dans le salon professionnel, donc accessible à tous : mini-conférences des exposants en lien avec le thème du congrès, rencontres avec les commissions de l’ABF, avec la Sofia qui a fait une restitution de son étude sur les achats de livres en bibliothèque, avec le Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture qui a présenté les grands chantiers en cours, notamment la campagne de communication, le référentiel des métiers et les marchés publics. L’objectif était d’enrichir le salon professionnel, de favoriser sa fréquentation et de proposer une offre de contenus aux personnes n’ayant pas pu s’inscrire de manière payante au congrès. Les chiffres de fréquentation valident ces options, nous allons donc certainement poursuivre dans cette voie l’année prochaine, si les questionnaires de satisfaction que nous avons envoyés les confirment aussi.
BBF : Avec les collections, l’ABF proposait cette année un fondamental du cœur de métier de bibliothécaire. Pourquoi ce choix ?
H. B. : Nous avons effectivement souhaité revenir aux fondamentaux cette année. Dans les commentaires que nous avions sur les éditions précédentes revenait le fait que certains collègues trouvaient les thématiques un peu trop conceptuelles ou, en tout cas, pas toujours parlantes pour l’ensemble des équipes, et qu’elles s’apparentaient plutôt à des problématiques de direction. Avec les collections, nous souhaitions proposer un thème dans lequel tous les collègues, de toutes les catégories et de tous les types de bibliothèque pouvaient se retrouver. Ce thème a aussi été choisi en lien avec la loi Robert et notamment l’article sur la formalisation des politiques documentaires qui a suscité et qui suscite encore beaucoup de questions de la part des collègues. Nous avons senti qu’il était pertinent d’y répondre. C’était également, d’une certaine manière, une réponse à des questions de censure qui se posent actuellement et que nous avons peur de voir augmenter. Tous ces facteurs ont guidé notre volonté de remettre la politique documentaire au cœur du débat. Cette thématique plus concrète nous a aussi permis de donner une grande cohérence au programme, tandis qu’avec la thématique de l’année dernière, « Les bibliothèques sont-elles indispensables ? », il y avait une forme de dispersion dans les conférences et les sujets traités.
BBF : Ce sujet très classique des collections est-il traversé par des approches ou des problématiques nouvelles ?
H. B. : Oui, cette thématique se renouvelle notamment avec la question des ressources numériques, y compris dans leur fragilité avec les difficultés économiques qu’elles posent et l’accès au livre numérique qui n’est toujours pas simple pour les bibliothèques. La diversification des collections, avec le prêt d’objets ou d’instruments de musique, renouvelle aussi la problématique et conduit à s’interroger sur les limites de ce que peuvent prêter les médiathèques. Il y a également la question des supports. Les collections de DVD connaissent maintenant les mêmes difficultés que celles de CD il y a quelques années, avec les mêmes questionnements : comment élaborer une offre autour de la musique ou du cinéma en se détachant du support ?
BBF : Voyez-vous déjà un impact de l’article de la loi Robert sur les politiques documentaires mentionné précédemment ?
H. B. : Oui, tout à fait. Le travail doit continuer pour sensibiliser les collègues et surtout les élus à cette loi et à la manière dont on peut s’en emparer. De manière très concrète, nous observons une très forte demande de formation et d’accompagnement sur la politique documentaire. Les formateurs sont beaucoup plus sollicités qu’auparavant. Lors du congrès, on a entendu de manière récurrente des questions d’ordre juridique, sur la revente de livres, par exemple. C’est une année au cours de laquelle nous avons vu les collègues se remettre sur les chantiers de politique documentaire, se poser beaucoup de questions. Les outils mis en place par l’ABF tels que le décryptage de la loi Robert et l’infographie sont très prisés.
BBF : Vous avez évoqué des cas de censure. Vous semblent-ils plus fréquents actuellement ?
H. B. : Nous nous inquiétons en effet à l’ABF de la multiplication des cas de censure. Nous n’en sommes pas encore au stade des États-Unis mais il y a des signaux qui nous incitent à être très vigilants sur cette question car nous redoutons que cela prenne de l’ampleur. Au sein de l’association, plusieurs commissions vont s’emparer du sujet et construire des outils pour accompagner les collègues confrontés à ces situations.
BBF : Cette censure prend-elle des formes nouvelles ?
H. B. : Elle porte sur les collections mais aussi beaucoup sur les programmations culturelles, ce qui est peut-être plus nouveau. Concernant les collections, c’est toute la question du pluralisme qui se pose, or les contraintes budgétaires rendent parfois difficile le fait d’aller jusqu’au bout du pluralisme. Lors des dernières élections présidentielles, par exemple, certaines bibliothèques n’ont pas eu les moyens d’acheter les livres de tous les candidats.
BBF : Quels sont les grands chantiers de l’ABF pour l’année à venir ?
H. B. : L’un des gros chantiers en cours est la réforme des statuts et de l’accès aux concours. C’est un dossier sur lequel l’association travaille depuis plusieurs années et qui est en train, nous l’espérons, de se concrétiser. Il porte sur la définition des missions dans les nomenclatures de la fonction publique territoriale, et surtout sur l’accès aux concours de catégorie B qui est soumis pour l’instant à des critères obsolètes, traduits différemment selon les centres de gestion. Nous aimerions faire sauter ces critères qui n’ont plus lieu d’être, l’enjeu étant de donner un plus large accès aux concours. Pour l’instant, l’accès à ces concours est soumis à certaines options ou cursus de formation sans lien direct avec les bibliothèques et doit passer par un processus d’homologation avec des dossiers très lourds à monter et à faire valider, avec pour conséquence que certains candidats en externe se font parfois retoquer du seul fait de leur parcours.
L’autre gros chantier sur lequel nous travaillons est la dynamisation de l’association, l’accueil de nouveaux collègues de tous horizons et toutes catégories, la transformation de l’image de l’ABF, et la reconquête du nombre d’adhérents qui s’est effrité au cours des dix dernières années. Cette situation n’est pas propre à l’ABF et s’inscrit dans une tendance globale de baisse du militantisme et de la participation bénévole. Nous voulons insister sur le fait que cette association a un réel impact, sert d’interface avec le ministère sur certains dossiers et que plus on sera nombreux, plus on aura de poids.
BBF : Un mot sur le congrès 2024 ?
H. B. : Il se tiendra à Toulon du 6 au 8 juin et sera consacré à la programmation culturelle.