Sur le chantier des services aux chercheurs
Journée ADBU – 5 novembre 2019
Les commissions Métiers et Recherche de l’ADBU ont organisé le mardi 5 novembre 2019 une journée d’échange sur le thème : « Services aux chercheurs : comment s’organiser, comment se former ». Entre les murs en chantier de l’Université Paris-Saclay, l’évènement était accueilli par CentraleSupélec : son directeur de la recherche, Olivier Gicquel, a fait valoir en guise d’accueil l’importance de tous les services supports à la recherche sur ce campus visant un vaste regroupement d’entités scientifiques. Les commissions ADBU ont conçu cette journée comme une prise de contact sur ce thème. En effet, Marie-Madeleine Géroudet et Johann Berti rappellent que les bibliothèques semblent aujourd’hui renouer avec les chercheurs le fil d’un dialogue qui, sans s’être interrompu, a été altéré par les transformations liées à la transition numérique. Nombreux sont les établissements documentaires à imaginer de nouveaux modes de relations aux chercheurs, sous l’angle de « services à la recherche » ou « services aux chercheurs » (le débat terminologique reste ouvert). Témoins de l’ébullition actuelle : le récent numéro d'Arabesques (n° 95, octobre-novembre-décembre 2019) consacré à ce thème, mais aussi le succès de cette journée d’échange ayant aisément fait le plein. Deux axes ont été retenus pour aborder le sujet, dans une continuité logique : l’organisation de ces services d’une part, souvent nouveaux, qui doit s’accompagner d’autre part d’une réflexion sur l’évolution des métiers et des compétences qu’ils induisent. Ces deux axes ont chacun été déclinés en quatre ateliers restitués ensuite en assemblée plénière.
Des services en développement
Un premier atelier a mis en avant différents modèles d’organisation, à travers des retours d’expérience : à Aix-Marseille, le choix est fait d’une organisation disséminée dans les services, sans label explicite « services aux chercheurs », tandis que le Muséum d’histoire naturelle construit au contraire une équipe et un service aux chercheurs délibérement affichés comme tel. Au-delà de ces cas d’espèces, la nécessité d’une complémentarité entre « back office » (le service tel qu’il est réalisé par les équipes) et « front office » (le service tel qu’il est présenté, affiché, « vendu ») est reconnue par les participants. La constitution progressive de ces services au sein de nos organisations est illustrée dans les ateliers par les témoignages du SCD d’Orléans (relaté par ailleurs dans le n° 95 Arabesques) et de l’école SupAéro Toulouse. Des mots-clefs tel qu’opportunisme et pragmatisme reflètent un positionnement de départ fréquent : il s’agit de se saisir de toutes les occasions, qu’elles émanent de chercheurs isolés, de laboratoires ou de décisions politiques, pour créer du lien avec la recherche, susciter des réseaux, des évènements, aller « chez eux » en somme, sans complexe et dans des logiques collaboratives plutôt qu’en « guichet » de services. C’est à ce prix qu’une acculturation durable des services aux chercheurs dans les établissements pourrait se faire. Cette intégration peut et doit d’ailleurs tirer parti de l’histoire de nos bibliothèques : le quatrième atelier propose d’en finir avec la distinction entre services « traditionnels » et « innovants ». Inopérante, elle masque les continuités les plus pertinentes dans nos activités auprès des chercheurs. Ainsi, Isabelle Mauger-Pérez montre comment l’ABES, qui incarne une certaine « tradition » bibliographique, évolue au contact des réalités nouvelles : à la logique de notice a succédé celle d’accès aux documents : elle engage désormais une expertise intéressant de près les chercheurs (open access, linked open data, identifiants). L’exemple du SCD de Paris 8 tout comme le projet de DataLab de la BnF montrent par ailleurs un besoin persistant et simple, de longue date au crédit des bibliothèques : l’aménagement d’espaces de travail, volontiers renouvelé dans la dynamique des services aux chercheurs. Formation des chercheurs et mises à disposition de collections efficacement signalées n’ont, là encore, rien d’archaïques : elles impliquent en revanche des adaptations continues aux transformations de l’IST. Le développement rapide des portails HAL dans les établissements est ainsi perçu comme ayant une place décisive et structurante dans la montée en puissance des services aux chercheurs : l’archive ouverte produit de facto un nouveau rapport aux notions de collections (constituées “individuellement” par les dépôts des chercheurs) et de métadonnées tout autant qu’elle nécessite de nouvelles formes d’accompagnement : formation, sensibilisation, communication, mise en réseau de gestionnaires HAL dans les laboratoires.
Et les chercheurs ?
Sont-ils vis-à-vis des bibliothécaires ces « gens très riches à qui on ne sait quel cadeau de mariage offrir » ? Cette expression d’une collègue reflète assurément un positionnement encore malaisé. Mais comment pourrait-il ne pas l’être ? Il a été souligné que les transformations profondes induites par le numérique touchent autant les outils des chercheurs que ceux des bibliothécaires : partant, elles produisent chez eux des pertes de repères comparables, et des déséquilibres semblables à ceux perçus dans nos professions. Dès lors, il convient de ne pas s’adresser aux « chercheurs » comme à un public homogène, ni à préjuger de leurs besoins, très divers. Souvent le public des services aux chercheurs en bibliothèques se restreint à quelques chercheurs bien informés : comment toucher plus largement des communautés où les compétences numériques et informationnelles sont très inégalement réparties (selon les disciplines, les communautés, mais aussi entre individus) ? Là encore, les échanges des participants insistent sur la nécessité du dialogue : les fils que tisse la réorganisation des services aux chercheurs sont à ce titre précieux. Tout aussi cruciaux sont les besoins au sein même des services de documentation.
Quelles compétences et quels métiers ?
Les ateliers de l’après-midi se sont tournés vers la question de nos métiers. En effet, la relative nouveauté des services aux chercheurs produit des effets sur les métiers et ses représentations aussi bien chez les bibliothécaires que dans l’écosystème académique. DSI, directions de la recherche, services de communication, presses universitaires, services juridiques, écoles doctorales, multiples réseaux et organismes professionnels : un inventaire exhaustif des interlocuteurs impliqués avec les bibliothécaires dans le cadre des services aux chercheurs, bien au-delà des chercheurs eux-mêmes, serait trop long à mener. Certes, les bibliothèques engagent depuis longtemps des échanges avec ces différents acteurs ; mais ce positionnement en interface ou en pôle d’échange semble constitutif des services aux chercheurs. Repérer les besoins, engager le dialogue, connaître les personnes-ressources dans ou hors des établissements s’avèrent des points déterminants pour rendre un service efficace. Entre les murs en chantier du campus de Paris-Saclay, il aura alors été beaucoup question de « cloisons ». À l’intérieur même de nos organisations, où les tâches spécialisées sont de plus en plus variées, la circulation de l’information se doit d’être fluide : des gestionnaires de collection aux personnels administratifs en passant par les services de signalement, chacun à un rôle à jouer directement ou indirectement auprès des chercheurs. Sortir de son « silo », se parler d’un service à l’autre reste une évidence nécessaire à rappeler. Quant à la question des compétences liées à ces services, les ateliers font valoir deux aspects fondamentaux.
D’une part, la logique d’adaptation aux demandes ne peut se faire que dans le cadre des compétences proprement documentaires. Les services aux chercheurs imposent de définir ou redéfinir, individuellement ou collectivement, ce cadre et à s’y tenir : là encore, c’est l’intérêt d’une telle journée que de produire et de faire avancer ce questionnement sur l’identité professionnelle. Les participants soulignent que les compétences existent dans les établissements : bien souvent, les besoins portent moins sur une formation à des outils nouveaux qu’à une actualisation des activités existantes et à leur transposition dans le contexte de nouvelles relations avec la recherche. L’atelier consacré aux fiches de poste fait par exemple remonter une façon parfois « vieillotte » de rédiger celles-ci.
D’autre part, ce constat induit que la nature des compétences visées pour les services aux chercheurs n’est pas nécessairement technique. Dans la redéfinition du positionnement des bibliothécaires vis-à-vis des chercheurs, les compétences relationnelles et autres « softs skills » deviennent cruciales : trouver la bonne distance, parler la « langue » des chercheurs, connaître tous les interlocuteurs utiles, être sûr du cadre dans lequel la bibliothèque intervient et être en capacité d’insuffler une dynamique dans ces réseaux formels ou informels. Les débats, menés principalement entre cadres de catégorie A, mettent en outre en exergue une vigilance particulière à porter sur deux catégories de personnels :
- Au-delà du pilotage de ces services, les agents de catégorie B ont vocation à devenir, dans les bibliothèques, des acteurs « pivots » des services aux chercheurs, à condition de pouvoir « redéployer et développer » leurs compétences. L’IGB indique mener une étude sur le sujet. La question de leur formation est notamment évoquée.
- Les profils des personnels ITRF, aux compétences souvent recherchées dans les services aux chercheurs, ne doivent surtout pas les isoler au sein des bibliothèques.
Au-delà des bonnes volontés individuelles sur un thème stimulant où de nombreux projets sont à mener, les participants soulignent la nécessité d’une dynamique collective, voire structurelle : pour que les initiatives essaiment, encore faut-il que les tutelles leur donnent des moyens d’existence sur le long terme. La définition d’objectifs communs entre professionnels et avec les gouvernances reste prioritaire. Les commissions de l’ADBU pourront, suite à ces nombreuses réflexions et interrogations, définir des orientations concrètes pour leurs travaux, notamment celui de repérage des services aux chercheurs déjà existants : semblable inventaire, d’une grande utilité opérationnelle, donnerait en outre un aperçu des renouvellements d’identité professionnelle produits par ces services. Cette journée très riche aura ainsi permis une prise de contact nécessaire : contrairement à d’autres évènements portant sur des thèmes mieux « balisés », beaucoup de participants n’avaient pas encore eu d’occasion de se rencontrer. Entre les murs en chantier de Paris-Saclay, ce sont finalement les fondations d’un réseau des services aux chercheurs en bibliothèques qui ont, peut-être, été creusées.