« Science ouverte : du modèle économique à l’évaluation des résultats »

Atelier Dialogu’IST du réseau Renatis du CNRS – 30 novembre 2021

Sophie Forcadell

Renatis, le réseau des professionnels de l’information scientifique et technique du CNRS, a organisé le 30 novembre 2021 en visioconférence le 11e atelier Dialogu’IST, intitulé « Science ouverte : du modèle économique à l’évaluation des résultats » 1

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Les supports et les vidéos des présentations sont accessibles sur le site de Renatis. [En ligne] https://renatis.cnrs.fr/atelier-dialoguist-11-30-novembre-2021/

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Après avoir traité des aspects politiques de la science ouverte, puis de la gestion des données de la recherche dans ce cadre, cet atelier a accueilli des retours d’expérience issus du monde de la publication scientifique, secteur sur lequel la science ouverte s’appuie fortement. L’objectif de l’atelier était de montrer l’évolution des modèles existants et ceux émergeant de publication et d’évaluation de la publication scientifique.

Des structures d’édition innovantes et des modèles émergents

Un panorama des modèles d’édition présenté par Céline Barthonnat, éditrice chargée de publication Episciences au Centre pour la communication scientifique directe (CCSD), a mis en exergue les nouveaux pôles éditoriaux et pépinières de revues, témoins de la dynamique de la bibliodiversité en France.

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Panorama des réseaux de pépinières de revues et des pôles éditoriaux en France

Deux exemples témoignent de cette dynamique. Le réseau Repères (RÉseau de PÉpinières de REvues Scientifiques), créé en 2018, rassemble 12 membres en France et en Belgique, héberge près de 80 revues et les accompagne dans l’environnement de la science ouverte. À noter également les pôles éditoriaux comme celui de Strasbourg qui rassemble la Maison interuniversitaire des sciences de l’homme d’Alsace (MISHA), les bibliothèques de l’université de Strasbourg et la Bibliothèque nationale et universitaire (BNU) de Strasbourg.

Le modèle émergent Subscribe to Open (S2O), lancé en 2020 et basé sur les processus existants d’abonnements des bibliothèques, a par ailleurs suscité un intérêt marqué, ce modèle présentant une voie réaliste et immédiate pour l’ouverture de corpus d’éditeurs de revues. Aujourd’hui, près de 70 revues sont passées à ce modèle, soit 10 éditeurs dont, en France, EDP Sciences avec 6 de ses revues. S’il n’est pas encore adopté par les éditeurs de poids dans le monde de la publication scientifique car jugé trop risqué financièrement, son modèle diamant est néanmoins remarquable et se distingue des accords transformants qui, quant à eux, ciblent plutôt l’ouverture des articles d’un périmètre d’auteurs et contribuent à générer des revues « hybrides ».

La plateforme Episciences du CCSD, modèle basé sur des « surcouches » aux archives ouvertes et qui combine la voie dorée et la voie verte, permet l’accès et la publication sans frais et de manière pérenne. Aujourd’hui, 20 épirevues sont en production sur cette plateforme, organisées autour de comités selon leurs disciplines, et d’un comité de pilotage. Les publications sont déposées dans HAL, ArXiv ou encore Zenodo et l’évaluation des articles est réalisée grâce à des grilles personnalisées. Au-delà d’une visibilité accrue du fait d’un bon référencement par les moteurs de recherche, le délai de publication est réduit, les revues bénéficient d’un archivage pérenne et les auteurs conservent leurs droits grâce aux licences Creative Commons (CC). Ces dernières constituent un ensemble d’options à la disposition des auteurs pour définir les conditions de réutilisation et de distribution de leurs œuvres.

Passer au libre accès diamant : un acte militant

Le retour d’expérience de Virginie Decosta, adjointe de la directrice des publications de l’Académie des sciences et de Célia Vaudaine, responsable opérationnelle au centre Mersenne, a apporté des informations techniques et concrètes sur l’investissement que représente une transition de revues ancestrales vers un modèle diamant, tant au niveau financier qu’organisationnel.

En 2019, le centre Mersenne, plateforme d’édition en libre accès pour publications scientifiques et infrastructures publiques, et l’Académie des sciences ont signé un accord sur la publication des comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences qui étaient auparavant édités par Elsevier. Le centre Mersenne a pour vocation de diffuser des publications scientifiques de toutes disciplines en libre accès (voie diamant) et offre des services pour assurer la pérennité de la revue et pour permettre de mutualiser certains coûts d’édition. La mise en œuvre de cet accord a impliqué un changement de l’organisation éditoriale du côté de l’Académie, une communication et une formation auprès des rédacteurs et des rédactrices en chef, des auteurs et des autrices et des rapporteur·ses, ainsi que la récupération des « backlogs » auprès d’Elsevier, c’est-à-dire l’historique des fichiers, des notes, des métadonnées ou encore des bases de données qui étaient hébergées au sein du système de soumission d’articles de l’éditeur.

Pour Virginie Decosta, ce projet est au fond un acte militant au sens où le libre accès diamant pose la question de son coût, de la recherche et de la pérennité de son financement, et présente des risques. La transition a impliqué, par exemple, des coûts de mise aux normes des pages et de copyediting. Il reste également compliqué d’établir un bilan chiffré du coût de publication en libre accès versus le coût résiduel de la publication sur la plateforme commerciale d’Elsevier, une fois la redevance payée par l’éditeur en fonction des achats sur sa plateforme. Finalement, « le libre accès vertueux, c’est avant tout une question de reprise en main de la diffusion des connaissances par la communauté scientifique, avant d’être un modèle économique » a conclu Virginie Decosta.

Chez SciPost, un accès ouvert pour les lecteurs comme pour les auteur·es

Pour Jean-Sébastien Caux, professeur de physique à l’université d’Amsterdam et fondateur de la plateforme SciPost, portail de 12 revues en accès ouvert, le concept de l’ouverture permet de rehausser à la fois la qualité scientifique des publications mais également celle du modèle d’affaire et la qualité du débat associées aux articles. La plateforme promeut un accès ouvert authentique bidirectionnel, c’est-à-dire qu’il ne doit pas y avoir de barrière d’accès pour les lecteur·rices ni pour les auteur·es, pas de frais ni de difficultés d’accès. Le modèle d’affaire est basé sur une séparation stricte entre l’éditorial et le financier : pas de main-d’œuvre gratuite sur les missions et les tâches d’édition, pas d’Article Processing Charges (APC), et les établissements et institutions scientifiques sont sollicités pour faire des dons qui financent le fonctionnement de la plateforme. À ce jour, 1 045 publications ont été publiées selon ce modèle qualifié de Palladium : en libre accès, sans APC et sans but lucratif.

La procédure éditoriale, détaillée ci-dessous, fait ressortir un pouvoir décisionnel entièrement entre les mains des professionnel·les et basé sur l’open peer reviewing, les rapports et les articles étant publics avant même la décision éditoriale. Tout article soumis passe d’abord par le collège éditorial rassemblant plusieurs centaines de chercheurs et chercheuses expert·es dans leurs domaines. Il est à ce stade pris en charge par un·e expert·e ou rejeté. S’il est retenu, d’autres expert·es seront invité·es à produire un rapport (et les expert·es non invité·es pourront également en produire). Une recommandation finale produite par l’expert·e « leader » permettra à l’ensemble du collège de la discipline d’échanger puis de voter et, une fois l’ensemble des expert·es d’accord, de publier. La procédure prend en moyenne 6 mois mais s’avère très qualitative, les rapports eux-mêmes étant considérés comme des objets identifiés par un Digital Object Identifier (DOI).

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Procédure éditoriale du portail de revue SciPost

Pour autant, il reste difficile de trouver des évaluateurs et évaluatrices sur ces critères très sélectifs qui prennent beaucoup de temps, et un des enjeux est de les inciter à produire des rapports partiels, qui pourraient par exemple mettre en avant une faille (sur une formule, une équation, sur le modèle des commentaires de codes déposés sur des plateformes comme GitHub). Pour Jean-Sébastien Caux, la valeur ajoutée réside sur des rapports plus ciblés et moins généraux.

Des modèles de contrat pour l’édition scientifique publique

Cécile Beauchamps, animatrice du groupe de travail Droit d’auteur au sein du réseau des métiers de l’édition scientifique publique Medici, a présenté les spécificités de trois modèles de contrats de cession de droits, entre un·e auteur·e et une revue ou un·e éditeur·rice, dans un contexte de science ouverte. Ces contrats, disponibles en français et en anglais sur le site Ouvrir la science, portent sur la contribution dans un périodique à titre exclusif (contrat A2) ou non exclusif (A1), ainsi que sur la contribution à un ouvrage (B1). La question du moment où ce contrat doit être signé s’avère délicate car idéalement le plus en amont possible. En effet, l’auteur doit prévoir le dépôt de son manuscrit accepté pour publication dans une archive ouverte, sous la licence CC de son choix, y compris dès publication dans le périodique et doit prévoir également la possibilité, ou non, de verser le PDF éditeur dans une archive ouverte, soit après un certain délai, soit dès publication.

À ce stade, peu de retours d’usage de ces contrats ont été remontés par les revues et les éditeurs. Pour Laure Himy-Piéri, directrice des Presses universitaires de Caen, une des raisons est que les contrats ont souvent été élaborés il y a longtemps et que les équipes éditoriales ont changé depuis. D’autre part, certaines disciplines comme le droit ne sont pas prêtes à changer d’éditeur car les auteurs et les autrices sont traditionnellement rémunéré·es par les éditeur·rices. Certaines revues ont fait le choix d’une plateforme de diffusion qui leur assure un certain montant de revenus et n’ont pas encore pu évaluer si un changement de modèle était supportable financièrement. Enfin, Laure Himy-Piéri pressent une crainte de certain·es auteurs et autrices par rapport aux licences CC et une mauvaise compréhension du niveau de protection qu’elles leur assurent. Or, la conservation du droit d’auteur est effective en droit français, même avec une licence CC.

Une nouvelle politique de licence par défaut chez OpenEdition

Une transition sur les licences est opérée par Marie Pellen, directrice d’OpenEdition, qui fait évoluer actuellement sa politique de licences vers une licence par défaut sur chacune des quatre plateformes : OpenEdition Journals, OpenEdition Books, Hypothèses (carnets de recherche) et Calenda (calendrier des lettres et sciences humaines et sociales). L’accompagnement des usager·ères dans cette transition est d’autant plus essentiel que chaque document (livre, revue, carnet, événement) est une publication à part entière et bénéficie donc d’une licence à part entière également. Les usager·ères ont ainsi besoin de se saisir des questions de droit d’auteur et de comprendre les conditions d’utilisation et de réutilisation de leurs contenus pour pouvoir éventuellement statuer différemment de la politique par défaut qui leur est proposée (voir la capture d’écran ci-dessous pour les revues) ou encore utiliser les mentions « domaine public » ou « tous droits réservés ».

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Politique de licence sur OpenEdition Journals

En conclusion, Fabien Borget, chargé de mission science ouverte à Aix-Marseille Université, pointe l’importance de l’évaluation, au cœur des nouveaux modèles de l’édition scientifique dans un contexte de science ouverte, et de sa réappropriation par les chercheurs et les chercheuses. C’est seulement à cette condition que la science ouverte pourra se déployer et se pérenniser.