Salles de lecture sous toutes leurs coutures ! Usagers et usuels : des pratiques novatrices dans de nouveaux espaces ?

Journée d’étude du groupe de travail des bibliothèques d’archives de l’Association des archivistes français – 24 novembre 2022, Paris

Sabine Souillard

Pour sa 4e Journée d’étude, le 24 novembre 2022, le groupe de travail des bibliothèques d’archives de l’Association des archivistes français (GTBA-AAF) a été accueilli à la Cinémathèque française pour débattre du sujet des « Salles de lecture sous toutes leurs coutures ! Usagers et usuels : des pratiques novatrices dans de nouveaux espaces ? ».

Le thème de cette journée d’étude avait été préalablement voté en réunion annuelle du GTBA, ce groupe ayant toujours affiché clairement sa volonté de servir les intérêts de ses membres à la recherche de cadrages ou de préconisations dans ses pratiques professionnelles. Il en est de l’essence même de ce réseau créé en 2013 1

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Le réseau fêtera ses 10 ans tout au long de l’année 2023, avec des articles, des posts d’ouvrages patrimoniaux de BA sur le Facebook de l’AAF.

que de former les bibliothécaires d’archives et les soutenir dans leurs missions.

L’usager au cœur du service public, décryptage d’un diagnostic : faut-il attirer de nouveaux publics ?

Le service rendu à l’usager constitue un principe intrinsèque au service public, c’est une valeur fondamentale. Fort de ce constat, il semblait impératif de dresser un état des lieux du service des bibliothèques d’archives (BA) vis-à-vis des lecteurs qui fréquentent les services d’archives. Luce Gaume, directrice adjointe aux Archives départementales (AD) de Loire-Atlantique, nous a entraînés avec brio et humour dans l’aventure que constitue la mise en valeur de la BA en salle de lecture d’archives. Partant d’un constat en demi-teinte – des usuels devenus aussi désuets qu’inusités – les AD de Loire-Atlantique ont réalisé, avec le service de design du Département, un diagnostic mobilisant lecteurs et agents, suivi d’ateliers de coconception. Les idées ont fusé pour casser l’image intimidante des collections : créer un espace de lecture chaleureux, multiplier les agents d’accueil… Mais le rêve doit se rapprocher de la réalité et la démarche se poursuit. Le premier fruit en est la dynamique qui a permis aux collègues de se saisir collectivement de questions essentielles. Luce Gaume a conclu par celle-ci : faut-il attirer d’autres publics ?

Des intervenants de toutes structures : des modèles inspirants pour les BA

Cette journée d’étude concernait les salles de lecture de services d’archives mais, pour autant, elle ne s’est pas limitée à ces services uniquement et a fait appel à d’autres acteurs culturels 2

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Bibliothèques spécialisées, musées, bibliothèques universitaires.

qui ont le souci de renforcer leurs services aux usagers. C’est notamment le cas de la bibliothèque universitaire (BU) de Paris 8 3
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Labellisée Marianne, puis Services Publics +.

, qui avec son service Infomobile, décrit par Clémence Desrues, responsable du département des Services aux publics-service du prêt, remplit efficacement son rôle de guide et d’accompagnateur des lecteurs de la bibliothèque. L’infomobilien est amené à aller au-devant des usagers afin de proposer ses services. Un agent de Paris 8 qualifie à juste titre ce service innovant en ces termes : « En Infomobile, il s’agit plutôt de comprendre la démarche de l’usager et en quoi il est possible de l’aider, en posant les bonnes questions. » Ce dispositif Infomobile pose les jalons concrets de la médiation avec les lecteurs. Il est également un relais essentiel dans l’application du règlement intérieur de la BU.

La question de la réglementation est en évolution. Pauline Chevallier, bibliothécaire au musée Rodin, nous a fait part de deux règlements mis en place, l’un pour les chercheurs extérieurs et l’autre en interne. À travers sa présentation très détaillée des ressources archives, documentation et bibliothèque 4

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La bibliothèque du musée Rodin comprend la bibliothèque personnelle de Rodin, une partie de la bibliothèque de Léonce Bénédite et une bibliothèque institutionnelle.

, elle interroge les pratiques des lecteurs en salle de lecture au prisme des supports mis en libre accès qui requièrent des règles d’usage bien précises. Que peut-on autoriser et interdire ? Comment énoncer les règles de communication ? Comment préciser les conditions de reproduction de documents ? Du règlement découlent l’organisation de la salle de lecture et son utilisation. La réglementation est une affaire « complexe en lien avec la richesse de la salle de lecture ». Tout l’enjeu est de trouver l’harmonie entre une utilisation optimale de l’ensemble des ressources du musée Rodin, et le souci de réglementer pour protéger les documents.

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Visite de la Bibliothèque du film pendant la Journée d’étude

Photo Sylvie Pontillo

Car c’est bien des usages dont il est question et qu’il convient d’étudier pour concevoir des services utiles et pertinents. Ainsi, la Bibliothèque du film de la Cinémathèque française tente de concilier l’offre de nouveaux services et la demande du public, en constante évolution. Véronique Rossignol, sa directrice, nous a fait la visite des lieux. Le public, constitué majoritairement d’étudiants, d’enseignants-chercheurs et de professionnels, apprécie ses espaces attractifs et ses collections spécialisées. Si les services sur place demeurent importants, conjoints à ceux accessibles en ligne (réservation de documents, consultation à distance, reprographie, offre éditoriale), il convient de souligner que de nouveaux services sont en construction, notamment une nouvelle interface publique du catalogue des collections élaborée dans le cadre d’un travail collaboratif et un projet de salle de travail multifonction pour accueillir des groupes.

Le service rendu à l’usager, une posture engagée

La table ronde consacrée à l’essor des services proposés aux lecteurs corrobore le constat que le service rendu à l’usager implique une posture engagée. Anne Dauga-Pernin, responsable de la Bibliothèque historique des postes et télécommunications (BHPT) n’a de cesse d’offrir à ses publics du sur-mesure qui n’a rien à envier à des structures plus importantes. Avec une petite équipe de quatre personnes, elle parvient à donner satisfaction à des demandes variées et pointues, et reçoit les publics très spécialisés sur rendez-vous. Deux services importants ont été créés à la BHPT : un service de réponse à distance personnalisée, via l’envoi de bibliographies sélectives (gratuit) sous 10 jours environ, et un service de reproductions par correspondance (payant, devis sous 24 heures et envoi des documents par courrier sous 15 jours) dédié au public français et international 5

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Intéressé régulièrement par la collection quasi complète des Annuaires officiels des abonnés au téléphone de la France de 1883 à 2019.

.

Cet investissement se lit aussi à travers le service présenté par Caroline Lamotte, pilote du service de réponse à distance à la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et mis en œuvre par une cinquantaine de bibliothèques de lecture publique en France et en Belgique francophone. Eurêkoi 6

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Créé en 2006, et appelé BiblioSésame jusqu’au 27 janvier 2015.

est un service de questions-réponses à distance, gratuit, par e-mail, sous 72 heures. L’éditorialisation d’une sélection de réponses permet une capitalisation et un partage des connaissances avec les publics. Il est géré par une équipe de cinq personnes et chaque bibliothèque partenaire a un coordinateur local et une équipe de répondants avec des outils performants 7
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Formulaire Typeform, réponse gratuite par e-mail en 72 heures, plateforme de ticketing en ligne : JitBit.

. Le bilan est quantitativement positif jusqu’en 2020, en baisse depuis 2021. Mais le bilan qualitatif témoigne d’une satisfaction persistante des publics du service. Eurêkoî doit poursuivre la diversification des publics et doit s’efforcer de mettre en valeur l’expertise des bibliothèques, des bibliothèques spécialisées ouvertes au grand public notamment, tout en continuant le travail de communication, véritable « nerf de la guerre ».

Leslie Martin, responsable du service SINDBAD, créé en 2005 au département de la Découverte des collections et de l'accompagnement à la recherche de la Bibliothèque nationale de France (BnF), a expliqué que ce service comporte quatre canaux (téléphone, courrier postal, formulaire et tchat depuis 2012 avec un logiciel dédié). Ce service fournit gratuitement des références de documents sur tous les sujets et des informations factuelles. Pour une question type, les agents consacrent jusqu’à deux heures de recherche et proposent des bibliographies rapides. Des records ont été atteints en 2020, année de la crise sanitaire, avec 15 000 questions, ce qui a constitué une augmentation de 45 % par rapport à 2019. En 2021, le service SINDBAD a reçu plus de 12 500 questions. Une sélection des questions-réponses est versée régulièrement dans la base de connaissances du service. Leslie Martin a souligné également la nécessité de la communication et l’impératif de « visibilité ».

Un libre accès à revisiter ?

Face à ces services offerts en ligne, les salles de lecture des services d’archives doivent continuer à renforcer leur libre accès pour attirer tous les publics. La bibliothèque de l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec) 8

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Fondé en 1988 à l’Abbaye d’Ardenne, cet institut a obtenu le label de centre culturel de rencontre en 1998.

, complémentaire elle aussi des fonds d’archives, a mis l’accent sur le libre accès des 56 000 volumes – monographies et revues – dans la bibliothèque installée dans l’Abbaye d’Ardenne. Goulven Le Brech, adjoint à la Direction des collections, a mis en avant l'extrême diversité du lectorat – chercheurs, doctorants, écrivains, documentaristes, scolaires, grand public, qui viennent consulter ces collections très riches 9
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Fonds d'auteurs (écrivains, journalistes, personnalités du théâtre, cinéastes, etc.), fonds d’éditeurs, de revues et presse spécialisées, de galeries d'art.

. Elisa Martos, responsable de la bibliothèque, a dévoilé à travers une sélection photographique toute l'harmonie et la solennité de ce cadre de recherche singulier. Les projets à venir de l'équipe de la bibliothèque portent sur une plus grande ouverture de la bibliothèque, le développement du lectorat et une valorisation croissante des collections.

Peau neuve des salles de lectures en services d’archives ! Vers un espace cosy ?

Le libre accès se développe d’autant plus qu’on assiste à de nombreux aménagements ou réaménagements de salles de lecture. L’exposé de Vincent Le Gall, chef du service Publics et territoires aux AD de Côtes d’Armor, a témoigné de ce souci de réorganiser la collection des usuels (US) à l’occasion de l’aménagement d’une nouvelle salle de lecture. Avec pour double objectif d’offrir aux lecteurs des outils de travail adaptés à leurs besoins : aide à la recherche (cotée 1US), histoire générale (cotée 2US) et histoire locale (cotée 3US), et mise en valeur de la richesse des collections de la bibliothèque. Pour ce faire, des éliminations ont été faites sur les ouvrages périmés ou abîmés.

Les réponses apportées au questionnaire lancé par le GTBA à l’été 2022 auprès des membres du réseau ont permis de constater que ce type de cotes US était souvent privilégié. Désormais, on applique une Dewey « simplifiée », une cotation « maison » au service des thèmes les plus récurrents propres à chaque BA. Le libre accès est renouvelé plus fréquemment.

Carole Oudot, responsable de la bibliothèque des Archives municipales et métropolitaines de Grenoble, a confirmé cette tendance. L’espace bibliothèque au sein de la nouvelle salle de lecture permet de se poser la bonne question : quelle place donne-t-on aux usuels ? Les ouvrages exposés en salle sont désormais répartis entre 18 thématiques « maison » plus faciles à mettre en œuvre. La signalétique sur les étagères montre un classement simple mais somme toute très efficace complété par les pastilles de couleur facilitant le repérage des ouvrages de référence incontournables qui sont bien plus que des usuels.

L’espace BA des usuels se structure parfois comme un espace d’attente, les lecteurs feuilletant les nouveautés en attendant que les magasiniers leur communiquent les documents d’archives demandés. Rendre l’offre du libre accès plus cohérente est devenu un objectif de plus en plus prégnant pour bon nombre de BA. Par exemple, les AD de la Lozère, à la suite d’un réaménagement de leur salle de lecture, ont dynamisé l’espace dédié à la bibliothèque : un espace cosy soulignant la mixité des usuels et des nouvelles acquisitions au moyen de meubles adaptés, table basse et fauteuils avec luminaires d’ambiance, et une bâche conçue par un graphiste pour parfaire la décoration revisitée et soignée.

Un mobilier inadapté ?

Le mobilier réservé aux bibliothèques d’archives est souvent imparfait : étagères niches intégrées dans les murs, tablettes trop profondes, trop hautes ou trop basses, non réglables. On note une nette prédominance pour les étagères en bois, avant le métal et l’aggloméré. Une primauté est donnée au fonctionnel tout en mettant autant que possible l’accent sur l’esthétique. Il convient de préciser que le mobilier en salle de lecture trouve aussi son origine dans la manière dont étaient conçus à une époque les bâtiments d’archives. À ce sujet, France Saïe-Belaïsch, architecte aux Archives de France, désormais Conseil en architecture de la conservation, a indiqué que dans un bâtiment de conservation, 15 % des espaces sont réservés aux lieux d’accueil du public. Quant aux salles de lecture archives, les usuels y ont généralement été placés sur un meuble bas.

Parmi les bâtiments que France Saïe-Belaïsch a observés, celui de Pontivy, livré en 2012 et qualifié « d’ovni architectural » où cohabitent les Archives et la médiathèque municipales, illustre le mieux la pertinence de rassembler plusieurs établissements au sein d’un seul édifice. En 2018, à Valence Romans, le partage d’un bâtiment réhabilité 10

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Réhabilitation d’une ancienne caserne en 2018-2020, par l’architecte Rudy Ricciotti.

pose la problématique des espaces conférés, 5 062 m2 pour la médiathèque et 1 373 m2 pour les Archives, en rencontrant une certaine limite du fait de l’absence d’une salle de lecture commune. Le Pôle culturel Grammont à Rouen propose en revanche une longue salle de lecture pour les AD de la Seine-Maritime et sa bibliothèque historique. Reste que les meubles dédiés aux usuels sont bas, alors qu’il est préférable de ne pas placer les documents trop proches du sol…

François Fressoz, architecte-programmiste et responsable de l’agence Café Programmation-Paris, a affirmé que la conception spatiale des bibliothèques « rend possible de nouveaux usages », et a souligné les nouvelles formes d’exploration entre l’architecture et le mobilier mobile. Si les bibliothèques traditionnelles se réclamaient auparavant d’espaces ouverts, très grands et fixes, il est établi aujourd’hui que les espaces sont beaucoup plus diversifiés.

Le prêt à domicile ? Des projets balbutiants…

Par défaut, un usuel ne se consulte que sur place et est donc exclu du prêt. Mais les ouvrages de référence peuvent être concernés par les projets de prêt à domicile de certaines BA. Avant de franchir le pas, ces dernières s’inspirent des exemples existants émanant de structures telles que les centres d’archives proches des BA. La Contemporaine « Bibliothèque, Archives, Musée des mondes contemporains » 11

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Anciennement Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC).

peut servir de bel exemple. Elle prête 12
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Cinq documents empruntés simultanément, pour une durée de 4 semaines, renouvelable une fois pour une durée de 2 semaines.

plusieurs dizaines de milliers de livres des années 1970 à nos jours. Située dans un nouveau bâtiment 13
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Depuis le 18 octobre 2021, sur le campus de l'université de Paris Nanterre.

, elle dispose de plusieurs salles de consultation des documents totalisant 126 places, dont 2 salles de travail en groupe de 6 places chacune. Le libre accès composé de 18 000 monographies (à terme) et d’une soixantaine de titres de périodiques, propose des outils de travail de type usuels, mais aussi un choix d’auteurs faisant référence dans leur domaine.

L’espace documentaire, le libre accès, les usuels… autant de formulations qui demandaient à être clarifiées. Les BA scrutent par-dessus les épaules des médiathèques pour parfaire leur savoir-faire et fournir à leurs publics un espace cohérent et dynamique. Les BA, farouchement résolues à se faire connaître et reconnaître sur la scène des bibliothèques, ont fait la preuve au cours de la dernière décennie de pratiques évoluées et modernisées (logiciels, mobiliers, projets de prêts). Elles auront encore à cœur de renouveler leurs services, de revisiter leurs espaces, et surtout de servir de nouveaux publics. Voudront-elles à l’avenir s’inspirer du modèle troisième lieu ? Les BA ont su montrer qu’elles étaient capables de « flirter » avec des pratiques réservées à la lecture publique, tout en revendiquant nettement leur rôle patrimonial et primordial. Leurs acquisitions en matière de littérature jeunesse cimentent bien leur rôle d’accompagnatrices des fonds des services d’archives et en l’occurrence du service éducatif.

Coconstruire, une mission à venir ?

Afin de mieux comprendre le principe de cette coconstruction en vogue dans les bibliothèques publiques, François Fressoz, a mentionné que les tiers-lieux accueillent des types de pratique identifiés par la sociologie urbaine. La surface dite non utile en terme architectural révèle, en fait, d’autres types d’utilité, ce renversement de l’utilité de l’équipement public se constate ostensiblement très tôt dans les bibliothèques. C’est un « contre-effet de la révolution numérique » et une nouvelle « appétence pour l’espace ».

Élisa Neuville, responsable du pôle Développement créatif, a apporté son éclairage à ce sujet en présentant les acquisitions de bandes dessinées par les usagers à la Médiathèque de la Canopée. Si ce projet a d’abord nécessité de réaliser le cadre d’une politique documentaire et l’historique de la création du fonds BD, il a ensuite laissé rapidement la place à une grande liberté accordée aux usagers 14

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Cycle de 5 séances, une fois par mois, entre février et juin.

. C’est avec eux qu’une charte a été élaborée afin de cadrer le fonctionnement du comité de sélection composé exclusivement d’usagers de la médiathèque. Chaque titre de BD, comics et mangas doit obtenir la majorité des votes + 1 voix à main levée des acquéreurs.

Bien des sujets intrinsèques aux salles de lecture en services d’archives resteraient à défricher. Souhaitons que cette journée d’étude au programme très dense ait un jour une suite afin de poursuivre l’observation et l’analyse des salles de lecture en réaménagement et de consolider les diagnostics et état des lieux en matière d’usuels des BA.