Rencontres de l’EAC

Patrimoine écrit et éducation aux médias – Pôle associé régional Languedoc-Roussillon – Carré d’Art Bibliothèques, Nîmes – 12 novembre 2016

Sabrina Abadie-Blondy

La première intervention de la journée consistait en une restitution de l’étude « Enquête sur les actions des bibliothèques territoriales en matière d’éducation artistique et culturelle (EAC) »  1 proposée par Isabelle Le Pape, adjointe au chef du service Action Pédagogique de la BnF. En préambule, une description historique et réglementaire nous a rappelé que l’EAC est un moyen de lutter contre les inégalités sociales, d’où son importance en milieu scolaire notamment. En lien avec l’Education Nationale, les DRAC œuvrent en faveur de l’EAC selon divers dispositifs : classes du patrimoine, Plan ou Contrat Local d’Education Artistique (PLEA, CLEA), Contrat ou Projet d’Education Local (CEL, PEL), Classes à Projet Artistique et Culturel (PAC), accueil de résidence dans un établissement scolaire, Pôle Territorial d’Education Artistique et Culturelle (PTEA). Si les pratiques artistiques et culturelles des jeunes restent un domaine méconnu, il apparaît qu’une fracture persiste dont les principales causes résident tant dans les inégalités sociales et culturelles que dans une hiérarchisation de la culture et de ses publics.

Dans les établissements nationaux et les services à compétence nationale, l’EAC est un enjeu très important, malgré une dégradation des moyens destinés à poursuivre cette ambition. D’importantes disparités existent entre les établissements nationaux en termes de moyens et de publics. En outre, les logiques de performance ainsi que l’absence d’études et d’évaluation limitent le champ et le renouvellement de l’EAC. Enfin, les relations avec le monde scolaire sont caractérisées par une injonction contradictoire entre éducation programmatique et médiation à visée humaniste. Les politiques de publics connaissent à la fois un élargissement des cibles, du champ des partenaires, des temps et des territoires d’action de l’EAC. La valorisation des actions est jugée insuffisante et les acteurs culturels expriment un besoin fort de mutualisation et de partage de celles-ci. Désormais, obligation est faite aux établissements publics de débattre et de rendre compte des actions menées en matière d’EAC.

Dans le domaine de l’EAC, les bibliothèques, en tant que premier établissement culturel de proximité, jouent un rôle essentiel : diverses initiatives en témoignent comme l’organisation de concours, de prix littéraires ou la mise en place de formations à destination des professionnels. Publiée en janvier 2015, l’enquête sur les actions des bibliothèques territoriales en matière d’EAC a été menée en 2013 auprès de 400 collectivités. Il s’agissait d’accompagner les bibliothèques dans la mise en place de projets en tenant compte de la réforme des rythmes scolaires. En effet, les bibliothèques jouent un rôle essentiel pour lutter contre les inégalités d’accès à la culture puisqu’il existe environ 7 100 bibliothèques et 9 200 points d'accès au livre, soit 16 300 points d’accès au livre sur le territoire national. Non seulement le projet de refondation de l’école a permis de dégager des créneaux pour des temps d’activités périscolaires, mais les moins de 15 ans représentent 40 % du public des bibliothèques territoriales. L’Education Nationale est donc le partenaire privilégié des projets d’EAC : 90 % des bibliothèques ont des partenariats avec les écoles, 30 % avec les collèges et 10 % avec les lycées. En 2014, une bibliothèque sur trois a mis en place des activités dans le cadre des temps d’activités périscolaires (TAP) : activités autour de la littérature, du spectacle vivant, des arts graphiques, de la création de livres... Deux écueils apparaissent cependant. D’une part, collégiens et lycéens sont moins touchés, d’autant que les activités mises en place visent essentiellement la petite enfance. D’autre part, l’élève est encore trop considéré comme spectateur et non comme acteur, probablement du fait que les médiathèques manquent d’espaces de médiation. Enfin, l’EAC en bibliothèque manque globalement d’institutionnalisation, de pérennité, de régularité, d’équilibre entre les différents publics, et d’évaluation. De plus, les différences d’accès à la culture entre milieu urbain et milieu rural demeurent importantes. Le rôle des BDP permet de rééquilibrer ces différences. Plusieurs pistes de réflexion ont été énoncées, regroupant la co-construction de projets entre acteurs culturels, l’originalité et la pluridisciplinarité des propositions à mettre en œuvre.

Agnès Demey, chef du service Patrimoine culturel de la région Languedoc-Roussillon, a effectivement insisté sur la nécessité de se pencher sur la complémentarité des acteurs. En Languedoc-Roussillon, la région investit chaque année 400 000 € pour les actions à destination des lycéens. Il semble que les collectivités deviennent les nouveaux acteurs de l’EAC du fait de la baisse des crédits généraux des ministères de l’Education Nationale et de la Culture. Valérie Travier, Conseiller pour le Livre et la Lecture à la DRAC Languedoc-Roussillon, a d’ailleurs rappelé que DRAC et région s’engagent auprès des collectivités dans le cadre de Contrats Territoriaux pour l’Education Artistique et Culturelle (CTEAC) dont l’objectif vise précisément à répondre à cette problématique essentielle qu’est celle de la coordination.

L’intervention de Jérôme Fronty, chef du service Action Pédagogique à la BnF, visait à présenter l’offre pédagogique de la BnF. Composé de 12 personnes, ce service a pour objectif de diffuser toutes les activités de la BnF à destination des publics scolaires ; les activités proposées regroupent visites, ateliers, formations professionnelles, événements, manifestations et autres publications. Il assure également une présence itinérante sur certains événements (Culture au Quai à Paris, les Rendez-vous de l'histoire à Blois, etc.).

Deux études de cas nous ont été rapportées. La première concernait l’histoire et les formes du livre. Pour cette thématique traditionnelle, plusieurs approches sont proposées par la BnF. Les ateliers thématiques permettent de définir le livre, de connaître l’évolution de ses formes et d’entrer dans les coulisses du livre médiéval. Ces ateliers peuvent s’adapter à différents publics scolaires : élèves du primaire, collégiens, lycéens et, plus récemment, déficients visuels. Des ateliers ludiques sont également proposés. La création de pop-ups mêle pratique et développement de l’esprit critique, ce qui est favorisé par les restitutions collectives, et offre aux élèves la possibilité de manipuler des albums contemporains. A également été mise en place une visite sous forme d’atelier théâtral incluant la manipulation de fonds précieux réputés intouchables, paradoxe résolu par l’intégration au sein de la BnF de la bibliothèque de l'Arsenal qui, depuis, a été instaurée en maison de l'histoire du livre. Enfin, les expositions permettent de travailler sur une programmation toujours en lien avec les collections, selon une approche classique (Eloge de la rareté, Images du Grand Siècle) ou plus contemporaine (Richard Prince, Anselm Kiefer). Elles permettent en outre de développer différentes gammes de visite (visite-conférence, visite suivie d’atelier, visite « Exp(l)oration »), l’élaboration de produits éditoriaux (fiches pédagogiques, parcours de visites) et trouve un continuum sous forme numérique. Pour que ce genre d’action fonctionne, la caution scientifique est indispensable. De plus, la manière dont un grand établissement comme la BnF est organisé n'est pas forcément cohérente aux yeux du public : par exemple, l'équipe Action pédagogique est compétente sur le temps scolaire. Il importe également de se renouveler régulièrement, du moins de trouver des formules nouvelles, de manière à rester attrayant.

La seconde étude de cas présentée portait sur la laïcité. Né du don d’un fonds par Wolinski et d’une actualité brûlante en lien avec les attentats contre Charlie Hebdo, ce projet a abouti à la réalisation d’une exposition itinérante. Vu la complexité du sujet traité, la composition d’un comité scientifique d’environ 15 personnes - provenant de l’Inspection pédagogique, des services de la BnF et autres personnes qualifiées - s’est révélée nécessaire. Le support choisi, 10 affiches à agencer ad libitum, est accompagné d’un dispositif numérique. Ce chantier considérable a demandé un investissement important de l’équipe et la question de la coordination s’est avérée très sensible. Mais, dans ce type de projet, il apparaît que les contradictions que l’on peut ressentir sont le plus souvent démenties par la réalité. Enfin, notre mission de conservation n’a de sens que si les collections sont valorisées auprès du public : écouter le public et être attentif à ses demandes reste donc fondamental.

En fin de matinée, Isabelle Le Pape répertoriait les ressources numériques proposées par le service Action pédagogique. Tous les contenus réalisés par le service Multimedia à destination des scolaires sont pensés et conçus pour les enseignants et consultables malgré un faible débit. Le portail Classes donne un aperçu des différentes activités menées sur place et des ressources pédagogiques accessibles à distance. Il contient des fiches pédagogiques téléchargeables et des liens vers Gallica illustrant les diverses ressources pédagogiques.

L’après-midi de la journée d’étude était consacré à des ateliers de présentation d’activités proposées en bibliothèques ou en services d’archives sous l’angle de l’EAC, chaque participant pouvant assister à deux d’entre eux.

Atelier 1 : « Une de presse » sur la liberté de la presse, par Isabelle Le Pape, BnF.

Atelier 2 : Créer à partir des archives : « Le poids des mots, le choc des images » par Coralie Raguin, Archives départementales de l’Hérault et Pablo Garcia, plasticien. Ce projet est né du souhait de valoriser les archives iconographiques en lien avec la programmation de Pierres Vives autour de la rue et du Street Art, en y intégrant un volet artistique. Après une présentation de documents aux participants et la mise à disposition d’originaux, l’objectif était de réaliser un journal avec l’ensemble du groupe (composition, mise en page) tout en apprenant à décoder les images. Ouvert à tous à partir de huit ans, cet atelier a surtout été suivi par des enfants. La principale difficulté de ce type de projet consiste à en évaluer l’impact éducatif.

Atelier 3 : Visite du fonds patrimonial de Nîmes et de l’exposition « La presse ancienne révélée », par Evelyne Bret et Bénédicte Tellier (Carré d’Art Bibliothèques).

Atelier 4 : La Maleta, 1 000 ans de culture occitane, par Perrine Charteau et Jeanne-Marie Vazelle, CIRDOC.

Le portail Occitanica, ouvert aux partenaires documentaires dans le domaine du patrimoine occitan, vise à valoriser les fonds et les établissements de conservation, avec une volonté de décrire des œuvres et des lieux. Or, de nombreux accès se créent autour de la culture occitane, non seulement à partir du patrimoine, mais aussi sur le plan de la création. De là a émergé l'expression d'un nouveau besoin de médiation : c'est ainsi que, avec le soutien de l'appel à projets « Services numériques culturels innovants », est née la Maleta. Mis en ligne à la rentrée, ce site donne accès aux contenus d'Occitanica de manière plus intuitive ; c’est un outil d’autant plus fondamental qu'il s'adresse à tous, y compris les non locuteurs. Il s’agit également d’un outil très collaboratif à partir duquel les enseignants peuvent faire part des retours d'expérience des ateliers qu'ils mettent en place. L'objectif à terme est de permettre à tous les participants de verser directement des contenus. La nécessité de segmenter les contenus disponibles sur Occitanica s'en est avérée indispensable. Le CIRDOC reçoit des retours dithyrambiques de la part des enseignants, même s’il s'agit le plus souvent d'enseignants d'occitan ou en occitan.