Réforme territoriale et lecture publique en Île-de-France
Journée d’étude ABF Paris-ABF Île-de-France – 19/11/2015
La réforme s’est élaborée à travers six lois, dont deux fondamentales : MAPAM et NOTRe, qui ont pour conséquences la perte des compétences générales, la fusion de communes et de régions, la création de métropoles et une nouvelle instance de consultation : la conférence territoriale… Pour mieux percevoir les enjeux que représente ce nouveau paysage administratif, l’analyse d’acteurs de tous les niveaux territoriaux a été donnée tout le long de cette journée.
Voici la réforme à travers différents points de vue
Au point de vue juridique
On supprime les interco pour créer une métropole qui laisse aux communes les compétences qu’elle ne veut pas, et la lecture publique n’est pas la vocation de la métropole. La loi NOTRe prévoit deux niveaux d’intercommunalités où les communes appartiennent d’une part aux EPT et d’autre part à la métropole. Autrement dit, soit c’est l’unanimité pour transférer les compétences au territoire soit c’est le retour aux communes et elles ont deux ans pour définir un intérêt (accord) territorial sur les équipements culturels. On doit donc financer trois niveaux (communes, territoire, métropole) avec une enveloppe en baisse. La CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) est transférée dès 2016 et la CFE (cotisation foncière des entreprises) en 2021. Les communes perdent leurs ressources fiscales et même leur pouvoir de taux (pouvoir de faire varier leurs ressources). En bref, hier on avait plus d’argent que de charges à assumer, demain les communes vont négocier le budget avec le territoire. On force la main aux élus pour qu’ils pensent dorénavant en termes d’intérêt territorial.
Point de vue depuis un département
(Seine-Saint-Denis)
La CA Plaine Commune a joué le jeu de l’intercommunalité. L’enjeu est maintenant de poursuivre cette action dans le cadre du territoire. La Lecture publique mise en réseau est une réussite et un exemple sur lequel les agglomérations voisines s’appuient : 11 équipements rénovés ou créés grâce à la volonté politique. Or si c’est un succès, il n’en reste pas moins que deux tiers du département sont loin de bénéficier des mêmes atouts. Le risque est que la territorialisation soit un frein à la solidarité entre les populations et à l’égalité territoriale car malgré ce qui a été fait, il y a encore beaucoup à investir. D’autres questions se posent : comment fidéliser et trouver de nouveaux publics, tout en négociant régulièrement les priorités et les ressources avec les EPT ? Mais aussi, si la compétence n’est finalement pas transférée, que se passera-t-il puisque les communes n’ont pas les moyens de reprendre leur équipement ? Le salon du livre de jeunesse de Montreuil financé à 60% par le département de Seine-Saint-Denis, tient sur trois collectivités. Qu’en sera-t-il demain ? Le futur territoire poursuivra-t-il cet élan ?
Point de vue depuis une communauté d’agglomération
(Evry Centre Essonne)
En 2011, les communes avaient décidé en quelques mois de transférer par arrangement économique. Il y a eu deux discours, sans coordinateur, sans projet politique, voire même avec un contre projet politique : Clamart eut ainsi des établissements transférés à l’agglo avec une politique culturelle communale. Sud de Seine a commencé la mise en réseau avec un DAC avec un transfert de conservatoire et piscine. Or l’entreprise s’est avérée compliquée, la notion de territoire n’existant pas. Autre obstacle : le transfère « des équipements », bien que le terme plus approprié de lecture publique aurait évité aux professionnels une situation schizophrénique et un morcellement du réseau. On demande, par exemple, à la direction du réseau des médiathèques de Clamart qui n’est plus assimilable à une ville de monter un salon du livre municipal... Les directeurs des principaux établissements culturels ne reconnaissent pas la légitimité du DAC et ses directives culturelles. Résultat : les différents transferts ont coûtés très chers. Rien n’a été créé si ce n’est la gratuité. Demain, rien n’assure que les autres communes rejoindront le réseau, et dans ce cas d’énormes dépenses seront perdues !
Point de vue depuis la DRAC IDF
L’état vise une attractivité économique des territoires par rapport à l’international à l’exemple des grosses villes allemandes. Nous entrons dans une période de passage de relais démographique ou les nouveaux territoires appartiendront aux professionnels de la nouvelle génération et à leur engagement. Si les EPCI se donnent la compétence équipement culturel, les nouveaux territoires lisseront les situations pour moins de disparités. En fait, la réforme finalise ce qui existe déjà. Elle permet aussi de réfléchir en terme de projet de service. La mise en réseau va permettre d’identifier l’intercommunalité. Ce qu’il y a à gagner se pose en terme de qualité service et d’évolution de la démarche professionnelle.
Point de vue depuis une agglo
(Marne la vallée-Val Maubuée)
Au départ : 85 000 habitants, 6 médiathèques, 1 médiathèque par commune, une ville nouvelle avec 30 ans de réseau, un personnel ayant l’habitude de travailler ensemble (56 agents, 10 vacataires), et une médiathèque hors les murs. Un travail de formation a été fait auprès des assistantes maternelles et un rapprochement avec les agents des médiathèques. Un effort particulier est mené pour le public handicapé et la petite enfance (label « Première page »). En 2016, l’agglomération se marie avec deux autres intercommunalités. Le territoire prendra certainement comme compétence la lecture publique puisque tout le monde se trouve déjà en réseau. Si une meilleure connaissance pour les citoyens du territoire se fait grâce à lecture publique, c’est essentiellement avec le service de navette.
Un autre point de vue depuis une autre agglo
(Evry Centre Essonne)
Il s’agit de 6 villes très intégrées, avec bibliothèques, conservatoires, théâtre, cinéma transféré, et des élus qui souhaitent la construction d’une politique culturelle bien au-delà de la gestion des équipements. Demain l’agglo fusionnera avec 4 autres collectivités, ce qui représente une situation administrative complexe pour construire une identité commune. L’enjeu est là aussi, en ce que les villes ne pourront reprendre leurs équipements. Il faut se rappeler que la réforme est faite pour rationaliser les moyens de l’action publique et que c’est un atout pour l’action intercommunale bien que le risque d’élargissement des territoires, c’est d’évacuer le risque d’éloignement de l’usager. Au sein des DAC, le cheval de bataille est de sortir de la logique années 60 et d’arrêter de se penser en filière, mais arriver à travailler en intersectoriel.
Point de vue d’un élu
L’agglomération Val-et-Forêt (Val d’Oise) est un exemple de transfert réussi bien qu’au départ les élus aient subi la mise en réseau par l’informatique. Au début ce ne fut qu’un outil commun, puis ce devint plus large que l’équipement d’un bâtiment. C’est le projet commun de lecture publique qui a permis à l’usager de s’approprier le réseau. Le défi du réseau est d’être à la fois local et intercommunal. Le réseau a permis d’apprendre à créer et réfléchir ensemble, et la lecture publique donne une image de marque considérable qui est très utile pour véhiculer l’information sur l’agglomération. Le service de communication de Val et Forêt consacre la moitié de son temps à travailler avec la lecture publique ! Et ceci pour un fonctionnement très satisfaisant. L’arrivée du réseau a permis 40 % de hausse des usagers en 4 ans.
Conclusion tirée des débats
L’enjeu intercommunal est indiscutable, bien qu’inégal et multiforme. C’est un défi à saisir. Toutes les configurations semblent pouvoir exister. Des réseaux diversifiés avec des territoires transdépartementaux, des transferts totaux ou éclatés, avec ou sans transfert de compétences, avec directeur ou coordinateur. Plus de la moitié des réseaux ont des animations communes, ce qui n’empêche pas d’en instituer, même sans réseau.
L’intercommunalité, ce sont cinq points que l’on combine à l’envie. Une drôle de recette dont les ingrédients sont : le transfert, le réseau, les ressources humaines, la mutualisation, les services et les animations que l’on mélangent dans l’ordre que l’on veut. Tout est possible pour répondre à trois préoccupations majeures : le défi de la gouvernance, la taille et l’efficacité, garder le tissu local dans des territoires élargis. C’est aussi en faisant ensemble qu’on se connaît… et en se connaissant qu’on fait mieux. Alors attention aux réussites : la mise en réseau des médiathèques induit de nouveaux services… et le risque c’est que ça marche ! Que faire quand on ne peut répondre à trop de circulation de documents ? On s’aperçoit qu’un réseau de bibliothèques n’est pas juste un ensemble de bâtiments, c’est aussi un véhicule, des gens qui font fonctionner un service qui marche et donc de l’externalisation, des gens qui font de la logistique… Elargir le service c’est, par exemple, réfléchir à la multiplicité des services de circulation, en utilisant le réseau pour toujours répondre aux besoins locaux.
On l’a vu, la compétence « lecture publique » n’existe pas et le fonctionnement d’équipement culturel est restreint mais finalement on en fait ce qu’on veut... s’il y a volonté politique ! Les différents témoignages montrent clairement qu’il ne suffit pas de s’en tenir aux équipements, mais qu’avoir une politique culturelle assure le succès. Le fait d’être sur un territoire plus large oblige à saisir une belle opportunité : se reposer des questions essentielles.