Réforme territoriale, bibliothèques et territoires ruraux

Journée ABF/ ACAL – St Flour, 30 mars 2017

Claire Lafon

Estelle Deloze

Une journée professionnelle organisée conjointement par l’ABF Auvergne et l’ACAL (Association Cantalienne des Amis de la Lecture) s’est tenue dans la salle des Jacobins de la ville de Saint-Flour. La réforme territoriale a ainsi rassemblé des bibliothécaires, des professionnels de la culture ainsi que des élus locaux. Ces 62 personnes ont pu assister aux interventions de Dominique Lahary (ancien directeur de la BDP du Val d’Oise, ex président de l’IABD, ex-vice-président de l’ABF, membre de la commission ABF « Bibliothèques et réforme territoriales »), de Damien Catcel (directeur des affaires culturelles de la Communauté de Communes du Grand-Figeac) et de Mélanie Tison (directrice de la lecture publique de la Communauté de Communes du Grand-Figeac).

Les différentes phases de la réforme territoriale modifient drastiquement le cadre institutionnel et incitent les acteurs de la lecture publique à s’adapter à ce nouvel environnement. Les conséquences touchent alors différents domaines tels que la reconfiguration des périmètres d’intervention, la coopération intercommunale, la mise en réseau des structures, des moyens et des projets. Dans ce nouveau contexte, la volonté de garantir un service de proximité et de haute qualité perdure. La journée s’est articulée autour des 2 interventions de la matinée et des ateliers thématiques de l’après-midi.

Lors de la première intervention, Dominique Lahary, toujours aussi dynamique, a présenté l’impact de la réforme territoriale sur les bibliothèques publiques. L’intercommunalité est devenue une échelle de collectivité à développer et est ainsi favorisée par cette même réforme. Il rappelle les différents types de compétences, qu’elles soient obligatoires, optionnelles ou facultatives. La compétence « lecture publique » n’y figure pas. Elle peut s’intégrer dans la compétence optionnelle « équipements culturels ».

La coopération intercommunale peut s’établir de cinq façons différentes. Le transfert d’équipements est le premier volet et concerne le bâtiment, le personnel et les collections. Il doit évaluer si la ou les bibliothèques a un intérêt communautaire. Cela ne constitue finalement qu’un changement de tutelle. La gestion peut aussi faire l’objet de coopération. Ainsi, l’informatique (comme le SIGB, le portail, etc.) et les ressources documentaires notamment numériques peuvent construire une approche communautaire.

Les ressources humaines constituent également un volet important en mutualisant les compétences et en développant le travail transversal. Un nouveau métier apparaît alors, celui de coordinateur intercommunal. Les services aux publics peuvent s’unifier et se coordonner afin d’atteindre un niveau toujours plus élevé. Une carte unique de lecteur, le catalogue et le portail aident à l’uniformisation. La circulation des documents est assurée par une navette. L’offre culturelle et les horaires d’ouverture peuvent être coordonnés. La circulation des usagers est alors favorisée. Enfin, l’intercommunalité se construit au travers d’un projet. Créer un maillage et favoriser la complémentarité entre petites et grandes bibliothèques renforce l’esprit de réseau et apporte une identité claire pour le public.

Cependant, l’intercommunalité propose une combinaison des possibles. L’absence de modèle de réseau de lecture publique laisse une totale liberté quant à son adaptation aux contextes de territoire et au pouvoir décisionnel des élus. La mécanique des compétences donne la possibilité de constituer un réseau de bibliothèques et une politique culturelle globale.

La place des départements dans ce contexte de réforme territoriale s’impose naturellement dans un cadre de solidarité individuelle et territoriale. Chaque département doit trouver sa voie et s’adapter à son contexte. En respectant le principe de subsidiarité, la construction d’une relation nouvelle entre le département et l’intercommunalité doit se faire en toute intelligence et complémentarité.

La seconde intervention nous emmène dans le Lot où Damien Catcel et Mélanie Tison présentent la politique culturelle et le réseau de lecture publique de l’intercommunalité du Grand Figeac. Ce vaste territoire enclavé, rural et peu peuplé, a fait le pari de la revitalisation grâce au développement économique, touristique et culturel. La culture représente 12 % du budget global, soit 2,5 millions d’euros, et 17 % des effectifs communautaires. Toute l’activité culturelle est assurée par des services communautaires en régie, à savoir : la médiathèque, la programmation culturelle et deux cinémas ainsi que par le tissu associatif qui est reconnu d’intérêt communautaire.

Dans ce contexte, la communauté de communes a profité du projet de réhabilitation de la médiathèque de Figeac pour faire émerger en 2016 un vaisseau de la culture, l’Astrolabe. Ce centre culturel propose aux usagers une médiathèque et un cinéma. L’équipe de la direction des affaires culturelles a ses bureaux dans les locaux. La lecture publique, le spectacle vivant, le cinéma et la direction technique constituent un pôle d’ingénierie culturelle non négligeable et facilite des marges de manœuvre budgétaires.

Au-delà, le réseau de lecture publique comporte 56 relais lecture communaux et six bibliothèques communautaires. Il travaille avec deux bibliothèques départementales, le Lot et l’Aveyron. Depuis le 1er janvier 2017, la communauté de communes du Haut-Ségala a intégré le Grand Figeac. C’est donc un réseau indépendant à intégrer dans un réseau plus large existant, un processus délicat qui ne doit pas fragiliser les bibliothèques existantes. Après un diagnostic de territoire, trois axes de travail participent au développement de ce réseau élargi. Le premier est la création d’une culture commune au sein du réseau. Ensuite, une politique documentaire répartira les acquisitions sur tout le territoire. Enfin, une politique culturelle coordonnée prend en compte la variété des publics pour des actions diffusées et adaptées. Pour cela, un agent coordonne les actions sur le réseau.

Aussi, différents écueils forment des obstacles, telle l’approche professionnelle sur le métier de bibliothécaire aujourd'hui. De plus, le niveau de compétence n’est pas toujours adapté aux demandes du réseau. Les moyens humains sont insuffisants notamment face aux élus qui souhaiteraient que toutes les bibliothèques intègrent l’intercommunalité, ou encore face au numérique qui ne propose pas un accès équitable à l’ensemble du territoire.

Des solutions se profilent comme un travail commun entre communes et communautés de communes sur l’action culturelle, ainsi qu’une augmentation des moyens humains et des budgets d’investissement. Aussi, la présence de deux BDP sur le territoire complexifie l’accès aux contenus documentaires puisque chacune n’intervient qu’exclusivement sur son aire de prédilection. La problématique de la desserte et de la coordination des structures, compétences des BDP, ne peut être substituée par l’intercommunalité qui n’en a pas les moyens.

Le réseau de lecture publique du Grand Figeac doit s’adapter à son nouveau territoire pour la cohésion de son tissu de bibliothèques.

L'après-midi, le premier groupe portait sur les relations entre État, départements et intercommunalités. Il en est ressorti que l’État joue un rôle important dans un projet d’intercommunalité, en restant un des acteurs de la politique locale. Par le biais de la Dotation Générale de Décentralisation, il permet le financement de projets de médiathèques. Il appuie également la valorisation de la culture et de la lecture publique en mettant en place des dispositifs comme les contrats territoire lecture, ainsi que des labels nationaux.

Les relations entre État, départements et intercommunalités sont au centre des fusions et des mutualisations que connaît notre territoire. La fusion apporte un regard extérieur et un conseil en termes d’animation et de conservation. Tout repose sur la conception d’un projet cohérent, prenant en compte de nombreux critères tels que la formation des personnels, des accompagnements tout au long de la création et de la mise en place de nouvelles directions, de nouveaux services, mais aussi dans le projet de création de pôles d’ingénierie.

Les publics et le numérique sont au centre des préoccupations de la lecture publique. Tous les publics doivent avoir les mêmes services, la même prise en charge sur le territoire desservi. Il est bon de maintenir des relations entre les différents publics, jeunesse, publics empêchés, etc. Généralement, grâce à l’acquisition de ressources numériques par les BDP, le territoire peut bénéficier de plusieurs services numériques comme le streaming, la presse en ligne, la VOD. Cependant, aujourd’hui nous parlons d'illectronisme, cette difficulté à lire, comprendre et utiliser le numérique. Il faut mettre en place des services innovants sur le numérique, de formations aux usagers pour les aider car aujourd’hui tout se fait par le biais d’internet.

Le deuxième groupe s’est intéressé au personnel. Comme la situation est nouvelle, une discussion entre élus et agent est essentielle pour former une base solide : il reste encore beaucoup de travail, nous n’avons pas encore de recul. La commande politique nécessite d’être claire auprès de tous. Les craintes sont nombreuses. Avec la refondation des intercommunalités, les élus et les agents ont peur de voir la fermeture d’une structure, des pertes de postes ou qu’une fracture casse le maillage social. Le fait de devoir agir dans de nouveaux territoires et avec de nouveaux services peut être un élément perturbant et inquiétant face à la méconnaissance de cette nouvelle façon de travailler. De plus, les mutations et l’évolution du métier et de ses pratiques sont au centre des préoccupations. Le cas des Bibliothèques Départementales de Prêt est amené à évoluer à court terme.

Face à tous ces questionnements, des solutions sont envisageables. La mutation permet une plus grande implication des personnels, cela rompt l’isolement de certaines structures grâce à la création d’un réseau. La formation du personnel est au cœur de ce remaniement, afin de mettre en place une politique documentaire et une conduite de projet cohérente et homogène sur tout le territoire. Le travail est alors valorisé, ainsi que les collections et les réalisations diverses.

Enfin, le dernier travail en groupe portait sur les services et actions culturelles. Un constat a été fait : les médiathèques ne sont plus aujourd’hui identifiées qu’à partir de leurs collections. Il est certain que le public définit d'abord la médiathèque comme un lieu d’évènements et de services, et ensuite comme un lieu de lecture publique. La difficulté porte sur la définition d’une politique d’animation cohérente. Créer une politique de lecture publique cohérente sur de nouveaux territoires est difficile, mais cela doit être effectué en réseau. Ce réseau comprend les élus, les professionnels de la culture et les habitants. En effet, la spécificité de l'action culturelle dans les territoires ruraux engendre la nécessité de connaître les attentes des citoyens : notamment via les élus et des enquêtes. Les médiathèques sont des espaces attractifs, perçus comme de véritables lieux sociaux. L’intercommunalité permet de redéfinir de nouveaux services et de nouvelles actions culturelles.

Conclusion de la journée : La réforme territoriale peut être une chance !

Les blocages sont la preuve qu’il y a du mouvement et que les choses avancent. Les élus et les agents des médiathèques ne sont pas sur la même temporalité, d’où ces blocages. La notion de fusion est omniprésente dans notre société actuelle : fusion des régions, fusion des communes, fusion des universités, etc. La conception d’une politique cohérente coordonnée sur de nouveaux territoires est complexe et engendre la nécessité de connaître les attentes des citoyens et de connaître l'histoire des services proposés. Les missions et services des médiathèques sont remis en question. Vont-elles évoluer vers des maisons de services ? Comment continuer à assurer une médiation de qualité autour du livre si la polyvalence est accentuée ? Les services aux publics restent la priorité et la clé de voûte de ces évolutions.