« Réforme des rythmes scolaires : de nouveaux partenariats bibliothèques – Éducation nationale ? »

Journée ABF à Nancy – 14 avril 2014

Gaël Fromentin

Le 14 avril s’est déroulée, sous un franc (et si rare en Lorraine) soleil, une journée d’étude consacrée aux partenariats entre bibliothèques et Éducation nationale dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. Cette journée, organisée par le groupe Lorraine de l’Association des bibliothécaires de France (en partenariat avec la direction régionale des affaires culturelles et Médial) a permis à plus de cent personnes de faire un point détaillé sur les modalités d’application de la réforme, mais également d’envisager les nouvelles formes de partenariats à construire entre bibliothèques et Éducation nationale. Quels enjeux pour les équipements de lecture publique ? Quels impacts sur l’organisation des bibliothèques ? Et surtout, quelle place pour l’enfant dans tous ces questionnements ?

Les rythmes de l’enfant,
un débat qui n’a rien de nouveau…

Après une brève introduction par Jacques Deville, conseiller livre et lecture de Lorraine, Dominique Lahary, en charge de l’animation de la journée, a d’abord recontextualisé l’ensemble des discussions. Il a notamment rappelé que la problématique, si sensible, des rythmes de l’apprentissage n’avait rien de nouveau et que la longueur de la journée d’école en France (la plus longue d’Europe) se trouve au cœur des discussions entre élus territoriaux, Éducation nationale, syndicats et parents d’élèves depuis de nombreuses années. C’est dans ce cadre d’une discussion complexe, mobilisant une pluralité d’acteurs, que s’inscrit cette réforme dite « des rythmes scolaires » destinée à « permettre un plus grand respect des rythmes d’apprentissage et de repos de l’enfant ».

Un cadre complexe

Le cadre de la réforme a été rappelé, soit une réorganisation de la semaine de l’enfant sur quatre jours et demi de classe pour un total hebdomadaire de 24 heures d’enseignement, le tout accompagné des désormais fameux « TAP » (temps d’activités périscolaires), organisés par chacune des collectivités selon des modalités (horaires, activités comprises dans ce temps, gratuité ou non de celles-ci) relevant de leur volonté propre. Le tout pouvant s’inscrire dans le cadre d’un projet éducatif territorial (PEDT), visant à réunir les acteurs (éducatifs, associatifs, culturels) d’un territoire afin de mettre en place un parcours éducatif cohérent et de qualité.

Cette réorganisation du temps scolaire et périscolaire soulève, Dominique Lahary l’a rappelé, nombre de questions : problématique de la compétence scolaire et périscolaire relevant d’échelons souvent différents (et ne parlons pas, en plus, des compétences en lecture publique…), mutations des relations écoles – bibliothèques, nécessité d’un dialogue soutenu entre élus, enseignants, parents d’élèves et bibliothèques. Avec, au-delà des craintes (parfois légitimes) pour les bibliothécaires, l’opportunité de repenser l’offre en direction des jeunes publics et de remettre la bibliothèque au cœur de la cité.

Jean-Michel Merillou, inspecteur de l’Éducation nationale, a, dans la foulée, reprécisé les objectifs de la réforme : veiller au bien-être de l’enfant en lui permettant d’être moins fatigué et, au final, aboutir à une articulation plus cohérente entre temps scolaire, périscolaire et familial. En toile de fond également, apparaissent les inégalités croissantes dans la maîtrise des compétences de base entre enfants, apparaissant notamment dans les dernières enquêtes Pisa réalisées par l’OCDE.

Les bibliothèques ont un rôle à jouer

Réforme complexe donc, bouleversant pour partie l’architecture de l’offre périscolaire territoriale : Claude Poissenot a rebondi sur ces bouleversements en posant la question de la relation entre école et bibliothèque, deux institutions tout à la fois complémentaires et concurrentes, inscrites au cœur d’une relation ambigüe. Les TAP sont une opportunité de lever cette ambiguïté et de mieux définir ce que l’on entend par « périscolaire » : la bibliothèque pourrait ainsi se positionner comme espace d’appropriation des cultures émergentes (cultures expressives liées à internet et aux réseaux) ou encore de construction d’un nouveau rapport à la culture. Bref, la bibliothèque s’adresserait aux enfants par-delà leur statut d’élèves. Nicolas de Saint-Rémy, de la Ligue de l’enseignement, acteur essentiel de cette réforme, a conclu cette matinée en rappelant l’existence sur chacun des territoires de nombreux acteurs et de ressources diversifiées, trop souvent sous-utilisées.

Quelques questions de la salle ont mis en avant les inquiétudes traversant les bibliothèques : absence parfois de discussions partagées entre chacun des acteurs concernés en amont de la mise en œuvre de la réforme, diminution subie de l’offre de services « de base » des équipements (réduction des horaires d’ouverture, des accueils de classe, des animations), parfois amenés à se rendre dans les écoles pour assurer ces temps périscolaires.

Une réforme riche d’opportunités… et d’inquiétudes

Après une pause déjeuner, sous un franc soleil et dans les agréables jardins du Museum-Aquarium, l’après-midi a été consacrée à des retours d’expériences. Sylvie Aubel, directrice de l’enseignement de la ville de Nancy, a présenté les modalités d’application de la réforme des rythmes scolaires sur le territoire urbain. La démarche retenue a été celle d’une vaste concertation, associant dès le premier trimestre de l’année 2013 familles, enseignants, acteurs associatifs et culturels du territoire (regroupant 6 600 élèves et 400 enseignants). Dans chacune des 48 écoles a été mis en place un comité de suivi, le PEDT ayant quant à lui été élaboré par un comité de pilotage élargi. Au final, des parcours transversaux (musique, image et cinéma, histoire de l’art, livre) ont été mis en place associant chacun des équipements culturels de la ville.

Les interventions successives (Anne Fogelgesang pour la médiathèque de Forbach, Marion Crouzier pour le réseau de médiathèques de la Communauté de communes Moselle-et-Madon, Évelyne Dumont-Uhlrich pour la bibliothèque de Toul et Lionel Demange pour la ville de Laxou) ont présenté les dispositifs mis en place, le plus souvent avec succès, dans chacune des collectivités, tout en insistant sur des points méthodologiques essentiels : travailler en lien étroit avec les élus et enseignants dans le cadre d’un comité de pilotage structuré, bénéficier de l’appui d’animateurs qualifiés, faire de préférence venir les enfants dans les murs des bibliothèques, et, pour ce qui concerne les bibliothèques, être de toutes les manières force de proposition.

C’est en effet ainsi que cette réforme, menée, rappelons-le, avant tout dans l’intérêt de l’enfant, permettra aux bibliothèques de jouer pleinement leur rôle d’acteurs éducatifs et culturels sur leurs territoires. Les derniers mots ont élé laissés à Claude Poissenot et Dominique Lahary, incitant les bibliothécaires à dépasser certaines de leurs inquiétudes et crispations identitaires pour « être eux-mêmes », au service de l’enfant et de ses rythmes.

Bref, le chantier continue…