Publier autrement : l’épopée d’Episciences et des overlay journals

Lyon – 30 et 31 mars 2023

Alice Fritsch

Les jeudi 30 et vendredi 31 mars 2023, la plateforme Episciences 1

a célébré ses dix ans au cours d’une rencontre organisée à l’École normale supérieure (ENS) de Lyon. Ces journées, intitulées « Publier autrement : l’épopée d’Episciences et des overlay journals », ont été l’occasion pour les personnes présentes, toutes engagées dans la science ouverte, d’échanger autour de leurs métiers et de leurs pratiques 2
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Site de l’événement : https://episciences2023.sciencesconf.org/

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Comme l’ont rappelé à l’aube des journées Nathalie Fargier, directrice du Centre pour la communication scientifique directe (CCSD), et Antoine Petit, président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui, malgré son impossibilité de se rendre à cette rencontre, avait enregistré une vidéo pour le discours d’ouverture, Episciences a su s’affirmer comme un acteur de référence, inséré dans le réseau national mais également européen et mondial de promotion de l’Open Access.

Episciences est une plateforme d’édition et de publication scientifiques en accès ouvert diamant – sans frais ni pour les lecteurs et lectrices, ni pour les auteurs et autrices – développée par le CCSD, unité d’appui et de recherche sous la triple tutelle du CNRS, de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) et de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Reposant sur les archives ouvertes (actuellement HAL, arXiv et Zenodo), le modèle éditorial d’Episciences consiste à valoriser des manuscrits scientifiques, ou preprints, disponibles en accès libre, en leur assurant une évaluation par les pairs afin de les diffuser ensuite dans des revues pilotées par les communautés scientifiques elles-mêmes. C’est là l’originalité du fonctionnement des revues utilisant Episciences : ce sont des épi-revues, ou overlay journals en anglais, dans le sens où elles sont conçues comme une « surcouche » aux archives ouvertes.

À ce jour, ce sont plus de 5 500 articles qui sont diffusés par les 26 revues utilisant Episciences à l’international. À cet effet, les journées d’Episciences étaient d’ailleurs traduites en simultané en anglais, plusieurs intervenant·es, et participant·es n’ayant pas pour langue maternelle le français, et les interventions étaient retransmises en direct sur la chaîne YouTube du CCSD 3

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Vidéos des Journées « Publier autrement : l’épopée d’Episciences et des overlay journals ». En ligne : https://www.youtube.com/watch?v=3UCzxSYOChk et https://www.youtube.com/watch?v=u24k1OQNsOg

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Episciences : une plateforme innovante pour valoriser la recherche scientifique

Si la plateforme Episciences a officiellement vu le jour en 2013, les premières réflexions autour de sa création ont été portées dès 2002 par le professeur de mathématiques Jean-Pierre Demailly, fervent défenseur de l’accès ouvert, comme l’a rappelé Claude Kirchner, président du comité de pilotage d’Episciences. En effet, suite à la création du CCSD en 2000 et de HAL en 2001, Jean-Pierre Demailly, à qui un hommage a été rendu par Christine Berthaud, l’ancienne directrice du CCSD, envisage de mettre en place un service d’épi-revues afin d’apporter une validation scientifique aux preprints déposés dans l’archive ouverte naissante.

La plateforme accueille des revues internationales de tous les horizons disciplinaires, que celles-ci soient en création, ou déjà établies mais désireuses de se tourner vers un modèle de publication overlay en accès ouvert diamant. La diversité des revues présentes sur Episciences a été particulièrement mise en lumière au cours de cette rencontre : des représentant·es de revues ont ainsi pu partager leurs parcours, que ce soit au cours de retours d’expérience ou de la table ronde de la première session dédiée à la présentation de la plateforme et de ses revues partenaires.

Durant cette table ronde, préparée par Julie Giovacchini et animée par Céline Barthonnat, éditrice, chargée de publication Episciences, différents sujets ont été soulevés, du fonctionnement des revues à leurs sources de financement en passant par les stratégies qu’elles ont pu mettre en place en termes de communication. Ce moment a été l’occasion de soulever des problématiques souvent peu visibles du monde de l’édition scientifique et de confronter les expériences métier des professionnel·les de la recherche et de l’édition. A ainsi été abordée la question du financement des revues qui, quand bien même leur contenu est accessible gratuitement, n’en implique pas moins des coûts de fonctionnement, ou encore celle du copy editing, processus à l’interface de l’éditorialisation et de la recherche, qui est un service de plus en plus recherché par les équipes éditoriales des revues.

L’article et la revue scientifique : au cœur de nouvelles formes éditoriales

Si les revues ayant fait le choix d’Episciences se caractérisent par une grande diversité, pour toutes le choix du modèle diamant est motivé par des convictions fortes dans la nécessité de l’ouverture de l’accès aux publications scientifiques. La deuxième session, présidée par Hélène Lowinger, coordinatrice du pôle Édition scientifique à l’INRIA, a ainsi abordé la thématique des modèles éditoriaux émergents, parmi lesquels on retrouve les overlay journals. Comme l’a expliqué Antti Mikael Rousi (Aalto University), ces épi-revues sont finalement assez difficiles à repérer, dans la mesure où il n’existe pas de liste les recensant. Sur les 34 épi-revues qu’il est parvenu à identifier au cours d’une étude menée avec Mikael Laakso 4

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Antti Mikael ROUSI et Mikael LAAKSO, « Overlay journals : A study of the current landscape », Journal of Librarianship and Information Science, 2022. En ligne : https://doi.org/10.1177/09610006221125208

, la plupart relèvent des sciences techniques et médicales, et notamment de la physique et de l’informatique, deux disciplines qui utilisent massivement les archives ouvertes dans leurs pratiques de recherche et de publication. Le taux d’indexation des épi-revues dans les bases de données scientifiques comme Web of Science ou Scopus est assez faible, notamment parmi les épi-revues naissantes – comme pour n’importe quelle revue scientifique. Mais l’indexation reste, pour Antti Mikael Rousi, un enjeu brûlant, dans la mesure où il s’agit d’un levier pour assurer aux revues une audience et une reconnaissance, et donc, une certaine pérennité. Cette thématique très controversée a été largement discutée tout au long des journées, ce qui a tout autant mis en lumière la diversité des points de vue selon les métiers et les disciplines de la recherche scientifique, que la nécessité d’un changement de paradigme de l’évaluation scientifique selon des critères non plus quantitatifs, mais qualitatifs.

Cette session a également été l’occasion d’aborder en profondeur la question de l’évaluation par les pairs, garante de la scientificité d’une publication, à la fois au prisme des défis qu’elle rencontre actuellement – la pénurie de relecteurs et relectrices face à une quantité de publications scientifiques en croissance exponentielle, la menace des revues prédatrices, le manque de formation à l’écriture d’articles scientifiques pour les jeunes chercheurs et chercheuses – mais aussi du point de vue des initiatives novatrices qui voient le jour actuellement. Un exemple d’initiative de ce type a été présenté durant cette deuxième session : Peer Community In (PCI) 5

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Peer Community In : https://peercommunityin.org/

, une plateforme qui vise à regrouper des communautés de chercheurs de toutes les disciplines. L’objectif de ces différentes communautés est d’organiser l’évaluation et la recommandation de preprints déposés dans des archives ouvertes, selon une démarche transparente qui lève le voile sur un aspect traditionnellement obscur de la recherche scientifique. L’intégralité du processus de relecture est ainsi rendue public, tout comme le texte de recommandation accompagnant la prépublication, et se trouve découplée du processus de publication, puisque la version finale recommandée et déposée dans une archive ouverte du preprint est alors reconnue pour sa scientificité. Reposant sur une évaluation par les pairs ouverte, ou open peer review, ce système permet la poursuite de débats entre chercheurs, chercheuses et relecteurs, relectrices, ce qui est impossible dans le système traditionnel de relecture en simple ou double aveugle, comme l’a d’ailleurs fait remarquer Chérifa Boukacem-Zeghmouri, copilote du groupe « Evaluation », du Comité pour la science ouverte (COSO), au cours de son intervention. L’open peer review est l’un des neuf points du Plan d’action 2023 d’Episciences, comme l’a indiqué le responsable de la plateforme Raphaël Tournoy.

La libération de la communication scientifique : une dynamique nationale, européenne, mondiale

La troisième session, présidée par Serge Bauin, de la Direction des données ouvertes de la recherche (DDOR) du CNRS et membre du comité de pilotage d’Episciences, était, quant à elle, dédiée à l’insertion d’Episciences dans la dynamique plaidant pour la généralisation de l’accès ouvert aux publications scientifiques. En effet, la prise de conscience d’une déficience du système traditionnel de publication scientifique, caractérisé par le monopole des revues commerciales et la fermeture de l’accès au savoir, a donné naissance à de multiples initiatives qui, à l’instar d’Episciences, visent à développer des modèles plus intègres de publication scientifique. Le soutien initialement militant à la science ouverte, lequel émanait de communautés éparses de chercheurs, a pris une ampleur incontestable au cours de ces dernières années, et est désormais supporté par les institutions. En attestent notamment, en France, les deux Plans nationaux pour la science ouverte (PNSO) sur lesquels est revenue Odile Contat, cheffe du département Diffusion des connaissances et documentation au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le soutien aux infrastructures nationales et internationales œuvrant pour l’ouverture de la science est ainsi devenu une priorité, et est assuré par le Fonds national pour la science ouverte (FNSO). Parmi les multiples objectifs du deuxième PNSO figure le soutien aux modèles économiques d’édition en accès ouvert dans toute leur diversité, selon l’idée que la bibliodiversité doit être tout particulièrement encouragée.

À l’échelle européenne, le Plan d’action pour l’accès ouvert diamant lancé en 2022 atteste lui aussi du soutien croissant au modèle diamant : les trois objectifs de ce plan d’action, présentés par Zoé Ancion, responsable du pôle Science ouverte de l’Agence nationale de la recherche (ANR), se concentrent sur le soutien à un modèle d’édition scientifique équitable, pérenne et contrôlé par les communautés de chercheurs, mais également sur le développement de ressources communes au bénéfice de l’écosystème de l’édition en accès ouvert diamant, et enfin sur l’encouragement à la fédération des acteurs et actrices de la communauté scientifique. Cette dernière ambition est particulièrement importante, dans la mesure où la constitution d’une communauté fédérée autour des enjeux de l’accès ouvert permettrait de mettre fin à la situation d’archipel dans laquelle ont tendance à se trouver les acteurs et actrices des revues diamant aujourd’hui. Mais comme l’a fait remarquer Pierre Mounier, directeur-adjoint du Centre pour l’édition électronique ouverte, au cours de sa présentation des projets DIAMAS 6

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Projet DIAMAS : https://diamasproject.eu/.

et Craft-OA, lesquels découlent directement du Plan d’action pour l’accès ouvert diamant, les Français font à ce sujet figure de proue : en effet, des projets communs commencent déjà à émerger, à l’instar de la collaboration entre l’Académie des sciences, le centre Mersenne et le Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) présentée par Justine Ancelin-Fabre, directrice du Patrimoine et des ressources scientifiques de l’Académie des sciences, Célia Vaudaine, responsable opérationnelle du centre Mersenne, et Laurence Bénichou, cheffe du service des Publications scientifiques du MNHN. La mise en commun des compétences et le partage entre les différents acteurs et actrices de la science ouverte apparaissent ainsi comme un moyen pour tous les métiers de l’édition scientifique de s’enrichir, tant du côté des chercheurs et chercheuses que des éditeurs et éditrices. L’insertion d’Episciences dans le mouvement international de la science ouverte s’illustre tout particulièrement par son inclusion dans le catalogue de services d’OpenAIRE et d’European Open Science Cloud (EOSC) 7, grâce au projet OpenAIRE Nexus, dont les services ont été présentés par Giulia Malaguarnera, chercheuse à l’université de Catane (Italie).

Conclusion

Episciences a su s’affirmer en dix ans comme une plateforme de référence d’édition et de publication scientifiques, en France comme à l’étranger. Ces journées étaient l’occasion de revenir sur le parcours d’Episciences et sur les évolutions que la plateforme a embrassées pour proposer une offre de services toujours plus adaptée aux attentes et usages des revues avec lesquelles elle collabore. De plus, cette rencontre a permis à la centaine de participant·es, qu’ils soient chercheurs, chercheuses ou professionnel·les de l’information scientifique et technique, d’échanger sur leurs métiers et leurs pratiques. Pour reprendre les termes introductifs de Nathalie Fargier, le modèle des overlay journals possède un fort « potentiel en termes d’innovation, de transparence et de qualité du processus éditorial », et Episciences est un acteur majeur parmi la galaxie d’initiatives existantes autour des épi-revues et, plus généralement, de l’accès ouvert diamant, qu’ont su mettre en avant ces journées.