Publics sourds et malentendants en bibliothèque

Journée ABF Lorraine – 27 mars 2017

Christine Sigrist

Le 27 mars 2017 à la médiathèque de Vandoeuvre s’est tenue une journée d’étude organisée par l’ABF Lorraine, avec pour thème : les publics sourds et malentendants en bibliothèque.

En ouverture de cette journée, Colette Gravier (DRAC région Grand Est) a dressé un rapide bilan des offres culturelles actuelles à destination de ces publics : elles restent pauvres dans la région malgré certaines actions déjà menées. Elle rappelle les aides possibles de la DRAC et du CNL à destination des publics empêchés et en situation de handicap.

Cette journée a eu deux objectifs : présenter les Pôles Sourds des bibliothèques de la Ville de Paris (avec précisément la bibliothèque Chaptal) et faire le point sur la situation dans la région. Au travers des témoignages et des ateliers, les participants ont pu avoir un large éventail des actions menées par des équipes motivées et soucieuses de vouloir accueillir les sourds et malentendants.

Bibliothèque Chaptal : une référence nationale

Un public sourd ou plusieurs publics sourds ?

En introduction, Anne-Laurence Gautier (bibliothécaire à la bibliothèque Chaptal) a dressé un portrait des différentes surdités qui touchent environ 9% de la population française, c'est-à-dire cinq à six millions de sourds et malentendants qui ont des origines diverses : surdité génétique ou acquise au cours de la vie et de la vieillesse. Elles peuvent être classées selon le mode de communication utilisé : soit la lecture labiale ou la Langue des Signes Française (LSF).

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Affiche LSF – Dessin Bibliothèque Chaptal (reproduction interdite) – Photo Bibliothèque de Nancy

Plus rarement, le langage parlé complété (LPC), qui est un codage, est un autre moyen de communication. Il est plutôt utilisé lors des conférences ou à l’école. La surdité fait partie de la catégorie des handicaps invisibles, ce qui représente une difficulté majeure pour l’accueil en bibliothèque. Il existe une culture sourde qui rassemble des valeurs, des pratiques et une langue commune, la LSF. Son histoire est assez récente mais elle existerait depuis très longtemps, probablement avant les langues vocales, mais sans aucune preuve. Le 18e siècle voit apparaître la création de la première école publique gratuite pour les sourds. C’est l’âge d’or de la LSF, où l’on voit l’émergence de nombreux artistes et intellectuels sourds. Le Congrès de Milan en 1880 marque un coup d’arrêt à la LSF : elle est en effet interdite pendant 100 ans ! 1970 amorce un nouveau départ en France avec « Le réveil Sourd » et la création d’IVT en 1977. La Loi du 11 février 2005 reconnaît la LSF en tant que langue à part entière. Le taux d’illettrisme et l’échec scolaire sont assez élevés parmi les sourds, ce qui constitue un frein à l’entrée des sourds en bibliothèque, qui a été levé par le développement des pôles sourds de la Ville de Paris.

Les pôles sourds des bibliothèques de la Ville de Paris et l’exemple de Chaptal

Paris compte 72 bibliothèques et parmi celles-ci, cinq sont labellisées pôle sourd : médiathèque de la Canopée la fontaine, bibliothèque André-Malraux, bibliothèque Chaptal, bibliothèque Saint-Eloi, bibliothèque Fessart. Les équipes mixtes, avec au moins un agent sourd, accueillent les publics en LSF et proposent des animations accessibles aux sourds et malentendants. Leur blog, Bibliopi, est leur identité numérique, avec un logo, les mains sur fond rose, et un slogan commun, « La culture à pleine mains ».

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Logo que l’on retrouve sur tous les documents du fonds « Monde des Sourds » et supports de communication

Bibliopi, c’est également une équipe de bibliothécaires sourds et entendants sensibilisée et formée. La clé de la réussite de cet accueil est le recrutement d’agents sourds. C’est la condition pour que le public sourd entre et fréquente la bibliothèque. Dans la 2e édition des directives de l’IFLA, destinées aux services des bibliothèques pour les sourds, il est écrit :

Art. 3. 1. 3 : Lors du recrutement des personnes qui seront impliquées dans les services pour les sourds, les bibliothèques devraient veiller à choisir celles qui sont déjà crédibles au sein de cette communauté, ou crédibles de l’être.

A la bibliothèque Chaptal, sur 20 agents, 40 % sont en situation de handicap, trois sourds et deux malentendants. La communication joue un rôle essentiel dans les équipes et les collègues sourds doivent avoir le même niveau d’information que les autres. Chaque agent entendant est formé à la lecture labiale et à la LSF. Les objectifs de l’établissement définissent la bibliothèque comme un lieu de rencontre pour les sourds, les malentendants et les entendants, afin que chacun y trouve sa place, qu’il se sente en confiance et valorisé. Au niveau de l’offre culturelle, Chaptal propose plusieurs animations (heures du conte, spectacles, conférences, projections, ateliers qui sont tous soit bilingues, soit sous-titrés ou visuels), et accueille des classes d’enfants sourds et des groupes d’adultes sourds. Un gros travail sur le signalement des collections a été fait à Chaptal. Ainsi un fonds de 800 documents sur le monde des sourds et de la LSF a été créé et porte une étiquette spéciale, deux mains blanches sur fond rose (le logo commun de Bibliopi), afin d’être facilement repérable.

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Fonds « Monde des Sourds » à la Bibliothèque Chaptal – Photo Bibliothèque de Nancy

De même, les DVD portent la même étiquette s’il correspond au thème, avec en plus une signalétique pour indiquer la présence du sous-titrage, ou de la LSF. Un petit fonds d’adaptation de littérature jeunesse en LSF a été créé, en conformité avec la loi DADVSI, qui rend possible cette adaptation. Ainsi à Paris, 13 titres adaptés et un livre avec le DVD en version LSF, sont désormais disponibles. Ces prêts sont réservés uniquement aux personnes sourdes.

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Album adapté en LSF et dont le prêt est réservé aux usagers sourds – Loi DADVSI exception au droit d’auteur – Bibliothèque Chaptal – Photo Bibliothèque de Nancy

Avec cette production adaptée, Anne-Laurence Gautier espère obtenir l’agrément du ministère de la Culture. En conséquence, les sourds fréquentent petit à petit les bibliothèques. Les chiffres sont encore bas mais avec une présence constante et plus régulière. Pour les animations en revanche, le public sourd est plus largement présent. Il peut représenter jusqu’à 70% du public.

Et en région Lorraine ?

Au travers des présentations, des témoignages et des ateliers, les participants ont pu découvrir ce qui est proposé en région. Ainsi, les bibliothèques d’Epinal et de Nancy proposent des vidéos explicatives en LSF réalisées par l’association Sourd Métrage présidée par Olivier Marchal.

Tous les participants ont pu assister aux quatre ateliers proposés :

- atelier de contes bilingues proposé par Amandine Didelot (entendante et bibliothécaire à Nancy), et Jean-Loup Hervé (sourd, professeur de LSF et intervenant extérieur) qui ont raconté des histoires très courtes. Leur travail évolue vers davantage de langue des signes et moins de français oral. Cette principale animation à destination du public sourd existe depuis 8 ans déjà et connaît un beau succès ;

- atelier de Biblioconnection, présenté en démonstration. Cet outil pédagogique qui sera bientôt disponible à la médiathèque de Nancy permet de lire un livre et de le voir en version audio, audiodécrite (pour les handicapés visuels), LSF et « facile à lire ». C’est une application qui fonctionne avec un détecteur de mouvement kinect et une souris adaptée ;

- initiation à la Langue des Signes, proposée par Christophe Laroche (sourd enseignant LSF à la Faculté de Nancy et président de l’association Cri et Rex)

- atelier animé par l’Espoir lorrain des devenus sourds, qui a présenté le matériel à destination des personnes porteuses d’appareils auditifs. A Nancy à la médiathèque, une boucle magnétique portative permettant de suivre tous les échanges lors d’animations ou pour communiquer avec les bibliothécaires, est disponible sur simple demande. Aussi, les malentendants disposent d’un kit d’accueil.

La table ronde de cette fin de journée a permis de faire le bilan et de parler de certaines actions en région à destination du public sourd dans le milieu culturel. Plusieurs besoins ont été dégagés pour améliorer ou mettre en place l’accueil et permettre une offre culturelle diversifiée et accessible. La priorité est la formation à la Langue des Signes ainsi que la sensibilisation au monde des sourds. Anne-Laurence Gautier a une fois encore rappelé l’importance de la présence des agents sourds en bibliothèque, ce qui pourrait constituer un projet d’établissement. Les fonds de culture sourde existant déjà ont été évoqués, mais demandent à être enrichis. Parmi les sourds présents, certains ont relevé l’évolution de la qualité de l’accueil dans les bibliothèques de la région. Les deux instituts de la Malgrange et de l’INJS de Metz sont des « réservoirs » de publics sourds auxquels les bibliothécaires souhaitent proposer un meilleur accueil.

Cette journée a été prolongée, pour les personnes intéressées, par la visite des deux bibliothèques des Pôles Sourds de la Ville de Paris : Canopée et Chaptal. Ces deux bibliothèques sont considérées comme des modèles à suivre et inspireront sans doute les bibliothèques lorraines.