Partage d’expérience en bibliothèque : les enjeux du livre numérique
Salon de la bibliothèque de l’enssib – 18 juin 2015
Animée par Priscille Legros, étudiante en master publication numérique à l'enssib et stagiaire à l'Arald, la rencontre « Partage d’expérience en bibliothèque – les enjeux du livre numérique » réunissant Davy Athuil, fondateur de la maison d'édition Le Peuple de Mü et Béatrice Wicinski, bibliothécaire en charge des services numériques à Meyzieu (Rhône), s'est tenue le 18 juin 2015 au salon de la bibliothèque de l'enssib. Y ont assisté essentiellement des bibliothécaires, désireux de mettre à jour leurs connaissances sur ce sujet.
Tout d’abord, Davy et Béatrice ont tenu à rappeler que par le terme « livre numérique », on désigne un fichier numérique dans un format permettant l’interopérabilité entre les écrans. Ainsi, l’ePub est un format de livre numérique tandis que le format .pdf, encore largement utilisé, n’en est pas un. Le logiciel propriétaire Indesign permet de passer facilement d’un fichier texte à un livre numérique. Il existe d’autres logiciels libres, dont Atlantis, qui permettent d’éditer en numérique également.
La discussion s'est articulée autour de 3 axes :
- le volontarisme éditorial mais la difficile adaptation à la demande des lecteurs
- une offre de lecture numérique encore peu connue en bibliothèque
- quelle coopération possible entre bibliothèques et les éditeurs ?
Le point de vue de l’éditeur
La maison d'édition Le Peuple de Mü édite depuis deux ans des livres numériques qui relèvent de ce que l'on appelle les "littératures de l'imaginaire".
Au départ, le choix de n'éditer qu'au format numérique (pure player), correspond à une réalité économique et culturelle : celle d’investir un secteur innovant, financièrement accessible et dans lequel s'illustrent de nombreux auteurs des littératures de l'imaginaire.
À l'usage, le Peuple de Mü a décidé de revoir son modèle pour proposer des versions imprimées de ses romans.
En deux ans, onze romans sont publiés au Peuple de Mü et diffusés depuis peu par SoBook. Les mots d'ordre du Peuple de Mü restent l'accessibilité et la juste rémunération des auteurs. Les romans imprimés sont vendus à moins de 20€, la version numérique coûte 30% du prix de l'imprimé. L'auteur touche 15% dans le cas de l'imprimé, 20 à 30% dans le cas du numérique. Ces tarifs, décidés par Mü, n'ont pas été remis en cause par le diffuseur.
De plus, le Peuple de Mü ne pratique pas de DRM 1 afin de permettre la libre circulation du fichier numérique une fois que ce dernier a été acquis par un lecteur.
Pour Davy Athuil, il convient de relativiser la crainte et les conséquences du piratage des ebooks. Le piratage de masse est le fait d'internautes qui n'achètent pas le livre pour son contenu : il ne s’agit pas d’acheteurs potentiels. À l'inverse, les lecteurs qui téléchargent par curiosité finissent par acheter : c'est le cas pour la saga Game of Throne dont les coffrets se sont très bien vendus malgré un important piratage.
Du côté de la bibliothèque
Le développement de services numériques est un axe fort du projet d'établissement à la bibliothèque de Meyzieu.
Dès 2012, elle propose au prêt 17 liseuses chargées, dont 2 sont dédiées aux littératures de l'imaginaire, et met à disposition sur place des tablettes et des consoles de jeux vidéos. La bibliothèque consacre 15 000€ aux ressources numériques (budget total d'acquisition : 115 000€), elle a par exemple souscrit à Numilog (librairie en ligne). Elle anime régulièrement des ateliers numériques et des rendez-vous culturels autour de ce sujet.
De ce fait, la bibliothèque de Meyzieu est identifiée comme un lieu ressource pour le numérique, à l'échelle de la commune. Elle est sollicitée par des habitants pour répondre à des questions relatives à l’équipement informatique domestique. Pour la profession, la bibliothèque de Meyzieu reste pionnière. Béatrice est régulièrement contactée au sujet de l’offre numérique proposée par la bibliothèque. Cependant, cette initiative relève encore de l'expérimentation. 300 lecteurs sont inscrits sur Numilog, chiffre qui reste faible au regard du coût engendré par ces ressources. Si la question du prêt numérique en bibliothèque pose encore problème d’un point de vue juridique, la direction générale de la consommation et de la répression des fraudes est pour l'instant assez tolérante sur les expérimentations jusqu'à la mise en place d'un modèle.
Une étude a été récemment menée pour dégager des tendances parmi les lecteurs des livres numériques à la bibliothèque de Meyzieu. Une part des lecteurs n'emprunte plus qu'en numérique et échappe donc à la connaissance des bibliothécaires : pour Béatrice, il convient donc de repenser la communication de la bibliothèque en prenant en compte ce paramètre.
Une grande partie de ces lecteurs numériques sont des lectrices : là encore, ce chiffre doit être relativisé compte-tenu du fait que les inscrits à la bibliothèque, et par conséquent des personnes qui ont répondu au sondage, sont aussi majoritairement des femmes.
Perspectives pour le livre numérique
Davy Athuil et Béatrice Wicinski s’accordent à dire que la lecture numérique et la lecture d’imprimés ne répondent pas aux mêmes besoins. D’un point de vue pratique, la liseuse présente des avantages pour des personnes qui voyagent souvent ou pour des personnes dont l’acuité visuelle nécessite de gros caractères. Des fonctionnalités additionnelles, comme la possibilité de consulter un dictionnaire, sont également prisées par les utilisateurs de liseuses.
Cependant, les obstacles à la lecture numérique restent nombreux et liés à l’acculturation : la prise en main de l’outil, le chargement des fichiers numériques, le programme pour désactiver le verrou DRM, la compatibilité des formats compliquent les pratiques de lecture.
Dans ce contexte complexe et dans lequel les offres et les outils changent rapidement, il convient donc aux professionnels de s’adapter : les bibliothécaires en poursuivant et renforçant leur travail de médiation, les éditeurs, libraires, etc…en travaillant main dans la main avec les développeurs pour simplifier et améliorer l’expérience de lecture.
Au-delà des aspects techniques, l’aspect financier reste lui aussi peu favorable. A l’heure actuelle, parallèlement aux abonnements à des plateformes telles Numilog, dont le coût est lourd pour une collectivité, il existe des offres de streaming (sans téléchargement pérenne du fichier) telles que celle de Professeur Cyclope (bande dessinée et fiction numérique, développée en partenariat avec arte VOD) ou encoreThe Story Player. Cette solution pose le problème de la lecture « déconnectée », dans les transports en commun par exemple, lorsque l’accès à internet n’est pas possible.
A l’échelle nationale, le projet PNB 2 (prêt numérique en bibliothèque, association de librairies avec des bibliothèques de façon à permettre à la bibliothèque de prêter des fichiers numériques) cherche à concilier la liberté des lecteurs en bibliothèque avec une juste rétribution des auteurs. Les solutions proposées jusqu’ici ne sont pas satisfaisantes.
En Rhône-Alpes, l’Arald travaille en collaboration avec 1D-touch (plateforme de streaming pour des contenus culturels indépendants) pour développer une offre d’éditeurs rhonalpins.
Davy Athuil a conclu la rencontre en réaffirmant que la lecture numérique est liée à la volonté d’expérimenter de nouveaux modèles culturels et économiques. Pour lui, les bibliothécaires sont les personnes les mieux informées sur le livre numérique. Il est donc important d’être présent à leurs côtés, de partager, comme lors de cette rencontre, les retours d’expérience, ainsi que la veille professionnelle sur les pratiques et sur les techniques.