Open up ! Open up ! Effets de la science ouverte sur les organisations

Congrès de l’ADBU – 28 au 30 septembre 2022, Caen

Véronique Heurtematte

Organisé du 28 au 30 septembre 2022 à Caen, le 51e Congrès de l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU), intitulé « Open up ! Open up ! Effets de la science ouverte sur les organisations », s’est penché sur les conséquences de cette mission, en plein essor, sur les bibliothèques universitaires (BU).

Les universités, des organisations comme les autres ?

Dans sa conférence inaugurale « Que peut nous apprendre la sociologie sur les effets de la science ouverte sur les organisations ? », Christine Musselin, directrice de recherche au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po, a rappelé que l’étude des universités en tant qu’organismes est assez récente, remontant aux années 1970. Après les avoir considérées comme des organismes spécifiques, les études qui leur sont consacrées depuis les années 1980 se sont au contraire employées à démontrer que les universités sont des institutions comme les autres, ce qui se traduit, notamment, par le recours à des solutions managériales empruntées au monde de l’entreprise.

Christine Musselin continue cependant de défendre l’idée que l’université n’est pas un organisme comme les autres pour deux raisons. La première est l’existence d’une gouvernance spécifique constituée de trois piliers : la gouvernance administrative, une organisation hiérarchique et une coordination politique. Les présidents d’universités disposent ainsi de plusieurs manières de gérer leur établissement, soit en s’appuyant sur l’administration, soit sur les instances. La seconde raison est la spécificité de l’activité de recherche et d’enseignement, exercée de manière individuelle, avec une faible interdépendance fonctionnelle entre les enseignants-chercheurs.

Concernant la science ouverte, la chercheuse s’est montrée sceptique, un peu à contre-courant des discours habituels. « Beaucoup de solutions pour le dépôt des données sont développées à l’échelle de chaque université, or, l’attachement de l’universitaire à son institution étant historiquement faible, il ne se sent pas obligé de se plier à cette pratique. La revendication de la liberté académique, les chercheurs voulant rester libres de publier dans les revues de leur choix, est aussi un frein, a avancé la sociologue. Autre frein, le travail supplémentaire qu’engendre la science ouverte sans que les chercheurs en perçoivent toujours l’intérêt. Certaines disciplines, notamment en SHS [sciences humaines et sociales], ne se retrouvent pas toujours dans les orientations qui leur sont données, elles ont le sentiment qu’on veut les faire entrer dans des modèles conçus pour les sciences dures. » Christine Musselin a préconisé un accompagnement des chercheurs, un portage politique fort aux niveaux institutionnel, national et international, des incitations à déposer dans les réservoirs nationaux, une adaptation en fonction des communautés scientifiques.

Dans l’intervention suivante, réalisée en visioconférence depuis l’Australie, Cameron Neylon, coordinateur de la Curtin Open Knowledge Initiative, a plaidé pour l’élaboration d’une vision politique et a revendiqué l’ambition de faire des universités des institutions du savoir ouvert, rappelant que les enquêtes réalisées sur le sujet dans plusieurs pays démontrent que la science ouverte a pour effet une augmentation du nombre de citations.

La science ouverte : quelle recomposition du paysage ?

Au cours de la table ronde « La science ouverte : quelle recomposition du paysage ? », Jean-Sébastien Caux, créateur de SciPost, association à but non lucratif dédiée au développement de formes innovantes de publications scientifiques basée à l’université d’Amsterdam, a expliqué que son projet était né de la nécessité de créer un système de publication scientifique centré sur les intérêts de la science et des scientifiques qui englobe les aspects financiers et les mécanismes de gouvernance.

Laurent Romary, directeur à la culture et à l’information scientifiques de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), a rappelé, quant à lui, que les projets de science ouverte étaient nés dans les communautés où il était indispensable de partager les données. De ces expériences est née une vision politique, incarnée dans un plan national, qui permet de se réapproprier la gestion collective des contenus. C’est aussi d’un choix politique fort qu’est née la stratégie de science ouverte de Sorbonne Université, comme l’a décrit Anne-Catherine Fritzinger, directrice du Service commun de la documentation (SCD) de Sorbonne Université : trouver une alternative au big deal des groupes internationaux qui dominent l’édition scientifique. Aujourd’hui, la politique de Sorbonne Université adopte une approche plus large, incluant le traitement des données, la science citoyenne, et fait partie du projet global de l’établissement.

Pour Marc Bergère, vice-président en charge de la documentation et de la transition numérique de l’université Rennes 2, une politique de science ouverte ne se décrète pas par le haut mais doit tenir compte du terrain et des réalités très diverses d’un laboratoire à un autre.

L’intégration de la science ouverte dans le fonctionnement des établissements peut prendre des formes très différentes. À Sorbonne Université, après avoir été rattachée à la vice-présidence Innovation et recherche, la science ouverte est aujourd’hui disséminée dans toutes les composantes de l’université, avec un pilotage de cette politique transversale confié à une professionnelle de la documentation, Anne-Catherine Fritzinger. À l’Inria, la science ouverte a d’abord été rattachée à la direction scientifique avant d’intégrer la direction de la culture et à l’information scientifiques, tandis que l’université Rennes 2 a mis en place depuis 2021 un guichet unique et une charte de la science ouverte. « La science ouverte est un formidable levier de la politique de sites, a souligné Marc Bergère. Nous développons des partenariats avec nos voisins de l’université Rennes 1 mais aussi plus globalement avec tous les acteurs à l’échelle régionale. »

Beaucoup de questions, évoquées pendant la table ronde, restent à résoudre, parmi lesquelles :

  • trouver une filière de publication en science ouverte sans mettre en péril les éditeurs, dont les presses universitaires ;
  • clarifier les différentes voies de financements – gold, vert, diamant, dont les définitions restent confuses pour les chercheurs et qui peuvent donner lieu à des pratiques abusives ;
  • faire évoluer les critères d’évaluation ; trouver un équilibre entre ouverture et protection des données.

Les effets de la science ouverte à l’intérieur des services

Les intervenants de la table ronde intitulée « Quels effets de la science ouverte à l’intérieur des services ? » ont ensuite témoigné des impacts de la science ouverte sur leurs établissements en matière de ressources humaines et financières, d’organisation, de compétences. Lluis Anglada, directeur de la science ouverte au consortium Catalan Academic Library, a évoqué le travail mené par le groupe chargé d’élaborer une solution transversale à l’échelle de la Catalogne en soulignant la difficulté de mener à bien une telle mission en l’absence de plan national, contrairement à la situation en France, où le premier plan national a constitué un contexte facilitant. L’université de Lorraine a, par exemple, témoigné de l’effet incitatif de ce plan national sur l’élaboration de son archive ouverte, puis d’une politique structurée de science ouverte qui est désormais un axe fort de la stratégie de l’établissement, ainsi que l’a décrit Jean-François Lutz, responsable de la bibliothèque numérique de l’université de Lorraine. Éléanor Fontaine, directrice de la recherche à l’École nationale supérieure des arts et métiers (Ensam), a expliqué le recours aux appels à projets et incitations du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui ont servi de leviers, tandis que David Choppard-Lallier, directeur adjoint de la Direction du système d’information et des usages numériques de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a évoqué le projet de mettre en place un guichet unique pour répondre aux questions des chercheurs.

Science ouverte et partenariats

Les initiatives pour la science ouverte impliquent la mise en place de partenariats, parfois inédits. À l’université de Pau et des Pays de l’Adour, la création d’un portail d’archives ouvertes dans HAL a été l’occasion de travailler avec la direction de la recherche et le service informatique ; le SCD a été reconnu comme un acteur clé de la politique de science ouverte, le service Appui à la recherche se voyant confier le pilotage du tableau de bord des indicateurs de la science ouverte. « Cette collaboration a été fructueuse et a changé nos méthodes de travail », ont témoigné Agnès Binet, directrice de l’Observatoire de l’établissement (ODE) et du Service outils facilitateurs pour la collecte et le traitement de données (SOFT) et Gaëlle Lannuzel-Chancerel, bibliothécaire au service Appui à la recherche.

Géraldine Barron, directrice adjointe du SCD de l’université du Littoral Côte d’Opale, a exposé comment la suppression progressive des abonnements payants et la mise en place d’un processus de dépôt des articles en accès ouvert avec prise en charge, sur dossier, des frais de publication des chercheurs, a permis au SCD d’être reconnu comme un service d’appui à la recherche alors qu’il n’était jusqu’alors identifié que pour ses missions en direction des étudiants.

Stéphanie Cheviron, Data Librarian, et Ana Schwartz, chef de projet à la Direction du numérique de l’université de Strasbourg, ont, quant à elles, travaillé en lien avec les chercheurs, qui avaient exprimé le besoin d’outils de visualisation et de stockage des données, pour développer des sites web répondant à ces attentes. Un pôle dédié a été créé au sein du département informatique, tandis que le SCD s’est réorganisé pour offrir un service d’appui à la recherche.

De l’avis général des intervenants, la science ouverte n’a que des effets positifs sur les collaborations. « Travailler ensemble permet de répondre aux questions des chercheurs de manière plus complète. La science ouverte entraîne des obligations pour les chercheurs qui ne sont pas toujours bien perçues, à nous de transformer ces contraintes en un processus positif structurant pour leurs projets », ont notamment avancé Lucie Albaret et Violaine Louvet de l’université Grenoble Alpes, respectivement responsable des services à la recherche à la BU Grenoble Alpes et directrice de l’unité d’appui à la recherche GRICAD Grenoble Alpes Recherche – Infrastructure de calcul intensif et de données.

Ces nouvelles collaborations nécessitent des évolutions dans les profils de poste et les pratiques professionnelles, une montée en compétences et des modifications de l’organisation de travail.

De l’open access à la science citoyenne

La matinée plénière du 30 septembre était consacrée à la science citoyenne, posée en 2021 comme un des axes forts du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui a mis en place le label « Science avec et pour la société », attribué sur critères aux universités qui s’engagent dans ce domaine et assorti d’une dotation financière. Huit universités ont été sélectionnées lors du premier appel à projet, dont l’université de Caen, qui a mis en place un programme d’envergure en partenariat avec Le Dôme, centre de culture scientifique situé à Caen. Ce programme se décline en quatre grands axes, qui ont été présentés par Thierry Machefert, vice-président délégué en charge de la culture et de la relation science-société à l’université de Caen :

  • la recherche participative : les chercheurs de l’université sont invités à développer dans leurs programmes scientifiques un volet impliquant la société civile. L’université s’est associée au festival Turfu organisé depuis 12 ans par Le Dôme et prévoit également la tenue d’un colloque international sur la recherche participative en 2023;
  • la formation à la médiation : l’université de Caen a mis en place en septembre 2022 un nouveau master Information médiation scientifique et technique (IMST) pour former des médiateurs scientifiques ;
  • la lutte contre les fausses nouvelles : l’université de Caen prévoit des programmes de recherche pour réfléchir à la question des biais cognitifs et a rejoint un programme qui existait déjà au Dôme, « Le vrai, le faux, le flou » ;
  • l’évaluation des chercheurs : l’université mène une réflexion sur les actions pour que les initiatives prises par les chercheurs en matière de science participative soient valorisées dans leur carrière, et souhaiterait élaborer un référentiel au niveau national.

« Il faut conforter un écosystème favorable à l’intégrité scientifique, sa diffusion, sa transparence, sa dimension citoyenne, a affirmé Thierry Machefert. La formation des publics est un enjeu fort de la lutte contre les fausses informations qui intéresse directement les bibliothèques universitaires. »

Quatre axes prioritaires pour le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

Sébastien Chevalier, chef du service Coordination des stratégies de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a ensuite détaillé la feuille de route de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau :

  • la vie étudiante ;
  • la responsabilité sociétale et environnementale ;
  • l’axe science et société ;
  • la science ouverte.

Dans ces quatre domaines hautement stratégiques, Sébastien Chevalier a affirmé que les BU avaient un rôle de premier plan à jouer.

En conclusion du congrès, Marc Martinez, président de l’ADBU, a rappelé qu’il était essentiel de convaincre le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de l’intérêt d’investir dans les BU afin de « relever les défis considérables auxquels font face la formation et la recherche françaises ».