Mutations et enjeux du développement de la lecture à l’international : quelles coopérations ?
Synthèse du séminaire à l’occasion des 45 ans du COBIAC, du 25 au 27 mars 2024 à Marseille
Du 25 au 27 mars 2024, à Marseille, s’est tenu le séminaire « Mutations et enjeux du développement de la lecture à l’international : quelles coopérations ? » 1
https://vimeo.com/945804546 ; synthèse complète du séminaire : https://cobiac.org/wp-content/uploads/2024/07/SYNTHESE-SEMINAIRE-COBIAC-24.pdf

Figure 1. Participants au séminaire COBIAC 2024
© COBIAC
Les conférences ont dessiné un panorama complet de la lecture publique dans les pays présents, faisant ressortir des enjeux communs. Des ateliers se sont ensuite succédé, sur des thématiques variées, du numérique aux financements, avec l’idée de dégager de nouvelles pistes de travail pour le COBIAC, et de tisser des partenariats entre les structures présentes.
Introduction
Après une matinée de voyage à travers le monde et un après-midi d’échanges d’idées et d’expériences, qu’allons-nous retenir ?
Pour ma part, ce sera d’abord une citation – « Mieux vaut allumer une petite bougie que de maudire l’obscurité » – qui pourrait être au fronton de toutes les bibliothèques. Ce seront aussi ces images projetées ou suggérées par les intervenants d’un pays à l’autre : le tapis volant qui emmène au bout de ses rêves, les valises remplies de livres rejoignant les pays qui en sont dépourvus, la bibliothèque nomade et la caravane de livres dans le désert, le kamishibaï et les conteurs.
Ce seront encore des moments d’émotion. Celle suscitée par la vue de tous ces enfants réunis pour lire, celle de bibliothèques sommaires qui s’érigent grâce à des bénévoles, celle de ces livres de toutes formes et couleurs alignés sur les rayons des bibliothèques. Et l’émotion qui nous a emporté avec la présence et les mots du collègue palestinien faisant part de la douleur de son peuple mais aussi de sa détermination : « Quand c’est compliqué, on fait ce qu’on a à faire, on n’attend pas… On n’a pas le luxe du désespoir. »
Tout ceci illustre bien la force des coopérations mises en place par le COBIAC depuis 45 ans. Ce réseau très vivant est apparu très homogène avec des valeurs partagées très fortes sur le rôle de la lecture dans la construction des personnes et des sociétés, sur l’importance des coopérations entre les pays ou sur les principes de démocratie, d’égalité, de liberté et d’accessibilité aux savoirs. Pour autant, chaque pays a sa singularité. Selon son contexte politique et économique, avec les moyens dont il dispose et les traditions qui le caractérisent, chaque pays s’efforce de trouver un chemin propre et un rythme d’évolution pertinent. Et c’est essentiel d’avoir cela en tête si l’on veut construire des partenariats durables et de qualité.
Lecture publique
Plusieurs témoignages ont ainsi illustré cette inscription de la lecture dans un vaste champ d’expériences sociales allant de l’écriture à la sociabilité en passant par les multiples pratiques culturelles et artistiques.
La lecture publique revêt également une dimension politique, ce qui constitue à la fois une force, car les moyens sont mutualisés, et une certaine faiblesse car ces moyens et leur développement dépendent des décisions des responsables politiques.
Plusieurs intervenants ont exprimé la vivacité du désir de bibliothèques et témoigné du fait que, même quand le pays s’effondre, des bibliothèques subsistent au point d’être des havres d’espoir.
Plusieurs enjeux sont apparus à ce propos au cours de la matinée. L’un concerne l’ouverture, et on a été ravi d’apprendre que des pays pourtant en grande difficulté parviennent à maintenir leurs bibliothèques ouvertes selon des horaires que l’on pourrait envier. Un autre concerne l’inégalité d’accès à la lecture, dont les origines sont à la fois géographiques, économiques, sociales et culturelles, et les moyens qu’il faut mettre en œuvre pour toucher les populations les plus éloignées. De ce point de vue, la proximité est essentielle et un réseau dense de petits établissements assure certainement une meilleure couverture qu’un seul établissement de grande taille.
Le développement de la lecture s’avère ainsi un enjeu majeur pour tous les pays présents et passe essentiellement par les bibliothèques publiques et les professionnels qui les font vivre.

Figure 2. Zoubida Kouti, association Le Petit Lecteur, à Oran (Algérie)
© COBIAC
Bibliothèques
Le cœur de l’activité des bibliothèques est bien sûr le livre, sa conservation et sa mise à disposition, et ceci suppose un certain professionnalisme mais aussi des ressources humaines, des moyens financiers, des locaux et des dispositifs spécifiques comme les bibliobus. Et tout cet ensemble crée un environnement accueillant, chaleureux et stimulant.
Mais les bibliothèques ont, depuis longtemps, développé bien d’autres activités, et leur succès comme leur utilité sociale sont liés à la richesse et à la variété des propositions faites. Elles organisent ainsi des animations, des ateliers directement liés à la lecture et bien d’autres choses. Et c’est sur tous ces registres que la coopération doit se situer.
Un autre enjeu est d’ordre politique, dans la mesure où mettre en place une politique de la lecture publique suppose de fixer des priorités, de décliner des objectifs en actions concrètes, de donner une cohérence à l’ensemble des actions, de trouver les moyens humains, matériels et financiers, bref de conduire une politique publique de la lecture et des bibliothèques.
Partenariats
La discussion a également porté sur la grande diversité des acteurs concernés par les bibliothèques et la lecture publique ainsi que la complexité de leurs relations.
Parmi eux, il y a bien sûr les instances publiques nationales, régionales et locales et le travail permanent de conviction et de pression à leur égard est essentiel pour assurer le développement des bibliothèques.
Il y a aussi les partenariats possibles avec des associations en charge de la promotion de la lecture, des acteurs culturels, des centres sociaux dotés d’éducateurs et d’animateurs socioculturels, et aussi des bénévoles prêts à s’investir, à accueillir, à raconter et même à être formés.

Figure 3. De gauche à droite : Abdelfattah Abusrour, Association Alrowwad, en Palestine ; Ghoussoun Wahoud, école Esprits Libres, au Liban ; Ismail Abdoulkader Said, ministère de l’Éducation nationale, à Djibouti ; Mamadou Saidou Diallo, Club littéraire de Labé (Guinée)
© COBIAC
Le partenariat entre les bibliothèques et les écoles est souvent revenu au cours des échanges de la journée. S’il s’impose dans la mesure où ces deux partenaires ont des rôles éducatifs convergents, il n’est pas toujours facile à mettre en place. Chacun a en effet sa légitimité en matière de développement de la lecture et ses propres manières de faire.
La question est alors de savoir quelles relations établir entre les bibliothécaires et les enseignants : accueillir des élèves en bibliothèque et profiter de leur dépaysement, se déplacer dans les écoles pour attirer et stimuler les jeunes, construire des projets en commun, etc. Cela suppose un engagement des personnels et une coopération toujours à consolider.
Tous ces partenariats sont à construire et, selon les pays et les situations, ils sont plus ou moins institutionnalisés et permanents. Dans tous les cas, il convient de prendre en considération les spécificités des partenaires, de comprendre leurs positions respectives, leurs intérêts et leurs attentes, de cerner leurs éventuelles divergences de vues. C’est la condition nécessaire si l’on veut établir sur la longue durée des partenariats de qualité. Et cela exclut tout rapport de dépendance voire de domination. Les partenaires sont à considérer comme des équivalents susceptibles de travailler en autonomie mais cherchant la coopération. Et celle-ci consiste non seulement à s’informer mutuellement sur ce que chacun fait, mais aussi et surtout à agir ensemble.
Les partenariats, quels qu’ils soient, se construisent par étapes et sont à faire vivre au quotidien. Ils ne se décrètent pas ni ne s’imposent instantanément. Ils s’élaborent dans un jeu permanent d’échanges, dans un travail d’évaluation des actions entreprises, de capitalisation des expériences et dans une évolution des points de vue et des objectifs.
Enfin, la discussion a fait émerger l’idée que les politiques publiques de coopération internationale en matière de lecture publique sont finalement assez défaillantes, ce qui conduit souvent le COBIAC à se substituer aux acteurs institutionnels.
Rôle du COBIAC
Le COBIAC joue un rôle essentiel dans la mesure où il apporte des ressources tant humaines que matérielles. Ses activités sont variées : apports de livres récoltés ou achetés, formation et accompagnement professionnel des personnels, accueil des professionnels en France, aide à la construction de bibliothèques, élaboration de projets en commun, coopération sur place ou à distance, etc.
Ce travail de réalisation, de coopération et de coordination est attendu et efficace parce qu’il s’est installé dans la durée. Il l’est aussi dans la mesure où ce travail partenarial ne consiste pas à faire « à la place de » mais plutôt « avec », dans une dynamique d’échanges et de construction commune.
Parmi les points évoqués, on note la question de la langue des livres proposés et du travail à conduire en matière de traduction et d’aide à l’édition, ce qui amène à s’interroger sur les dispositifs de traduction automatique et les pays dans lesquels coexistent plusieurs langues.
Enfin, plusieurs intervenants ont exprimé le souhait de mieux faire connaître le COBIAC. Alors que le COBIAC est déjà surchargé ou sursollicité, il lui faut recruter de nouvelles personnes engagées en particulier dans des populations plus jeunes. Et pour terminer cette restitution, un seul mot prononcé par des enfants dans une vidéo projetée pendant cette journée : « Chut ! On lit ! »
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Pour en savoir plus sur le COBIAC, et rejoindre le réseau pour le développement de la lecture : https://cobiac.org/