Muséographie et scénographie de l’écrit

Journée d’étude – Nancy – 25 juin 2015

André Markiewicz

En 2007 la Direction régionale des affaires culturelles de Lorraine organisait avec le Centre de formation aux métiers des bibliothèques pour l’Alsace, la Champagne-Ardenne et la Lorraine MEDIAL en partenariat avec la Direction du livre et de la lecture et la Bibliothèque nationale de France, une journée d’étude consacrée à la muséographie du patrimoine écrit 1. Huit ans après, les mêmes organisateurs rouvraient, le 25 juin dernier, le débat. Preuve d’un renouvellement de la problématique, accéléré par le numérique ou reconnaissance que le paradoxe soulevé en 1937 par Paul Valéry – comment « donner à voir » la « matière littéraire », comment exposer l’esprit de l’écrit ? - n’a toujours pas trouvé de réponse définitivement convaincante.

Exposer l’écrit

Dans une brillante introduction, Thierry Grillet, Directeur du développement culturel à la BnF, plaçait d’emblée cette rhétorique complexe de la présentation du contenant et du contenu sous le signe de la transmission. Grâce à ce medium ancien qu’est l’exposition littéraire, qui suppose néanmoins des visiteurs initiés au monde de la lecture, la bibliothèque dévoile le patrimoine dont elle a hérité, tout autant qu’elle s’interroge sur ce qu’elle léguera aux générations futures.

Même régénérée, révolutionnée voire « dynamitée » par le numérique, la monstration de l’écrit reste compliquée, parce qu’elle doit être expliquée, concernant des livres qui ne se lisent plus ou se lisent autrement. D’autant qu’elle se développe sur plusieurs plans, de l’exhibition du livre et de la matérialité de l’écrit en passant par la contextualisation littéraire ou historique de l’oeuvre et jusqu’à la présentation d’une pensée, d’une réflexion.

Si la muséographie de l’écrit est d’abord la mise en espace d’un discours, cette médiation est portée par des dispositifs scénographiques mais aussi, de plus en plus aujourd’hui, par le visiteur lui-même, équipé de toute une gamme d’outils qui permettent un enrichissement, un approfondissement des contenus.

En même temps que s’élargissent les espaces, via la scénographie et le numérique, on est passé d’une réception passive qui sollicite l’expérience du visiteur - l’exposition étant un lieu où l’on éprouve - à une participation accrue du public connecté. Mais, avec ce nouveau mode de visite, progresse le danger d’une appropriation hypertrophiée au détriment de la contemplation voire de la compréhension. Paraphrasant Tocqueville, Thierry Grillet voit poindre dans ce phénomène une forme de narcissisme démocratique.

Que montre-t-on ?

En quoi la muséographie rend plus intelligible un texte, tel était l’objet de la première table ronde « Qu’est ce qui est montré dans l’écrit exposé ? ». Opposant l’écrit, exercice solitaire, privé, à l’exposition, acte de partage, Anne-Hélène Rigogne, chef du service des expositions à la BnF, posait la question de la construction du discours de l’exposition, en s’interrogeant tant sur ce qui est présenté et révélé que sur les sentiments que l’on souhaite susciter chez le visiteur, de l’admiration, de la surprise au désir, à l’émotion, au risque du fétichisme. Lors de l’exposition « L’Eté 14 : les derniers jours de l’ancien monde » à la BnF, le choc était provoqué par le mur vertical sur lequel étaient apposées quelques centaines des 27.000 fiches de soldats morts pour la France durant la seule journée du 22 août 1914.

La présentation par sa directrice, Evelyne Hérenguel, de l’exposition itinérante conçue par la BDP de la Meuse « Imaginaire de la grande guerre dans la fiction contemporaine, 1980-2014 » illustrait les exigences de la muséographie de l’écrit appliquée à des documents non patrimoniaux, à travers les dispositifs visuels, sonores et numériques, qui donnent à voir, à entendre, à comprendre. Sur fond de création musicale reprenant le lancinant lamento du tocsin et de lecture d’extraits, le parcours ainsi créé permet de contextualiser les documents exposés, de susciter le questionnement et de favoriser l’échange.

Pierre-Marc de Biasi, directeur de l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes du CNRS, en généticien de l’oeuvre, rappelait que l’écrit est d’abord une temporalité. Plus qu’un espace, il s’agit de reconstituer le scénario de l’invention d’une œuvre, le « feu de la création ». Les techniques de l’arrêt-image ou du zoom permettent de mettre en scène ces séquences du temps, à défaut d’une installation qui serait une machine à entrer dans la logique de la création. Reste aujourd’hui, avec le texte numérique et la dématérialisation des contenus, la béance d’un « trou archivistique » d’un monde oublieux de ses propres traces.

Pages transparentes

La deuxième table ronde « Rendre visible l’invisible : scénographie et architecture » était placée sous le signe du débordement, débordement du livre dans l’espace, débordement de la bibliothèque dans la ville. L’exemple de la rénovation toute récente de la BNUS, présentée par Albert Poirot, son administrateur, montrait notamment comment la scénographie d’un espace public urbain donne à penser la relation à l’écrit, contribue à faire rayonner l’acte de lire. Inscription spectaculaire d’un monument dans la cité, transparence des salles d’exposition, mise en valeur des réserves visitables concourent à symboliser l’accès à l’écrit et à dévoiler l’invisible.

Le parcours permanent « 1000 ans de livres à Troyes » créé par Thierry Delcourt il y a treize ans était aussi une occasion de donner une nouvelle visibilité au patrimoine écrit, même si se profile aujourd’hui le péril de le figer dans un écrin perpétuel.

Véronique Dolfus, scénographe de plusieurs expositions à la BnF, insistait, quant à elle, images de ses réalisations à l’appui, sur l’éventail magique des possibles qu’offre la mise en scène de l’écrit.

Le livre sur écran

La troisième table ronde « La place du numérique dans l’exposition » s’interrogeait enfin sur la scénarisation de l’écrit à travers le multimédia. Mécanisme à trois temps, le numérique intervient en amont comme en aval, avant (sensibilisation des internautes), pendant (médiation in situ, participation et partage des visiteurs) et après l’exposition (approfondissement des « followers »).

Françoise Juhel, chargée de mission « Multimédia » à la BnF, présenta un panorama des techniques et des réalisations augmentées grâce à l’apport du numérique, vu comme médium au service de l’intelligibilité de l’écrit. Du « kinect » à la « magic box », la visualisation s’enrichit, le livre se feuillette à distance ou sur le verre de la vitrine.

De nouvelles écritures révolutionnent les usages, démultiplient les expériences et impactent la conception même des expositions, jusqu’à l’adaptation des cartels. La technologie NFC fait participer les visiteurs, leur permet de s’approprier les œuvres et de partager des contenus ou leurs « selfies » sur les réseaux sociaux, sur des livres d’or numériques. En contrepoint Armelle Pasco, chargée des partenariats culturels chez Orange, détaillait à travers les expérimentations menées au Louvre Lens ou au musée d’Orsay ce nouveau champ ouvert au mariage de l’art et de la technologie.

L’éditorialisation des contenus et la scénarisation de l’écrit ne s’arrêtent pas à l’exposition, ni même aux expositions virtuelles. Françoise Juhel revenait sur la collection BnF/Orange des livres numériques enrichis, annonçant la prochaine parution d’une version d’Au Bonheur des dames de Zola, puis un Dom Juan de Molière avec les notes de Louis Jouvet en attendant Les Fleurs du mal de Baudelaire.

Rebondissant sur la notion de médiation, Philippe Rivière, chef du service multimédia de Paris-Musées, évoquait les usages et les attentes des publics qui vont de l’expert au jeune « web native », générant l’élaboration de parcours personnalisés. Rares cependant sont encore les évaluations et études d’impact sur ces nouveaux objets de médiation qui deviennent même nouvelles formes de médiation.

Furent aussi brièvement abordées, à l’initiative de Thierry Claerr, chef du bureau de la lecture publique au Service du livre et de la lecture et modérateur de la table ronde, les questions de la formation des utilisateurs, de l’évolution des métiers de la médiation ou encore de l’obsolescence rapide de ces dispositifs, gadgets ou démarche durable ?

Le dévoilement démocratique

Dans son propos conclusif, Thierry Grillet revenait sur ce nouvel espace démocratique et participatif de l’exposition numérique, qui, dans sa version parousique, augmente le savoir et corrige les inégalités culturelles.

Si l’exposition aide à déchiffrer, elle peut aussi être une invitation à transformer le regard. Informer pour déformer le réel.

Même si la journée est loin d’avoir épuisé toutes les problématiques, elle témoignait incontestablement de nouvelles manières d’être dans l’exposition mais aussi de nouvelles manières de présenter et de monter des expositions.

L'ensemble des interventions est en ligne sur le site de l'Université de Lorraine : http://videos.univ-lorraine.fr/index.php?act=view&id_col=191

La vidéo de la journée est disponible sur cette page : http://medial.univ-lorraine.fr/content/ressources%20num%C3%A9riques

  1. (retour)↑  Delmas, Jean-François. Muséographie du patrimoine écrit. Bulletin des bibliothèques de France [en ligne], n° 6, 2007 [consulté le 16 juillet 2015]. Disponible sur le Web : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-06-0104-013. ISSN 1292-8399.