Les nouveaux enjeux de la conservation du patrimoine documentaire

4e Congrès Mondial de l’AIFBD et réunion de la section Préservation et Conservation de l’IFLA – Sierre/Suisse – 15-18 août 2017

Tania Darbellay

Nicolas Labat

Le 4e congrès mondial de l’AIFBD 1 et réunion de la Section Préservation et Conservation de l’IFLA 2, consacré aux nouveaux enjeux de la conservation du patrimoine documentaire, a réuni des professionnels en provenance de treize pays et quatre continents, au sein de la Haute Ecole Spécialisée (HES) de la ville de Sierre, dans le canton du Valais, en Suisse.

Durant deux journées 3, la thématique de la conservation des documents tant analogiques que numériques a été abordée au travers de différents axes. Découpé en sessions se déroulant simultanément, le congrès a traité de diverses thématiques : coopération et conservation, conservation du patrimoine scientifique, numérisation du patrimoine, conservation des ressources numériques, entre autres.

La conférence d’ouverture, présentée par Maureen Clapperton (directrice générale de BAnQ – Bibliothèque et Archives nationales du Québec), a donné au public un bel aperçu des pratiques innovantes outre-Atlantique. Elle a présenté une action concrète réalisée à BAnQ et menée en collaboration avec Wikimedia afin de mettre en valeur le patrimoine documentaire québécois. Les bibliothécaires et archivistes y sont formés pour enrichir l’encyclopédie Wikipedia avec des contenus provenant des collections patrimoniales. De même, lors d’ateliers, les professionnels forment de futurs contributeurs. Ce projet a pour objectifs d’atteindre les utilisateurs là où ils sont et de faire connaître le patrimoine québécois au-delà des frontières. BAnQ souhaite ainsi constituer une mémoire commune en utilisant les trois modes d’acquisition suivants : 1) Dépôt légal 2) Dépôt volontaire 3) Dons. Cette collaboration avec Wikimedia leur a permis de profiter d’une architecture informatique éprouvée et de faire des économies en termes de temps et de coûts. Pour Maureen Clapperton « les défis sont trop importants pour être relevés seuls ». Les notions de « coopération » et de « mutualisation » ont été mises en avant tout au long du congrès.

Cécile Coulibaly a abordé la mise en place de la politique de préservation et de conservation du patrimoine scientifique de son établissement à travers le projet de bibliothèque virtuelle de l’enseignement supérieur et de la recherche de Côte d’Ivoire. Suite à la crise post-électorale, les universités et leurs bibliothèques avaient fermé leurs portes entre 2011 et 2014. De nombreux documents ayant été détruits, la mutualisation des pratiques et des ressources était rendue nécessaire. Tout particulièrement, la mise en valeur des ressources électroniques, peu connues par les chercheurs en Côte d’Ivoire, représentait un point crucial. A ce titre, deux chiffres évoqués sont révélateurs des difficultés existantes : 80 % des bibliothèques ivoiriennes n’ont pas d’accès à des ressources électroniques et 75 % d’entre elles n’ont aucune infrastructure informatique. Dans cette situation, les partenariats se sont développés et ont donné naissance à l’initiative de créer une bibliothèque virtuelle basée sur le logiciel libre Invenio.

Morgane Plateau (relieuse à la bibliothèque de l’Université catholique de Louvain), a présenté le traitement de la collection Cardinal d’Alsace datant du XVIIIe siècle, constituée de 3 500 documents reliés. Le but de ce projet était à la fois de restaurer les reliures et de constituer une base de données répertoriant les points communs et les particularités des livres. Face à cette importante collection, des indices de dégradation ont été attribués aux documents afin de déterminer le temps de restauration nécessaire à chacun et d’organiser le travail en fonction de ce critère. Pour ce projet, la bibliothèque a pu bénéficier de l’appui du fonds Baillet Latour. Cette aide financière montre une nouvelle fois l’importance des partenariats, la question des coûts pouvant être l’une des pierres d’achoppement dans ce type de projet.

Claire Cailleau et Grégory Delobelle (bureau de recherches géologiques et minières – BRGM – en France), ont présenté les enjeux de la conservation et de la valorisation du patrimoine documentaire géologique et minier en Afrique. Un important travail de coopération est à ce titre entrepris avec les pays africains afin de leur permettre de reconstituer leur patrimoine, le BRGM ayant depuis des années collecté un vaste fonds documentaire qu’il restitue sous forme numérique. Bien que la collaboration se fasse efficacement avec les services géologiques africains, les intervenants déplorent le déficit de formation aux techniques documentaires et le manque de suivi après implémentation.

Parmi les institutions helvétiques présentes, citons l’association Memoriav, qui a pour but la conservation du patrimoine audiovisuel suisse et la Bibliothèque Nationale (BN) suisse. Cette dernière a fait état de divers projets comme celui de désacidification de 500 tonnes de papier mené avec la collaboration des Archives Fédérales Suisses ou le projet Archive web Suisse visant à conserver les ressources du web helvétique. Ici encore, la collaboration est jugée fondamentale, puisque les cantons 4 sont sollicités, eux qui se trouvent en première ligne pour la sélection des ressources documentaires à conserver, dans la perspective de parvenir à une couverture la plus complète possible du territoire national. Pour mener à bien de tels projets, il faut accepter de ne pas pouvoir être exhaustif, comme en a témoigné Barbara Signori (responsable e-helvetica à la BN), avec ce savoureux aphorisme, illustré par le fromage de l’Emmental: « Sélectionner, c’est accepter les trous ! ».

Toutes les questions posées méritent de prendre le temps de la réflexion mais en même temps de s’engager et de faire des choix sans tarder. Il s’agit de suivre l’évolution des normes, des formats pour la conservation pérenne, des techniques de collecte de données, de mettre en place de nouvelles compétences chez les bibliothécaires (ex : paramétrage de robots moissonneurs), de gérer les questions des droits. A ce sujet, Loubna Ghaouti (bibliothèque de l’université de Laval au Québec), a fait état de la création au sein de son établissement d’un bureau gérant les questions de droits d’auteurs en lien avec la numérisation, thématique aux contours juridiques encore flous. Un bureau des normes a aussi vu le jour pour toutes les questions de conservation.

La terminologie évolue également. A titre d’exemple, on parle à présent de dépôt numérique fiable, c’est-à-dire dont le contenu déposé est en mesure d’être identifié, regroupé, géré et conservé en lieu sûr en tout temps. Le dépôt Canadiana.org en est un exemple.

Le travail de valorisation des pays du Maghreb a été présenté par Tarek Ouerfelli (université A’Sharqiya d’Oman), pour «Med-mem, Mémoires audiovisuelles de la Méditerranée » 5 des pays du Maghreb avec la mise en ligne d’archives audiovisuelles réalisées avec le concours de l’INA 6.

Suite aux journées de présentations, la Médiathèque-Valais, partenaire pour l’organisation du congrès, a accueilli les participants sur son site de Sion, afin de leur présenter les travaux de transformation du site en pôle culturel, scientifique et patrimonial et son plan de sauvetage des collections, inspiré de l’inventaire de la BNF pour le matériel à posséder en cas de catastrophes. Dans l’hypothèse d’un tel événement, la Médiathèque-Valais a conclu divers partenariats : service du feu, police, entreprises spécialisées pour la mise à disposition de matériel de réfrigération, protection civile. Ces appuis sont rapidement mobilisables en cas de sinistres.

Au final, en dépit du nombre relativement faible de participants, la diversité et la qualité des interventions, ainsi que l’organisation sans faille auront fait de cet évnement une réussite et mis en valeur le Valais par un programme annexe riche en découvertes des institutions cantonales actives dans la préservation et la conservation de biens culturels mais aussi du terroir valaisan.