Les journées d’études BiblioPat 2023
Les 16 et 17 novembre 2023, les journées d’études de l’association BiblioPat se sont déroulées à Niort. Pour la première fois, ces journées habituellement parisiennes ont eu lieu en région, à l’initiative de la Bibliothèque Pierre-Moinot qui célébrait ses 250 ans. Cela fut l’occasion pour les participants de découvrir un magnifique équipement rénové mis à disposition en 2021, de visiter l’exposition consacrée à l’anniversaire de la bibliothèque et mettant en valeur des trésors des collections patrimoniales, ou encore de tester l’escape game conçu par l’équipe de la section Adultes. Ces journées ont également permis à l’association de réunir ses adhérents en assemblée générale annuelle, au cours de laquelle ont été évoquées les actions réalisées durant l’année écoulée : recherche d’un partenariat de communication sur le métier de bibliothécaire patrimonial, réponses à des sollicitations pour la rédaction d’articles ou d’ouvrages, participations à différents groupes de travail et tables rondes.
Les fonds d’érudits en bibliothèque : une recherche à poursuivre
La thématique des journées était dédiée aux partenariats. La conférence introductive de Chloé de La Barre, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France, a présenté son travail de recherche sur les fonds d’érudits locaux en bibliothèques. Partant de la question de la visibilité de ces fonds, elle a mené un travail d’enquête auprès de professionnels mais aussi de chercheurs sur ces fonds d’archives liées à des personnalités passionnées par l’histoire ou le patrimoine de leur lieu d’origine, d’adoption ou d’affectation qui se sont employées à produire et accumuler de la documentation sur le sujet.
Issu de deux traditions, la tradition antiquaire (des savants collectionneurs d’antiques et polymathes de la Renaissance au XVIIIe siècle) et la tradition philologique fondée sur l’étude critique des textes liée au courant humaniste, l’érudit local prend la figure que nous lui connaissons depuis le XIXe siècle en devenant une pratique des élites : c’est « l’antiquarisme provincial » défini par Odile Parsis-Barubé, soit l’érudit local qui fréquente avec assiduité les services d’archives et les bibliothèques.
Ces érudits constituent des collections que l’on retrouve dans les bibliothèques des sociétés savantes, dans les bibliothèques diocésaines, dans les bibliothèques de l’enseignement supérieur, en fonction de sa proximité avec tel ou tel type d’établissement, mais aussi dans les bibliothèques territoriales. En effet, l’érudit local fréquente la bibliothèque et s’investit parfois dans son organisation. Les bibliothèques territoriales mènent par ailleurs un important travail d’enrichissement de leurs collections en lien avec l’histoire du territoire au XIXe siècle.
Enfin, lors des répartitions entre les bibliothèques et les dépôts d’archives, les papiers d’érudits, considérés comme de la littérature secondaire, sont souvent confiés aux bibliothèques. À l’inverse, pour faire acte de construction mémorielle, les érudits confient plus facilement leurs collections au lieu prestigieux qu’est la bibliothèque.
Ces fonds présentent souvent des spécificités qui en compliquent le traitement. Ils sont parfois l’œuvre de plusieurs producteurs et cumulent des logiques de production organique, de sédimentation aléatoire et de collections, ce qui conduit à la coexistence entre pratiques archivistique et bibliothéconomiques dans le classement ; parfois suivant le principe du respect des fonds, ou selon une logique de collection avec un classement par format et par type de document. De même, la politique nationale de signalement en EAD (pour Encoded Archival Description) côtoie d’autres pratiques au niveau local.
Pourquoi valoriser ces fonds ? Bien que composites, disparates et peu prestigieux, ils sont étudiés par un public varié de chercheurs amateurs et professionnels, de généalogistes, d’étudiants en master, de professionnels et archivistes, et ce, avec des objectifs divers : recherche sur une thématique à laquelle l’érudit est associé ; intérêt pour un document compilé dans le fonds, pour la localité où a vécu l’érudit ; intérêt pour la personnalité de l’érudit lui-même, voire recherche généalogique ou recherche en histoire de l’érudition et des savoirs qui peuvent motiver un lecteur à consulter ces fonds. Il est donc nécessaire de les faire connaître en les signalant via le Catalogue collectif de France, mais également via d’autres moyens, parfois plus accessibles à un public familier des pratiques des sites web des services d’archives, avec par exemple la publication d’une description ou d’un inventaire sur le site web de l’institution de conservation, ou la mise à jour de fiches Wikipédia en lien avec l’érudit. La médiation numérique, les conférences et les expositions, peuvent également aider à la valorisation de ces fonds.
Enfin, Chloé de La Barre conseille, pour renforcer la visibilité de ces fonds, de s’appuyer sur les acteurs culturels et patrimoniaux locaux, de les valoriser au-delà du local, de s’appuyer sur la communauté universitaire et d’associer les chercheurs amateurs et les membres de sociétés savantes : le projet Erudhilor, l’annuaire prosopographique « La France savante » (Comité des travaux historiques et scientifiques, CTHS), ou le répertoire « Mains d’érudits » (Institut de recherche et d’histoire des textes, IRHT) sont autant d’outils qui montrent leur dynamisme.
Ce premier repérage est donc un travail à poursuivre, auquel il faudra intégrer la question des archives numériques et des contenus diffusés sur Internet, avec, en particulier, la question des blogs d’historiens locaux.
Faire appel aux mécènes ou aux bénévoles, c’est possible !
La première table ronde, animée par Clotilde Angleys, chef de service Collections et Médiation régionales et patrimoniales, Bibliothèque municipale classée de Bordeaux (BMC), était consacrée aux partenariats touchant à la conservation et à la restauration des collections. Le partenariat peut tout d’abord associer les professionnels de la conservation et des particuliers ou des entreprises. Caroline Picard, responsable Mécénat et Communication, Fondation de l’université de Poitiers, a présenté le projet « J’adopte un livre » qui a permis de financer pour l’instant la restauration de quatre ouvrages du fonds ancien du service commun de documentation (SCD) de Poitiers. Via un plan de communication ciblé, la Fondation a proposé un catalogue de douze ouvrages sélectionnés par Anne-Sophie Traineau-Durozoy, responsable du fonds ancien et du pôle Moyen Âge, SCD de Poitiers, pour leur rareté et leur besoin de restauration avec un coût unique de 1 000 € par restauration. À la clé, des avantages fiscaux et des contreparties pour les mécènes. Caroline Picard insiste sur les facteurs de réussite : l’importance des contreparties qui permettent au mécène de se sentir privilégié, celle du choix des bons réseaux de communication, mais surtout le besoin de créer un lien affectif en affectant un objet unique à un mécène unique. Des écueils existent aussi. Une bonne communication sur l’usage des fonds récoltés est nécessaire et doit s’accompagner de pédagogie à l’égard du mécène pour que le principe de l’adoption soit bien compris. Caroline Picard souligne la nécessité de bien choisir les ouvrages. La prochaine liste devra trouver un point d’équilibre entre l’urgence de la restauration et l’intérêt potentiel des mécènes, parfois échaudé par les thématiques religieuses de cette première liste.
Les institutions poitevines collaborent également sur la thématique du Plan de sauvegarde des biens culturels (PSBC), présenté par Clémentine Ordzinski, de la médiathèque François-Mitterrand de Poitiers. Depuis 2019, un groupe de travail rassemble la bibliothèque municipale de Poitiers, le SCD de l’université de Poitiers, les archives municipales et communautaires, les archives départementales de la Vienne, les archives régionales de Nouvelle-Aquitaine, les musées municipaux de Poitiers et le Centre de conservation et d’études de Poitiers. L’objectif est aussi bien celui de l’échange de pratiques que de la mutualisation de matériels et de locaux ou encore l’organisation d’une cellule de crise en cas de sinistre, et est formalisé par une convention multipartite. Le groupe se réunit une fois par an pour échanger sur les listes de matériel et projette de mettre en place d’autres partenariats. Cette mutualisation permet de partager des contacts, d’identifier les ressources disponibles, de donner de la visibilité au PSBC, et de créer une dynamique locale. Manque de temps des équipes, changements de personnels, variété des tutelles et problématique de validation politiques sont les difficultés rencontrées dans le cadre de ce projet.
En bibliothèque, plus rares sont les collaborations avec les bénévoles comme celle qu’a décrite Romain Saffré, directeur des musées de Saint-Omer, qui a mis les Amis du musée au service du récolement. Devant le retard pris par ce chantier, il a choisi de solliciter l’association à partir de 2019. La première tentative sur la collection de médailles n’a pas été concluante, car les bénévoles n’ont globalement pas respecté les consignes pour la prise de vue et la saisie, ce qui a amené Romain Saffré à la conclusion qu’un suivi important des équipes du musée serait nécessaire pour les chantiers suivants. En revanche, depuis 2021, les amis du musée volontaires travaillent au chantier de récolement des oiseaux et ont réalisé l’intégralité du dépoussiérage. L’inventaire lui-même devrait s’achever début 2024. Le chantier de dépoussiérage des minéraux a également commencé en septembre 2023. Romain Saffré note un investissement d’une douzaine de bénévoles qui, dans l’ensemble, préfèrent ne pas varier les missions et se spécialiser (dépoussiérage, prise de vue, saisie). Il insiste cependant sur la nécessité et la régularité d’un suivi, qu’il assure en se rendant une fois par semaine au sein du chantier pour répondre à leurs questions.
Enfin, Nathalie Silvie, restauratrice-enseignante au lycée Tolbiac, a présenté la Mention complémentaire Entretien des collections du patrimoine, une formation de niveau CAP diplômante qui forme des techniciens de préservation. Ces derniers sont en mesure de répondre aux besoins de récolement, de dépoussiérage, de conditionnement et d’emballage, d’aide aux veilles sanitaires, et ne pratiquent pas la restauration. Ils effectuent 12 semaines de stage et des travaux pratiques sur des objets patrimoniaux fournis par des institutions. À noter : une association des techniciens de préservation existe depuis un an avec un annuaire des professionnels.
Des chercheurs aux « mordus du patrimoine » : quand les usagers signalent les collections
La deuxième table ronde, modérée par Julie Proust, responsable du pôle Patrimoine à l’Agence régionale du livre et de la lecture des Hauts-de-France, traitait des partenariats autour du signalement. L’intervention de François Lopez, chargé de projet Signalement du patrimoine écrit à l’Agence livre, cinéma, audiovisuel de Nouvelle-Aquitaine, a permis de développer les partenariats coordonnés par les agences régionales pour le livre avec les partenaires que sont le ministère de la Culture, la Bibliothèque nationale de France (BnF), la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), le Centre régional de formation aux carrières des bibliothèques (CRFCB), les membres de la Commission patrimoine. Le projet aboutit en 2023 avec une candidature au Plan d’action pour le patrimoine écrit pour sept bibliothèques et le recrutement de trois catalogueuses. Il est également l’occasion de nouer un partenariat plus original avec la BMC de Bordeaux qui accueillera une partie des collections à signaler ainsi que la catalogueuse affectée à cette mission, ou avec des collectivités pour l’hébergement de la mission itinérante.
À la bibliothèque de Saint-Omer, c’est Rémy Cordonnier qui présente quelques exemples de partenariats avec le monde de la recherche pour le signalement des fonds patrimoniaux en bibliothèque. Des partenariats institutionnels sont noués avec l’IRHT pour compléter le catalogue des manuscrits datés des bibliothèques de France ou pour compléter la base de relevés de filigranes, mais aussi avec la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société de l’université de Lille autour de la base TALIE (Traces [Textes, Traces] de l’Antiquité à Lille et dans l’Eurorégion) et d’une journée d’études sur la réception de l’Antiquité. Les données recueillies et produites par des chercheurs ont également permis d’enrichir les notices du catalogue de la bibliothèque audomaroise : l’exposition L’Architecture de la Renaissance à travers les livres anciens organisée en 2019 en collaboration avec l’université d’Artois en est le reflet.
Romain Wenz, responsable du service de coopération documentaire au SCD de l’université de Bordeaux, a ensuite expliqué comment la collaboration avec les chercheurs permet de signaler les archives d’autres chercheurs, ce qui a permis la numérisation et le signalement de 2 500 thèses anciennes, le traitement de nouveaux fonds d’archives ou encore la mise à jour de notices Wikipédia dans le cadre d’un cours de Master.
Enfin à Roubaix, ce sont les usagers de la bibliothèque qui enrichissent ses bases de données, et en particulier la bibliothèque numérique patrimoniale. L’outil de bibliothèque numérique présenté par Élise Laviéville, de la BMC de Roubaix, a été refondu avec des fonctions collaboratives et participatives offrant aux internautes la possibilité de poster des commentaires sous les notices, de déposer des documents, de transcrire des corpus non « océrisés » et de corriger l’OCR (optical character recognition, reconnaissance optique de caractères). Pour attirer des contributeurs, la bibliothèque met en place une vraie stratégie de communication avec des défis du moment, des statuts pour les collaborateurs, des « top ten » établis selon le nombre de contributions, et l’attribution d’images dans l’espace personnel des contributeurs en fonction du nombre de contributions. La participation des usagers est encadrée par une équipe de modération et la mise en place de bonnes pratiques est animée quatre fois par an dans le cadre d’ateliers IRL pour attirer et accompagner les « mordus du patrimoine ». Ces ateliers sont l’occasion de montrer l’outil et d’accompagner dans sa prise en main, de récupérer le travail des participants, de créer une communauté et des échanges horizontaux, dans un cadre privilégié : distribution de goodies avec effet de collection, collation offerte et fort taux d’encadrement.
Au total treize ateliers ont été organisés depuis 2019. Une vraie communauté existe parmi les passionnés, les chercheurs amateurs et les membres des sociétés savantes qui forment les « mordus ». Le bilan est très positif pour la transcription, beaucoup moins pour la correction de l’OCR, qui motive peu les participants si les bibliothécaires n’établissent pas une revue de presse thématique. Mais la bibliothèque souhaite poursuivre ses ateliers, qui sont des espaces de présentation de l’outil et de pédagogie partagée, mais également des lieux de dialogue avec les utilisateurs avec des retours en direct sur l’ergonomie du site, qui permettent de former des interlocuteurs de plus en plus conscients, de plus en plus méticuleux, de plus en plus curieux et de plus en plus critiques, à qui les bibliothécaires demandent désormais des avis sur les priorisations en matière de numérisation.
Collaborer pour susciter des dons
Enfin, la dernière table ronde animée par Catherine Granger, directrice adjointe de la bibliothèque Forney, était l’occasion de faire le point sur les partenariats permettant l’enrichissement des collections. Claire Haquet, responsable de la bibliothèque Stanislas, a tout d’abord présenté les actions de la bibliothèque municipale de Nancy en vue de dons. Après le don du fonds Michel Jamar, comprenant son œuvre gravé et sa presse, l’équipe de la bibliothèque Stanislas fait le constat d’un manque dans les collections touchant à la gravure lorraine de la deuxième moitié du XXe siècle, alors même que l’école nancéienne est très active. Elle entame donc une politique d’acquisition onéreuse sur la base d’un tarif fixe à 2 500 € qui est l’amorce de possibles dons. Elle se fixe un objectif de deux artistes par an. Cet objectif est atteint dès la première année au cours de laquelle deux graveurs donnent l’intégralité de leurs œuvres d’atelier. Au total une dizaine d’artistes, comme Jacques Hallez ou Roland Grunberg, ont participé à ce programme « graveurs lorrains contemporains ». La graveuse Elisabeth Poydenot d’Oro a même fait la proposition de donner un tirage de chacune de ses gravures sans avoir été sollicitée par la bibliothèque. Les conventions d’acquisition se sont accompagnées de conventions de don et d’une cession de droits de représentation, ce qui a permis la numérisation et la mise en ligne. Le programme s’est achevé en 2021, mais a connu une nouvelle vie avec l’achat de deux photographies du photographe vosgien Vincent Munier, qui en a également donné deux, et avec l’achat du manuscrit de C’est ainsi que les hommes vivent du romancier Pierre Pelot et le don de l’intégralité de ses 250 ouvrages. La bibliothèque se tourne aujourd’hui vers les dessinateurs de bande dessinée.
Cette politique ambitieuse a donné lieu à une soirée des donateurs en 2023. Elle permet l’enrichissement des collections, mais également de nouvelles créations d’artistes, et participe de la bonne réputation de la bibliothèque, institution vue comme désintéressée.
Un deuxième partenariat avec une association d’amis a ensuite été présenté par Coline Gosciniak, responsable de la bibliothèque Carnegie et des fonds patrimoniaux de la BMC de Reims : la Société des Amis de la bibliothèque municipale de Reims. Créée en 1978 dans le but de faire rayonner les collections de la bibliothèque Carnegie, elle s’implique dans l’organisation d’expositions, réalise des publications, valorise les collections de la bibliothèque par la vente de goodies, et participe à l’enrichissement des collections. En concertation avec la responsable de la bibliothèque, la Société des Amis réalise des acquisitions qu’elle donne ensuite à la bibliothèque. Celle-ci profite de la forte réactivité de l’association, capable de se mobiliser rapidement pour participer à une vente publique.
Pour clore cette table ronde, Odile Gaultier-Voituriez, responsable du département archives, direction des ressources et de l’information scientifique, bibliothèque de Sciences Po, a montré comment les relations interpersonnelles et de confiance avec les chercheurs, tissées dans la durée, sont essentielles car elles permettent de faire entrer des fonds complémentaires dans les archives de la recherche, qui enrichissent également les archives institutionnelles de Sciences Po et les archives du politique.
Ces deux journées ont permis de faire le point sur les multiples partenariats possibles autour des collections patrimoniales des bibliothèques, des plus classiques, avec les tutelles que sont le ministère de la Culture et la BnF autour du signalement, aux plus originaux mis en œuvre avec l’aide des usagers ou de bénévoles : preuve s’il en était besoin que les institutions patrimoniales font partie d’un écosystème de professionnels et d’amateurs qui s’enrichissent mutuellement.