Les bibliothèques des établissements pénitentiaires en Lorraine
Etat des lieux et perspectives – Journée d’étude ABF Lorraine– 16/11/2015
9% de la population incarcérée ne sait pas lire. 22% des détenu(e)s ont des difficultés de lecture. S’appuyant sur les résultats de l'enquête réalisée par l’administration pénitentiaire sur les bibliothèques des prisons en Lorraine fin 2014, et rappelant que les personnes détenues sont une part intégrante des publics à desservir par les bibliothèques, comme l’affirment les textes fondamentaux de la profession (UNESCO, IFLA), le groupe ABF Lorraine a organisé une journée d’étude portant sur les Bibliothèques des établissements pénitentiaires en Lorraine.
Cette journée, organisée en partenariat avec la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) Est-Strasbourg et la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de Lorraine le 16 novembre 2015 au Museum Aquarium de Nancy, a rassemblé 85 personnes, professionnel(le)s des bibliothèques, de la justice et des associations.
Le contexte carcéral
Un panorama rapide du contexte carcéral a d’abord été présenté. Plusieurs types d’établissements pénitentiaires existent en France. Les « maisons d’arrêt » accueillent les personnes condamnées à moins de 2 ans de détention et en détention provisoire. Les « centres de détention » reçoivent les personnes condamnées à plus de 2 ans de détention, les « maisons centrales » les personnes condamnées à de très longues peines et les détenus considérés comme particulièrement dangereux. Les « centres de semi-liberté » accueillent les détenus concernés par un aménagement de peine. Les « centres
pénitentiaires » regroupent différents types d’établissements pénitentiaires.
Une enquête sur les bibliothèques des prisons
L'enquête réalisée par l’administration pénitentiaire sur les bibliothèques des prisons en Lorraine a d’abord été présentée par Séverine CLERC, professeure documentaliste de l’Education Nationale à la maison d’arrêt de Metz.
Chacun des 11 établissements pénitentiaires de Lorraine possède au moins une bibliothèque, dont la surface est très variable, allant de 15 à 80m². Les bibliothèques sont ouvertes en moyenne 1 à 2h par semaine et par personne détenue. En maison d’arrêt, le créneau est imposé et les personnes doivent choisir entre la bibliothèque et une autre activité (promenade, école …). Les collections sont souvent exclusivement constituées de livres, on trouve parfois des revues, très rarement des CD et des DVD. Les systèmes de gestion sont souvent obsolètes et les bibliothèques ne sont pas toutes informatisées. Si chaque établissement a au moins un poste d’auxiliaire de bibliothèque rémunéré, seulement trois établissements en Lorraine bénéficient d’interventions régulières de professionnel(le)s de bibliothèques.
Plusieurs pistes d’amélioration ont été identifiées à l’issue de la présentation : multiplier les postes d’auxiliaire bibliothécaire (ou « détenu bibliothécaire ») qui sont des acteurs clés, développer la formation, créer des postes de coordinateurs culturels, développer les partenariats entre bibliothèques municipales ou intercommunales et bibliothèques départementales, développer les équipes de bénévoles, pérenniser les partenariats existants, diversifier les supports et développer les fonds en langues étrangères. Les professionnel(le)s intervenant en prison confient souvent se sentir seuls face à l’ampleur des actions à mener, d’où l’importance de tisser des liens pour travailler ensemble et nouer des partenariats.
Le partenariat entre
le centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville et
les bibliothèques médiathèques de Nancy
Cyrille PERROT, directeur du SPIP du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville, et Juliette LENOIR, directrice des bibliothèques de Nancy, ont présenté le partenariat ancien entre les bibliothèques de Nancy et le SPIP de Nancy Maxéville, qui s’est notamment développé autour d’actions avec le salon du livre de Nancy, « Le livre sur la place ».
Le SPIP est un service de l’Etat, consacré aux interventions en milieu fermé et ouvert. Ses missions sont l’accueil, l’accompagnement, et la préparation à la réinsertion des personnes détenues, la préparation à l’aménagement de peine. Au SPIP de Nancy, on compte 12 Conseillers d’insertion et de probation pour 800 personnes détenues. Cyrille PERROT a souligné que les SPIP étaient très sollicités et n’avaient pas toujours le temps de se consacrer à des projets culturels pourtant indispensables. La création d’un poste de coordinateur culturel au SPIP de Nancy, portée par la volonté du directeur, et co-financée par l’association Dédale, a été un élément déterminant pour faciliter le portage du partenariat avec les bibliothèques de Nancy. S’il faut beaucoup de détermination pour travailler en prison, le développement des bibliothèques dans les établissements pénitentiaires repose selon les intervenants sur trois éléments clés : des SPIP volontaires, des chefs d’établissements convaincus, et des partenaires impliqués.
A également été soulignée une évolution législative importante : depuis la Loi Taubira du 15 août 2014, la lecture est considérée comme un levier de réinsertion, et prise en considération comme critère pour les remises de peine.
Les dispositifs de subventions du Centre National du Livre pour les publics empêchés
Les nouveaux dispositifs de subvention du Centre National du Livre (CNL) pour les publics empêchés ont été présentés par Hélène ROGUET, bibliothécaire au département de la diffusion du CNL qui a insisté sur les possibilités d’accompagnement du CNL pour le montage de dossier. Il a de plus été souligné que les règles pénitentiaires européennes considèrent comme une obligation de proposer un accès à la culture dans les lieux de privation de liberté.
Un nouvel outil : « La bibliothèque : une fenêtre en prison » (collection Médiathèmes de l’ABF)
Le nouveau Médiathèmes : La bibliothèque, une fenêtre en prison (2015) a été rédigé par les membres de la commission ABF Bibliothèques en établissements pénitentiaires et par plusieurs personnalités invitées. Il se présente comme un ouvrage pratique, apportant des éléments concrets, avec en ligne rouge l’idée de donner la parole aux auxiliaires détenu(e)s. Le sociologue Claude Poissenot a insisté sur la dimension de la bibliothèque comme « lieu de sociabilité choisie » autre que celle qui est imposée dans la cellule.
Retours d’expérience sur la formation
d’auxiliaire de bibliothèque à Nancy et à Fleury-Mérogis
Un retour d’expérience sur la formation d’auxiliaire de bibliothèque mise en place à Nancy et à Fleury-Mérogis pour les personnes détenues a été présentée par Marie-Odile FIORLETTA, bibliothécaire à la Médiathèque de Nancy en charge du partenariat avec le centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville et Cécile TREVIAN, responsable de la formation ABF Ile de France et pour Fleury-Mérogis.
Malgré les difficultés rencontrées (absence d’accès à Internet, perte de temps liée aux procédures carcérales, contrôle des supports de cours en amont, impossibilité de faire du travail personnel pour les personnes détenues (surface de la cellule, télévision allumée en permanence …), les formations d’auxiliaires bibliothécaires détenus dispensées sont un véritable progrès.
A Fleury, pour la 2e année consécutive l’ABF en lien avec l’association Lire c’est vivre propose aux auxiliaires bibliothécaires en poste cette formation de plus de 200h sur le métier de bibliothécaire. 15 hommes sont sélectionnés cette année. La formation mise en place à Nancy d’octobre 2014 à juin 2015 a rassemblé 12 personnes dont 8 ont réussi l’examen final. L’objectif est avant tout de professionnaliser les auxiliaires bibliothécaires en place et de former des suppléants en cas de transferts ou de libérations.
Les projets « facile à lire » dans les prisons bretonnes
Christine LOQUET, chargée de mission publics éloignés du livre au Centre régional du Livre (CRL) Livre et lecture en Bretagne, a apporté un éclairage extrarégional sur un dispositif novateur pour lutter contre l’illettrisme, notamment dans les établissements pénitentiaires. Partant du constat que, comme ailleurs, l’existence d’une bibliothèque dans une prison n’entraine pas automatiquement sa fréquentation par le public ciblé, d’autant plus que le taux d’illettrisme est important chez les personnes incarcérées, le CRL Bretagne, en lien avec Bibliopass et la DRAC Bretagne, a développé des espaces « facile à lire » dans plusieurs établissements pénitentiaires en Bretagne. Imaginés dans les pays du Nord et implantés dans plusieurs bibliothèques de lecture publique bretonnes, les espaces « faciles à lire » visent à toucher des personnes n’étant pas en capacité de lire, en proposant des livres en français facile dans des espaces dédiés. Le travail de médiation autour de ces espaces, ainsi que l’implication de partenaires sont des éléments essentiels dans la conception de ces projets. Le dispositif a été bien accueilli par les directeurs des établissements pénitentiaires et a été installé dans les lieux de promenades ainsi que dans les espaces dédiés aux sports.
A l’issue de l’intervention, il a été rappelé qu’une mission régionale de lutte contre l’illettrisme existait dans chaque région, et que des demi-journées de sensibilisation pouvaient être organisées gratuitement sur demande.
Les bibliothèques dans les quartiers mineurs
Séverine CLERC, professeure documentaliste à la Maison d’arrêt de Metz, Clarisse HOUFEL, éducatrice à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et Aurélien ZANN, animateur vidéo à la Maison d’arrêt de Metz, ont présenté différentes initiatives réalisées dans les quartiers pour mineurs. S’il faut parfois dépasser la réticence de surveillant(e)s estimant que les jeunes n’ont pas besoin de lire, plusieurs projets réussissent à voir le jour, notamment autour d’ateliers d’écriture.
Accueil des familles en attente de parloir
Marie-Jeanne POISSON, présidente de l’association le Didelot a présenté le travail de l’association à la maison d’accueil du centre pénitentiaire de Nancy Maxéville. A été évoquée la manière d’aborder l’incarcération avec les enfants sans taire ni transformer la réalité, par le biais d’un livret à destination des 4-7 ans : Tim et le mystère de la patte bleue.
Claude ANDRE, présidente des associations Dédale et Jeunes lectures, a évoqué le travail de lecture à voix haute d’albums jeunesse auprès des enfants en attente de parloir. L’objectif est de s’adresser à l’imaginaire de l’enfant et de s’appuyer sur le pouvoir rassurant et stabilisant d’un texte. Une phrase de Michelle Petit vient clôturer l’intervention : « on ne lit pas pour se cultiver, on lit pour se construire ».
Inviter en détention :
un auteur, un journaliste, un photographe :
rencontre / atelier d’écriture / résidence d’auteur
Une table ronde a enfin réuni plusieurs intervenant(e)s en milieu pénitentiaire : Nicolette HUMBERT, photographe, Joël EGLOFF, auteur, Olivier DAUTREY, directeur artistique de la résidence d’écrivains La pensée sauvage, Partenaire du Festival de journalisme de Metz, Bruno BARBIER, CPIP et référent culturel de la Maison d’arrêt de Metz et Aurélien ZANN, animateur vidéo à la Maison d’arrêt de Metz. Si la volonté de transmission est une des motivations pour intervenir en détention, la venue d’un auteur génère aussi une autre relation avec les personnes détenues, crée un espace de valorisation des personnes, un espace de liberté.
Il a été rappelé en fin d’intervention que des crédits peuvent être alloués pour des projets de résidence d’artistes dans le cadre de la lutte contre la radicalisation en prison.
Pour conclure la journée, Marianne Masson, présidente du groupe ABF Lorraine, a évoqué la grande disparité des situations sur le territoire national et régional, et rappelé l’importance des partenariats, situés au cœur de la réussite des projets, souhaitant que cette journée contribue à mettre en relation institutions et associations du monde de la culture et de la justice.