Le rôle stratégique des bibliothèques dans l’appropriation du numérique
Journée d’étude BPI / Communauté Urbaine de Strasbourg – 4 décembre 2014
Le 4 décembre 2014, la Communauté Urbaine de Strasbourg et la Bibliothèque Publique d’Information ont proposé une journée autour du thème du « rôle stratégique des bibliothèques dans l’appropriation du numérique ». Cette journée s’est déroulée dans le cadre du cycle « Partager les savoirs, faire société : les bibliothèques dans la cité » piloté par la BPI.
Direction donc la Médiathèque André Malraux, bateau-amiral de la lecture publique sur le territoire de la Communauté urbaine de Strasbourg. Point de découverte des marchés de noël (pourtant de saison), mais une série d’interventions et de tables-rondes devant une salle comble, plus de 100 personnes ayant rejoint la capitale alsacienne. Cette journée a permis de présenter les résultats de la grande enquête européenne consacrée aux usages du numérique dans les bibliothèques publiques, réalisée par la fondation Bill et Melinda Gates.
De nombreux questionnements agitent en effet le monde des bibliothèques. Quelle place pour les équipements de lecture publique à l’heure du web 3.0 ? Quelles contenus et médiations proposer dans un contexte de surabondance informationnelle ? Comment favoriser les pratiques collaboratives et associer les usagers ? Toutes ces interrogations ont été discutées, débattues, et ont nourri de (parfois) fructueux débats.
L’enquête paneuropéenne :
résultats et questionnements
Après l’ouverture de la journée par Souad El Maysour, adjointe au maire de Strasbourg en charge de la lecture publique, Philippe Charrier, directeur des médiathèques de Strasbourg et Franck Queyraud (médiateur numérique des bibliothèques de Strasbourg - citant Neil Gaiman dans son propos liminaire), Christophe Evans a présenté une synthèse éclairante des résultats de l’enquête menée dans 17 pays européens.
A l’échelle européenne, et le chiffre peut impressionner, un adulte sur quatre a fréquenté en 2012 une bibliothèque : pour ce qui concerne la fréquentation, la France s’inscrit dans la moyenne. De la même façon, le maillage en équipements de lecture publique en France (soit la question de l’égalité d’accès à une offre de lecture publique) s’avère correspondre aux moyennes européennes. Pas de surprise d’ailleurs à ce sujet : ce sont les pays d’Europe du Nord qui proposent l’offre de lecture publique la plus fournie et par voie de conséquence la plus fréquentée (on notera d’ailleurs avec étonnement la position reculée de l’Allemagne dont on pourrait croire qu’elle s’inscrit dans le wagon des pays les plus dynamiques en matière de lecture publique). A l’inverse, les usages numériques en bibliothèques s’avèrent peu développés, le pourcentage moyen d’européens utilisant internet en bibliothèque ne dépassant pas les 4 %. Les bibliothèques françaises ne dérogent pas à ce constat et se caractérisent d’ailleurs par un usage encore inférieur à cette (pourtant peu reluisante) moyenne.
Autre donnée inquiétante : seuls 40 % des français considèrent les bibliothèques et médiathèques comme efficaces en matière de réponse aux besoins locaux. On ne s’étonnera donc pas qu’en toute logique, le pourcentage de la population française considérant les moyens alloués aux équipements comme insuffisants n’atteigne qu’un pénible 38 %... Au final, ces résultats montrent l’étendue du travail restant à fournir pour que les bibliothèques deviennent véritablement acteurs de la compréhension des technologies et usages numériques.
Les usages du numérique en bibliothèque :
à la Bpi… et dans les Idea Stores
Agnès Camus a ensuite présenté les résultats d’une étude menée à la Bpi autour de la formation (formelle et informelle) à l’informatique en bibliothèque. Partant du constat de la familiarité du plus grand nombre avec les ordinateurs (et de la complexité de la notion de fracture numérique, relevant plus aujourd’hui des usages et compétences que de la seule question de l’équipement), l’étude a permis d’identifier nombre de représentations touchant à internet : poids de la norme et de l’injonction (« il faut »), pression sociale (« tu dois ») et donc par voie de conséquence, pour plusieurs personnes interrogées, une non-maîtrise des outils souvent vécue comme honteuse. Les ateliers informatiques menés à la Bpi permettent ainsi tout à la fois de se rassurer, de nommer, et de regagner une estime de soi parfois mise à mal : n’est-ce pas là aussi, finalement, le rôle (stratégique) des bibliothèques ?
Passé le repas, la très énergique et enthousiasmante directrice de l’Idea Store de Tower Hamlets, Judith Saint John, a lancé l’après-midi en expliquant les actions de ce « tiers-lieux » anglais en matière d’inclusion numérique. On passera rapidement sur la présentation du district de Tower Hamlet (population jeune, précaire et majoritairement immigrée) pour arriver au cœur du propos : la stratégie de médiation numérique de l’établissement. Celle-ci repose sur 3 éléments clés : confiance, compétence, accès. L’Idea Store de Tower Hamlet répond surtout à des questions d’ordre pratique et sociale – en matière de formation, d’accompagnement, et d’aide à la recherche de ressources utiles dans la vie quotidienne des individus (travail, santé …). L’intervention vivante de Mme Saint-John a mis en avant les spécificités du contexte anglais et tout particulièrement le multiculturalisme (appui par exemple sur les communautés et leurs leaders, difficilement imaginable en France) ; elle a aussi permis de mieux comprendre l’une des clés du succès de ces équipements, soit leur capacité à " partager le point de vue de l’individu ".
Médiations numériques en bibliothèques
La journée s’est poursuivie par une table ronde sur le rôle des bibliothèques en matière d’apprentissage en présence de Jasmine Tschaen (directrice de la médiathèque de Guebwiller), Pascal Thibaut (directeur de la médiathèque de Quimperlé), Franck Queyraud (médiateur numérique des bibliothèques de Strasbourg) et Geraldine Farage (responsable du Shadok). De nombreuses actions en matière d’apprentissage numérique ont été abordées : ateliers, ressources en ligne, séances de découvertes. Le Shadok a tout particulièrement retenu l’attention : lieu-outil (ou tiers-lieu) strasbourgeois destiné à accompagner les usages numériques et à les inscrire dans la vie de la cité, celui-ci figurerait-il la bibliothèque de demain ?
Adapter l’offre aux usagers, travailler à la création et à la participation des citoyens, former encore (et toujours) les bibliothécaires : tels ont été quelques-uns des mots cloturantcette journée, conclue avec enthousiasme par Mme El Maysour.