La médiation des sciences en bibliothèque
Caen, 19 octobre 2017
Quelques jours après la Fête de la Science, la date était bien trouvée pour cette journée de rencontres et d’échanges 1 autour de la médiation des sciences en bibliothèque. J’attendais beaucoup de cette journée, du fait de mes propres interrogations sur la question, réflexions issues d’un projet de pendule de Foucault dans ma bibliothèque universitaire, et d’ateliers communs avec le FabLab de l’université du Havre : comment développer davantage la médiation scientifique dans les bibliothèques ? Comment s’approprier pleinement cette mission, en co-élaborant les manifestations ? Quelles compétences valoriser ou acquérir dans nos équipes ? Quels outils de médiation et canaux de communication privilégier ? Comment asseoir notre légitimité en dehors de l’axe documentaire ? Quelles spécificités, réelles ou supposées, des publics cibles de ces actions scientifiques ?
Autant de questions sur lesquelles cette journée – organisée par le CRL Basse-Normandie, en collaboration avec l’Enssib et des associations régionales de promotion scientifique et technique (le Dôme à Caen, Science Action à Rouen) – a apporté des éclairages. Lumière !
La première table ronde de la matinée, accueillie dans l’amphithéâtre de la récente bibliothèque Alexis de Tocqueville de Caen, a questionné la place des bibliothèques dans l’accès des publics aux connaissances scientifiques et techniques.
Olivier Las Vergnas, professeur en sciences de l'éducation à l’université de Lille, a ouvert la réflexion par un paradoxe : alors que la présence des sciences en bibliothèque est une évidence partagée, il existe un malaise autour de leur médiation. Les causes ? Le désenchantement vis-à-vis des bienfaits du progrès technique, dont les dérives et écueils sont nombreux, ou même un syndrome de math anxiety attrapé dans un système scolaire qui nous classe très vite en « scientifiques » et « non-scientifiques »…
Quelle conduite tenir alors ? Occulter les sujets scientifiques ? Faire de la « vulgarisation » (le terme a beaucoup posé question !) pour tou·te·s ? Entre les deux extrémités du pôle se dessine une voie médiane : se concentrer sur le processus scientifique, sur les façons dont se construisent les théories et les controverses, afin d’exercer l’esprit critique. Un exercice dans lequel les bibliothèques peuvent faire leur place, également en tant que lieux physiques de rencontres et d’échanges.
D’ailleurs, David-Jonathan Benrubi, directeur de la médiathèque d’agglomération de Cambrai, a ensuite présenté le projet du laboratoire culturel de Cambrai, un lieu en centre-ville qui intégrera la lecture publique, le patrimoine écrit, l’architecture et la médiation des sciences. Une hybridation qui permet une mutualisation de ressources, de compétences, de publics, le croisement de différents regards et une plus grande visibilité. Ce projet fortement ancré dans le territoire conçoit la médiathèque en tant qu’acteur culturel scientifique à part entière. Une place d’autant plus incontournable que, dans les « petites villes », il n’y a pas d’offre culturelle scientifique généraliste, les établissements du territoire se spécialisant souvent sur un thème local (la mer, l’industrie…). Dès à présent, l’activité de médiation de la médiathèque est structurée par le développement de compétences internes (recrutement de deux médiateurs scientifiques) mais aussi par de nombreux partenariats avec des acteurs de la culture scientifique. Face à un auditoire impatient de découvrir les lieux, D.-J. Benrubi a fait remarquer à quel point les espaces nécessaires à un lieu de médiation des sciences rejoignent ceux d’une bibliothèque : centre de documentation, lieu d’animation, salle d’exposition, espace café… Rendez-vous à Cambrai en 2019.
La seconde table ronde a croisé différentes expériences autour des médias pour diffuser la culture scientifique. Pas de chaînes YouTube au menu pour cette fois, mais d’autres exemples concrets et inspirants, déblayant des pistes pour imaginer des collaborations.
Jean-Noël Lafargue, enseignant à l’École supérieure d’art du Havre et à l’université Paris 8, a présenté la collection de La petite bédéthèque des savoirs. Cette collection associe un·e scientifique et un·e auteur·trice de BD pour produire un petit volume « assez chic » (sic) à 10 €, sur des thématiques très variées. Lui-même est co-auteur, avec Marion Montaigne, du volume sur l’intelligence artificielle et, avec Mathieu Burniat, de celui sur Internet. Si la BD pédagogique est une vieille histoire (que les bibliothécaires qui ont lu L’Histoire de France en bandes dessinées lèvent la main…), le genre se renouvelle beaucoup, avec l’éclosion de revues dessinées (Topo, Groom, SocioRama…) et la préoccupation croissante de vulgariser la production scientifique (les thèses par exemple).
Cette préoccupation, Marion Brosseau, chargée de mission pour le dispositif Acteurs-Chercheurs d’IRD2(Institut régional du développement durable en Normandie), l’a également, avec une forte dimension participative. Elle a d’ailleurs invité d’emblée les bibliothécaires à s’interroger sur comment les projets présentés peuvent résonner avec leurs métiers et activités. Le dispositif fonctionne tel un laboratoire d’idées, elle anime notamment des ateliers « courts mais intenses » pour favoriser les rencontres, l’émergence de nouveaux projets et les partenariats entre des acteurs de différents horizons et disciplines. Les missions s’articulent aussi autour de l’accompagnement de projets (étudiants, par exemple), de la création d’un panel de médias, de la mise en place d’ateliers sur le territoire, avec pour thématique le développement durable en Normandie. Bref, des missions qui encore une fois ne sont pas totalement étrangères aux bibliothèques, avec des collaborations possibles, pour lesquelles le premier pas a été fait : celui d’une meilleure interconnaissance.
Enfin, Guillaume Dupuy, responsable communication et communauté au Dôme, a enfoncé le clou des possibles coopérations et mutualisations en présentant la plateforme ÉchoSciences Normandie, un réseau social pour « partager les savoirs et les innovations », aux fonctionnalités multiples : agenda pour répertorier les événements sur le territoire, articles sur des thématiques scientifiques, annonces d’appels à projet, dossiers collaboratifs et communautés d’intérêt. Tout est en place pour créer une communauté « bibliothèques et sciences » ! Si, là encore, l’ancrage territorial est très présent, la plateforme est également relais vers les autres plateformes régionales ÉchoSciences, soutenues par le projet InMediats.
La matinée s’est achevée sur la présentation de l’appel à projet FILL/AMCSTI pour soutenir les collaborations entre réseaux de lecture publique et CCSTI. Conclusion en forme de call to action qui assurait une transition logique vers le showroom des projets et initiatives locales autour des sciences, dans toute leur diversité.
Une matinée qui ouvre les perspectives, un showroom pour rencontrer de nombreux acteurs… ne manquait plus qu’une après-midi d’ateliers participatifs pour compléter cette formule gagnante de journée d’étude!
Les participant·e·s ont simplement traversé la rue pour se rendre au Dôme, lieu hybride entre fablab et living lab. Le plus dur était de choisir son atelier : mettre en place une démarche fablab et living lab avec ses usagers, animer son espace sciences et techniques au fil des collections, pratiquer pour mieux comprendre (activités et formations), chercheurs au contact des usagers en bibliothèque : outils, dispositifs, financements.
Dans ce dernier atelier, après un panorama des projets accompagnés par le Dôme dans le domaine des sciences (des Têtes chercheuses et leurs ateliers tout public au FarmBot, en passant par Ma thèse en 180 secondes), des équipes d’un jour ont été mises au défi de proposer une action-type incluant la bibliothèque. Un mini-sprint qui a fait l’objet d’un débriefing (comme les autres ateliers) avec l’ensemble des participant·e·s de cette riche journée, permettant de mettre en évidence la nécessité de s’associer.