La fabrique du patrimoine écrit : Objets, Acteurs, Usages sociaux

Journée Enssib – 13 janvier 2016

Julie Ameline

Agathe Cordellier

Hélène Lacoste

Abby-Eléonore Thouvenin

Le 13 janvier s’est tenue à l’enssib une journée d’étude sur la patrimonialisation de l’écrit, organisée par Fabienne Henryot (Enssib) et dont le fil conducteur était de réfléchir sur la manière dont le « patrimoine écrit et graphique » se construit et s’enrichit. Cette journée part du constat de trois lacunes. Premièrement, en matière de signalement des fonds anciens dans les petites et moyennes bibliothèques ; en second lieu, en matière de compétences professionnelles, pour l’identification et la valorisation de ces fonds, un manque de temps, et, parfois, une adhésion du public et un soutien politique trop faibles. Enfin, une absence de réflexion théorique sur l’émergence du patrimoine écrit et les enjeux sociaux et politiques qu’elle soulève. Les discussions ont pris la forme d’un dialogue entre théoriciens du fait patrimonial, professionnels des bibliothèques et étudiants. C’est à travers les neuf interventions de la journée que se sont dégagés trois axes principaux dans cette tentative de redéfinition des patrimoines écrits : les objets, les acteurs et les usages.

Les objets, tout d’abord, ont été soumis à analyse par Philippe Martin dans son intervention sur la Bibliothèque bleue. Ce sujet permet de vérifier l’idée que la patrimonialisation ne va pas de soi. Méprisés par le passé, ces petits ouvrages bon marché ont subi un processus assez semblable au schéma proposé par Jean Davallon, à ceci près qu’après avoir acquis leurs lettres de noblesse auprès des érudits, ils ne font l’objet que d’un seul fonds spécifique et mis en valeur en France, celui de Troyes. Yves Krumenacker et Cécile Boulaire, communiquant respectivement sur les écrits protestants et le livre pour enfants, se sont également emparés de cet axe. Le premier rappelle à quel point le patrimoine peut être vivant encore aujourd’hui au travers d’objets parfois très dégradés qui ne sont pas simplement témoins du passé mais toujours synonymes de foi revendiquée. Ces reliques font terriblement sens de nos jours. La seconde a choisi de présenter le cas du livre pour enfant qui, s’il a subi un regain d’intérêt ces deux dernières décennies, n’a toujours pas sa part dans les collections patrimoniales classiques. On préfère aisément le numérique en guise de valorisation, malheureusement souvent au détriment d’une réelle conservation physique et encore davantage en ne s’attardant que sur les beaux ouvrages, plus simples à mettre en valeur.

Un pan plus politique a été abordé dans l’intervention de Dominique Varry, lequel a proposé une histoire des politiques patrimoniales du livre en France, faisant part de son expérience au sein de la Direction du livre et de la lecture du ministère de la Culture en concluant que depuis cinquante ans, la volonté politique reste attachée à la conservation et à la valorisation du patrimoine. De même pour Christophe Pavlidès, directeur du centre de formation aux métiers des bibliothèques Médiadix, qui a présenté l’évolution du statut de conservateur de bibliothèque en mettant en lumière toutes ses ambiguïtés. La définition des missions des conservateurs des bibliothèques chargés de la responsabilité des fonds patrimoniaux met en lumière le poids des lobbies ainsi que la difficulté d’une définition politique du « patrimoine », aboutissant à la dissociation de la formation en trois écoles (INP, ENC et Enssib). La question soulevée par Christophe Pavlidès en conclusion reste ouverte : faut-il ou non aligner les statuts des conservateurs des bibliothèques sur les conservateurs du patrimoine ? Enfin, Renaud Adam clôture cet axe dévolu aux acteurs de la patrimonialisation en abordant l’identité patrimoniale de la Bibliothèque royale de Belgique, institution qui, pour gagner son envergure nationale, a choisi de se doter de la collection la plus importante et la plus complète du pays à propos de son histoire, et ce au travers d’un passé mythifié ouvertement destiné à former l’esprit national. Une bibliothèque qui accuse une volonté réelle de mettre en avant ses fonds précieux mais qui, selon Renaud Adam particulièrement inquiet pour son avenir, devra bientôt faire face à une déliquescence exponentielle de ses moyens financiers.

Enfin, la question des usages a été évoquée par Véronique Castagnet (historienne et formatrice à l’ESPE de Toulouse), Laurent Naas (responsable de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat) et Claudio Galleri (responsable du musée Médard de Lunel), qui nous ont livré leurs conclusions en matière de valorisation et de communication autour du patrimoine écrit à travers leurs environnements de travail respectifs. Si Véronique Castagnet dénonce des lacunes dans l’enseignement proposé aux écoles primaires, elle propose un changement de paradigme pédagogique axé sur un modèle de découverte emprunté aux matières scientifiques, souhaitable, selon elle, car le patrimoine reste à explorer. De leurs côtés Laurent Naas et Claudio Galleri achèvent cette journée d’étude sur une note résolument optimiste en présentant leurs projets respectifs à visée touristique et largement soutenus par les élus locaux : unir la bibliothèque et le musée dans un objet de médiation renouvelé et apte à conquérir de nouveaux publics en vue d’une valorisation élargie.

La présentation de ces derniers projets en constante amélioration nous montre que les fonds patrimoniaux sont dignes d’intérêts et de subventions de la part de l’État dès lors qu’ils parviennent à mettre en évidence leurs atouts pour proposer au public un échange renouvelé. Si tout peut être patrimoine, il ne faut cependant pas oublier que rien ne doit être présupposé patrimonial : le processus conduisant un texte à devenir livre, un livre à devenir document et, enfin, un document à devenir monument ne va pas de soi. De même, si l’alliance de bibliothèques et de structures muséales semblerait être une réponse adéquate à l’aube de ce XXIe siècle, cette journée d’étude met en évidence l’étendue de ce qui reste à être défini, tant d’un point de vue pratique que politique.

Une seconde journée d’étude sera programmée dans quelques mois et une publication collective pérennisera le contenu de ces ateliers.