L’Europe et les bibliothèques : quels financements ?

Strasbourg – 5 mai 2022 – Médiathèque André Malraux

Agathe Blondelet

Bénédicte Frocaut

Farid Gueham

Jeudi 5 mai 2022, la médiathèque André Malraux de Strasbourg a accueilli et coorganisé avec la Bibliothèque publique d’information (Bpi), une journée d’étude intitulée « L’Europe et les bibliothèques : quels financements ? ». En ouverture de la journée, Anne Mistler, adjointe aux arts et à la culture à la Maire de Strasbourg, et Éléonore Clavreul, déléguée à la coopération nationale et internationale à la Bpi, ont rappelé le contexte dans lequel s’inscrivait cette journée. La veille, s’ouvrait à Strasbourg le Mois de l’Europe. Alors que les financements européens constituent un levier insuffisamment sollicité par les collectivités territoriales, Éléonore Clavreul a souligné à quel point leur mobilisation repose sur une coïncidence de rencontres : avec le bon interlocuteur, entre le bon projet et le bon objectif politique européen. À l’heure de l’Agenda 2030 de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’enjeu de la journée consistait à nous emmener vers « ce monde merveilleux où l’argent coule à flots ».

Anne Mistler a présenté le réseau de lecture publique strasbourgeois, en développement et résolument tourné vers un maillage du territoire, avec, notamment, deux projets en cours : la médiathèque communautaire Nord et la médiathèque des Deux Rives dans le futur nouveau quartier du Rhin.

Dans le cadre de la candidature de Strasbourg au titre du label « Capitale mondiale du livre », la ville a un contrat triennal dans le cadre d’un label Unesco.

Le fonds culture permet à des opérateurs de déposer des projets qui doivent avoir une dimension européenne. Cependant, ce levier de financement n’est pas suffisamment mobilisé malgré des financements importants possibles, le montage des dossiers étant jugé complexe. Cette réflexion est l’occasion de penser la place du livre comme un outil de transformation sociétale, écologique et culturelle.

S’appuyer sur les objectifs de développement durable : une stratégie gagnante

Frédéric Blin, élu et représentant français au sein du Comité régional Europe de l’International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA, Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques), chef du pôle Services et collections de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNUS), a présenté l’histoire et les missions de l’IFLA. Fondée en 1927, la fédération compte aujourd’hui 1 600 membres dans 150 pays et est organisée en cinq divisions regroupant des sections et des groupes d'intérêt spécial (GIS), gérés par des conseils d'administration élus pour trois ans parmi les représentants des institutions et associations membres de l’IFLA ainsi que six programmes spécifiques placés sous la responsabilité directe de l’IFLA.

Le développement durable est au cœur de la stratégie actuelle de l’association. Les 17 objectifs de développement durable listés par l’ONU dans son Agenda 2030 depuis 2016 sont présentés sur le site de l’IFLA Take Action for the Sustainable Development Goals - United Nations Sustainable Development. Chaque mois, un des 17 objectifs est présenté au travers d’une sélection de livres SDG Book Club - United Nations Sustainable Development. Une carte mondiale des bibliothèques a été créée et compile des histoires, des témoignages et des retours d’expérience en faveur du développement durable. L’IFLA attribue, par ailleurs, tous les ans le prix de la meilleure bibliothèque verte et le prix du meilleur projet de bibliothèque verte.

Giuseppe Vitiello, directeur de l’European Bureau of Library, Information and Documentation Associations (Eblida, Bureau européen des associations de bibliothèques, de l’information et de la documentation), a ensuite présenté l’institution qu’il dirige. Eblida est aujourd’hui composée de 120 membres de 34 pays européens. Le comité exécutif est composé de 10 personnes qui se réunissent tous les deux mois, tous les mois depuis le début de la crise Covid-19, tandis que le Conseil se réunit une fois par an. Lors de sa conférence annuelle, qui s’est déroulée du 14 au 16 juin 2022 à Athènes, Eblida a présenté les lignes directrices du Conseil de l’Europe et d’Eblida sur la législation et la politique des bibliothèques en Europe, le premier rapport sur le prêt numérique en Europe et le deuxième rapport sur le développement durable et les bibliothèques.

Les différents programmes européens pertinents pour les bibliothèques sont recensés dans Eblida Matrix, où les projets sont présentés par pays. Les projets en rapport avec l’un des 17 objectifs de l’ONU sont présentés au travers d’Eblida SDG. L’objectif n° 4 (éducation de qualité) est celui qui est le plus en phase avec les bibliothèques et celui qui est le plus fréquemment investi.

Les fonds européens sont développés autour de trois axes :

  • la bibliothèque en elle-même : promouvoir le développement durable, l’efficacité énergétique, l’attention portée aux bâtiments dans un souci d’économie d’énergie ;
  • la bibliothèque pour elle-même : améliorer l’accès à des services inclusifs et de qualité dans les domaines de l’éducation, de la formation et de l’apprentissage tout au long de la vie avec, par exemple, la mise à disposition de plates-formes d’autoformation ou des services d’aide à l’utilisation des outils numériques ;
  • la bibliothèque au-delà d’elle-même : permettre l’intégration socio-économique des populations en difficulté (migrants, personnes en très grande précarité) au travers de services d’aide et d’accompagnement tels que des permanences d’écrivains publics.

Table ronde des « héros » : exemples d’actions ayant bénéficié de fonds européens

Animée par Jean-Baptiste Vaisman, chargé de coopération nationale à la Bpi, la seconde table ronde avait pour but de présenter des exemples d’actions ayant bénéficié de fonds européens. D’un microprojet porté par deux associations transfrontalières, l’une belge et l’autre française, à un projet d’envergure porté par Universcience (l’établissement public à caractère industriel et commercial, né du regroupement du Palais de la découverte et de la Cité des sciences et de l’industrie), l’ambition de cette seconde table ronde était, selon le mot de Jean-Baptiste Vaisman, de nous convaincre que « nous aussi, nous avons l’étoffe des héros ».

Le programme transfrontalier de coopération territoriale européenne INTERREG « Grande Région »

Loriane Demangeon, directrice adjointe du réseau de lecture publique de la communauté d’agglomération d’Épinal et présidente du groupe ABF Lorraine, et Nathalie Husquin, responsable du projet la Traversée au sein de Lire et Écrire Luxembourg (association du mouvement belge Lire et Écrire) ont présenté le projet « Coécrire pour lire », pour lequel elles ont obtenu, ensemble, un financement européen dans le cadre de la « Grande Région ».

Les deux associations, dont l’une touche les partenaires de la lutte contre l’illettrisme quand l’autre s’adresse aux bibliothécaires, se sont retrouvées sur un projet de développement des échanges transfrontaliers entre professionnels autour des pratiques de la prévention et de la lutte contre l’illettrisme. L’ABF et Lire et Écrire Luxembourg partagent une même caractéristique – un potentiel financier limité – et une même envie : celle de travailler sur les questions de coécriture et de colecture. Après avoir réfléchi à un dispositif adapté à leurs besoins, elles se sont intéressées aux modalités de financement. Mais les fonds européens, longtemps associés à une image de complexité et de lourdeur administratives, génèrent de l’inquiétude, notamment du côté français.

L’obtention d’un financement était cependant indispensable à l’existence du projet. Les deux partenaires décident donc de déposer un dossier dans le cadre du programme transfrontalier de coopération territoriale européenne INTERREG « Grande Région », qui permet notamment de financer des « microprojets » – définis comme de petits projets, portés par de petites structures, disposant de peu d’expérience de coopération transfrontalière. Dans ce cadre, il leur faut définir un chef de file qui déposera le dossier : Lire et Écrire Luxembourg tiendra ce rôle. Par ailleurs, la « Grande Région » proposant de nombreux bureaux de proximité, la section lorraine de l’ABF et l’association Lire et Écrire Luxembourg bénéficieront d’une aide précieuse, leur permettant de recevoir des conseils, de retravailler le vocabulaire du dossier, d’ajuster la candidature aux objectifs de l’Union européenne (UE).

Nathalie Husquin a rappelé qu’avant chaque appel à projets, une réunion d’information est souvent organisée. Concernant la complexité administrative, Loriane Demangeon a précisé que les porteurs de projets étant informés au préalable des différentes étapes et que le dossier étant proche de ceux pour les subventions tels que nous les connaissons en France, déposer une candidature n’est pas insurmontable. Chose réellement nouvelle, et source de lourdeur : l’obligation de produire un dossier bilingue français-allemand, alors même que l’ensemble du projet se réalisait en français – exigence expliquée par le fait que la « Grande Région » rassemble quatre États membres de l’UE – le Luxembourg, la France, l’Allemagne et la Belgique.

Cependant, malgré ces contraintes, l’intégration du projet au dispositif européen a permis aux deux associations d’accéder à d’importants subsides, jusqu’à 25 000 euros, financés jusqu’à 90 % par le programme. Inscrit dans l’axe n° 3 « Améliorer les conditions de vie » du programme transfrontalier de coopération territoriale européenne INTERREG « Grande Région » et répondant à l’objectif n° 7 « Améliorer l’offre transfrontalière de service et d’équipements socialement inclusifs », le dispositif a par ailleurs pu être ajusté au fil du projet, du fait du contexte sanitaire.

Les conclusions des différents temps de travail interprofessionnels et transfrontaliers sont aujourd’hui disponibles en ligne sur le blog du projet : coecrirepourlire88.blogspot.com. Enfin, il convient de préciser que les fonds obtenus ont été débloqués en trois temps, selon leur nature – frais de préparation, de mise en œuvre du projet et frais de clôture. À la date de la journée d’étude, Nathalie Husquin et Loriane Demangeon n’avaient pas encore défendu leur rapport de clôture et devaient encore recevoir la dernière partie du financement.

Le Fonds européen de développement régional (FEDER) obtenu par la Bibliothèque des sciences et de l’industrie

Contrairement au projet précédent, celui de « Plateforme numérique de mutualisation et d'échanges de projets », présenté dans un second temps par Elhadi Djebbari, responsable technologies de l’information à la Bibliothèque des sciences et de l’industrie, ne constituait pas totalement une première pour Universcience. Il s’agissait en fait de leur troisième projet européen, mais le premier en portage seul. Inscrit dans le cadre du Programme opérationnel régional 2014-2020 de l’Île-de-France et du bassin de Seine, axe n° 7 « Diversifier et améliorer les applications TIC » et objectif stratégique n° 11 « Renforcer l'usage de nouveaux outils et contenus numériques », le projet visait à proposer aux usagers une interface unique pour consulter une notice, l’exporter, emprunter un document, réserver des salles ou un ordinateur, une machine, s’inscrire à un événement, développer le travail collaboratif. Il ciblait principalement les jeunes adultes en formation, requalification ou activité du territoire de proximité. Lancé en décembre 2018 par des temps d’échanges avec les partenaires et des ateliers d’idéation, le projet a mené, en avril 2021, à l’ouverture de la plateforme numérique : une plateforme responsive, proposant aux professionnels un suivi des usages grâce à des indicateurs de trafic, d’activité, de fidélisation, de performance et permettant aux usagers de « progresser » dans leurs usages, passant d’un profil usager à un autre.

Concernant les particularités du projet en lien avec son financement européen, un suivi très régulier du projet a été nécessaire afin de respecter le calendrier, de réaliser les feuilles d’émargement (à produire pour chaque réunion dans le cadre du dossier de financement), de mesurer le temps de travail des chefs de projets (indispensable pour valoriser, dans le cadre du dossier, les ressources humaines).

Elhadi Djebbari a précisé que, dans le cadre d’un tel projet, « tout doit être justifié, devis, facture, mise en concurrence. Ces contraintes, qui permettent en effet de se dire à la fin que le projet a été mené dans les règles, fluidifieront les démarches en fin de projet ». Enfin, la prise en compte par Universcience des principes horizontaux de l’UE pour la programmation 2014-2020, et notamment son engagement en faveur du développement durable, de l’égalité femmes-hommes, de l’égalité des chances et de la non-discrimination, ont sans aucun doute favorisé le financement européen du projet. La plateforme numérique est aujourd’hui accessible à l’adresse : https://messervices.cite-sciences.fr.

Quels fonds européens mobiliser ?

Les quatre programmes européens, développement régional ; emploi formation insertion (Fonds social européen) ; Mer, pêche et pisciculture et développement zones rurales représentent un tiers du budget de fonctionnement de l’UE avec 960 milliards d’euros.

Les dispositifs pour les bibliothèques

Recherche et innovation numérique, culture et tourisme : la cible de ce dispositif concerne les bibliothèques universitaires et la structuration d’écosystème innovant. Les bibliothèques de Strasbourg ont fait appel au FEDER pour la numérisation des fonds anciens. Le développement des portails, les espaces de travail partagés, l’accès simplifié aux ressources numériques éducatives et culturelles participent à la lutte contre la fracture numérique. Sur le champ du tourisme et de la culture, la structuration d’un réseau et une médiation innovante (comme la construction d’un média avec des jeunes publics pour le développement de l’esprit critique) peuvent s’inscrire dans ce cadre.

Bâtiment et utilités : les fonds européens permettent de financer l’installation de panneaux photovoltaïques, la rénovation thermique, le changement de mode de chauffage, la rénovation du réseau de chaleur, l’adaptation du bâtiment existant, ou encore la construction d’un bâtiment passif, la végétalisation urbaine, l’inscription des bibliothèques en milieu urbain au sein de leur quartier. Sur le volet « bâtiment », il existe d’autres programmes, tels que « Climaxion » qui permet d’économiser la consommation mais aussi de valoriser l’équipement, qui est un programme connexe propre à la région grand Est.

La première des grandes étapes pour solliciter un financement est la prise de contact avec l’animateur des Fonds européens structurels et d’investissement (FESI) du territoire à travers l’envoi d’une lettre d’intention à la Région, le dépôt de documents en ligne sur e-synergie. La procédure et les démarches FESI sont relativement complexes en termes de charge administrative et demandent une rigueur absolue dans la gestion des marchés publics et des délais d’instruction, mais les financements sont relativement abondants et variés. Une aide est disponible à toutes les étapes.