« L’effet Wow des bibliothèques »

Le Rendez-vous des bibliothèques publiques du Québec – 4 et 5 mai 2022, Montréal

Élise Leclere

Depuis 2015 se tient annuellement le Rendez-vous des bibliothèques publiques du Québec, organisé par l’Association des bibliothèques du Québec et les Bibliothèques de Montréal. Pour sa 7e édition, conçue sur le mode hybride, il a accueilli pendant deux jours des conférencier·ères issu·es du monde des bibliothèques et d’ailleurs pour apporter des éclairages sur la profession autour d’une thématique réjouissante : « L’effet Wow des bibliothèques ».

L’effet Wow !

La première conférence, donnée par Jasmin Bergeron, conférencier, auteur, formateur et Professeur à l’université du Québec à Montréal (UQAM), visait à définir l’expression « effet Wow » afin d’illustrer les mécanismes psychologiques à l’œuvre derrière cet effet, avant de donner des préconisations sur la façon de le provoquer. Sur un mode interactif et proche du stand-up, le conférencier a commencé par expliquer que l’effet Wow repose sur un dépassement des attentes des client·es 1

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Au Québec, les usagères et usagers sont en général appelé·es clientes et clients, et customer ou patron en anglais.

. En effet, la satisfaction de ces dernier·ères ne se mesure pas entre leurs attentes et le résultat obtenu, mais entre leurs attentes et leur perception du résultat. Il serait donc préférable de baisser le niveau de qualité promis à l’usager·ère afin que ce·tte dernier·ère soit favorablement surpris·e si ce niveau est dépassé. Cette manipulation de l’attente passe par la mise en place d’une communication concrète. Il s’agit par exemple d’éviter les formules imprécises du type « dans les plus brefs délais » ou « ça ne sera pas long » et de proposer des standards chiffrés et précis : une heure, une semaine, un mois, selon la nature de la demande. Ceci afin d’éviter une pression supplémentaire que la·le bibliothécaire s’impose sans qu’elle soit nécessairement tenable, ni même indispensable du point de vue de l’usager·ère.

Ce principe de diminution des attentes étant posé, Jasmin Bergeron a expliqué que, pour assurer un impact maximum à cet « effet Wow », l’expérience de l’utilisateur·rice doit être accompagnée depuis son entrée jusqu’à sa sortie dans la bibliothèque par :

  • une communication marquée par l’enthousiasme ;
  • la validation de son comportement par des compliments justifiés et personnalisés : « c’est vraiment bien que vous fassiez cela, parce que… » ;
  • un soin particulier apporté à la dernière impression qu’on lui laisse (un mauvais dessert pouvant gâcher tout le repas).

Quand le goût de cuisiner se développe à la bibliothèque

Les deux autres conférences de la première matinée ont porté sur l’alimentation. Marie Marquis, enseignante, chercheuse et diététicienne, a centré son propos sur la notion encore récente de littératie alimentaire, qui implique un ensemble de savoirs et de compétences que l’individu doit développer :

  • la capacité à planifier et gérer les repas, c’est-à-dire la construction d’une routine au niveau de la gestion de son temps et de son budget ;
  • la capacité à sélectionner les aliments selon divers critères (la provenance, la composition – qui implique de savoir lire les étiquettes –, la qualité) ;
  • la capacité à les préparer (savoir cuisiner quelque chose de bon en utilisant des aliments et du matériel courants, savoir adapter des recettes, savoir respecter des règles d’hygiène) ;
  • la capacité à consommer, c’est-à-dire à se ressaisir de la dimension sociale de l’acte de manger et rechercher l’équilibre alimentaire.

Ces quatre composantes sont chacune le lieu d’inégalités (sociales, économiques, de compétences, etc.). Elles sont également sujettes à une complexification grandissante parce qu’elles s’accompagnent de prises de conscience sur des questions de société, au premier rang desquelles figurent le bien-être animal et le développement durable. Toutes ces questions peuvent être abordées via la mise à disposition de collections, mais aussi d’animations et de médiations.

C’est le sujet qu’a traité la conférence suivante, intitulée « Renforcer la communauté par l’alimentation » et proposée en anglais par Emily Mathew, diététicienne et cheffe professionnelle, spécialiste de la littératie alimentaire pour les bibliothèques publiques de Halifax, en Nouvelle-Écosse. À Halifax, l’inscription des bibliothèques dans la communauté se fait non seulement par leurs services traditionnels mais également par une démarche de solidarité permettant la construction d’un lien de confiance et augmentant l’attractivité et la fidélisation de la clientèle. Ainsi, la bibliothèque offre des snacks sains aux enfants et aux adultes fragiles, à consommer dans un espace réservé à cet effet, afin que ceux-ci puissent venir utiliser les services de la bibliothèque. Au-delà de la satisfaction des besoins immédiats, la bibliothèque permet de faire travailler les habitant·es autour de la littératie alimentaire en proposant plusieurs types d’ateliers destinés à différents types de publics (enfants, adolescent·es, nouveaux·elles arrivant·es, etc.). Le cœur du programme est d’amener les participant·es à cuisiner ensemble, à partager les apprentissages et à faire en sorte de travailler toutes les étapes impliquées par la notion de littératie alimentaire : du jardinage ou de la sélection des produits à la consommation du plat. La construction de ce programme d’ateliers passe par une forte inscription dans le territoire et la recherche de partenariats locaux, l’ensemble devant intégrer une planification rigoureuse et mobiliser un·e spécialiste de la diététique. Ce type d’atelier permet de lutter contre l’isolement social, la précarité alimentaire et participe à la construction d’un sentiment d’appartenance à la communauté tout en favorisant un changement dans les pratiques alimentaires. Sur le plan des bibliothèques, ils permettent de développer l’appropriation des services plus traditionnels et l’intégration de celles-ci dans la communauté.

Des outils de gestion pour un « effet Wow »

Une conférence et une table ronde ont traité de la façon dont certains outils d’analyse et de planification favorisent l’action des bibliothèques publiques. La première conférence, présentée par Flavie Lavallière, conseillère en développement collectif pour l’organisme à but non lucratif Communagir, portait sur un outil d’analyse du territoire, de ses acteur·rices et de leurs interactions : la « carte sociale ». Cette cartographie vise à sélectionner les données utiles à un projet et à catégoriser les tiers pouvant être partie prenante selon un niveau d’implication actuel ou à venir sur le sujet traité. Ainsi, une fois un·e acteur·rice identifié·e, on cherche à savoir si son implication s’arrête à la connaissance du sujet, s’il peut avoir une influence, être un collaborateur ou être complètement intégré à la démarche. Il faut néanmoins éviter les pièges d’une planification linéaire : cette cartographie doit être pensée comme mouvante et être régulièrement réinterrogée afin de rester actuelle à toutes les étapes du projet.

Lors de la table ronde, trois représentant·es de bibliothèques ou de territoires, Marie Amiot, responsable culture et bibliothèque de la ville de Baie-Comeau, Véronique Pharand, responsable principale de la bibliothèque centrale, des partenariats et de la programmation de la ville de Laval, et Éric Therrien, directeur des bibliothèques Gabrielle-Roy et du centre-ville, des collections et de la stratégie numérique de l’Institut canadien de Québec - bibliothèque de Québec, ont échangé autour de la façon dont les différentes bibliothèques ou instituts ont mis en place une démarche de planification stratégique. Les éléments présentés sont à ce titre assez classiques : identification de l’environnement de la bibliothèque, des acteur·rices impliqué·es par son action (employé·es, fournisseurs, publics, etc.), des politiques familiales et culturelles de la ville, des ressources disponibles. Une fois cet audit réalisé, il est possible de se fixer des objectifs réalistes sur une durée de quatre à cinq ans, tout en les réajustant si nécessaire pendant la réalisation du plan. La planification apparaît ainsi comme un puissant levier de mobilisation des employé·es et d’évolution de l’institution.

Des services au diapason de la communauté

La dernière conférence a été présentée par Dr Briony Birdi, professeure agrégée en bibliothéconomie à la iSchool de l’université de Sheffield. En s’appuyant sur une analyse de la composition sociale des publics et des équipes des bibliothèques, elle se concentre sur le rôle social des bibliothèques et la nécessité de professionnaliser l’empathie dans le travail de bibliothécaire, d’en faire une des core skills du métier. Les études sur l’exclusion sociale montrent qu’il s’agit d’une situation globalement assez mal connue ou comprise, alors que la majorité des employé·es des bibliothèques représentent la majorité de la population. Or, les personnes victimes d’exclusion sociale sont plus ouvertes à des personnes possédant des points communs avec elles. Il y a donc un fossé à combler afin d’avoir un véritable rôle de justice sociale. Dans cette perspective, les principales recommandations de l’intervenante sont donc de :

  • redéfinir le rôle et les services des bibliothèques en visant des objectifs concrets et réalistes, notamment en personnalisant les services plutôt qu’en proposant un service selon des modalités indifférentes à la diversité des publics ;
  • travailler avec des partenaires extérieurs ;
  • faire attention à inclure la diversité (de classe, de couleur de peau, de culture, etc.) dans les recrutements et pas seulement de s’autodéclarer ouvert à la diversité, afin de favoriser l’identification des usager·ères ;
  • favoriser la communication en interne ;
  • former les professionnels, via par exemple des cours de type diversity training, en plus de les doter d’outils pour identifier leurs propres préjugés et leur sensibilité aux stéréotypes afin de pouvoir y travailler.

Aborder l’usager·ère dans son individualité

La conférence inaugurale de la seconde journée a été présentée par Daniel Lafrenière, conseiller, auteur et conférencier en expérience client, qui a partagé ses observations et recherches sur l’expérience client (UX). Il a insisté notamment sur la part des émotions dans cette expérience, le cœur du service devant reposer sur le fait que l’usager·ère attend d’être abordé·e dans son individualité et non dans sa fonction d’usager·ère. La personnalisation des services proposés est donc essentielle de ce point de vue et chaque interaction doit tenir compte de la personne et de son contexte. Ainsi, le recours à son nom ou prénom, l’attention portée à ses inquiétudes, l’absence de moralisation dans les interactions, etc., sont autant de soins qui seront appréciés. Cette personnalisation et la confiance inspirée sont d’autant plus importantes qu’une mauvaise expérience touche, par le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux, deux fois plus de personnes qu’une bonne expérience et que les usager·ères ont tendance à transposer leurs expériences vécues à toutes les sphères de leur vie. Ainsi, une expérience en bibliothèque sera comparée à une expérience chez Amazon, quand bien même les deux ne sont pas comparables aux yeux des bibliothécaires.

Des bibliothèques vertes au-delà des bâtiments

Trois conférences ont été consacrées à la thématique du développement durable, animées respectivement par Chrissy Hodgins, directrice du service des bibliothèques et de l’engagement communautaire, bibliothèque publique d’Edmonton, Chantal Pelletier, bibliothécaire-chef de division à la ville de Varennes (Québec) et Minna Männikö, directrice régionale des services de bibliothèque, bibliothèque municipale d’Oulu (Finlande). La première conférence a porté sur la rénovation de la bibliothèque d’Edmonton, perturbée par la pandémie de Covid-19, ainsi que sur les nouveaux espaces et services. La nouvelle architecture devait s’intégrer dans l’environnement urbain tout en consommant peu d’énergie et en favorisant une certaine inertie au niveau de la variation des températures. Le projet architectural ayant suscité beaucoup de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux, la bibliothèque s’en est servie pour appuyer sa campagne de communication sur l’autodérision et la connivence avec sa communauté via l’usage de mèmes. Le point fort de la bibliothèque étant ses nouveaux espaces et services, Chrissy Hodgins a ensuite proposé une visite guidée virtuelle des lieux. Du côté de la ville de Varennes, Chantal Pelletier a présenté une bibliothèque engagée écologiquement sur deux plans : son fonctionnement et ses services. En effet, la bibliothèque, inaugurée en 2014, est un bâtiment énergétiquement autosuffisant et neutre. Au-delà de cette conception sur le mode durable, le bâtiment est lui-même intelligent : l’éclairage s’adapte à l’ensoleillement, la ventilation s’intensifie dans les espaces plus fréquentés, etc. L’engagement environnemental s’inscrit également dans les services puisque la bibliothèque dispose d’une offre de projets documentaires et pédagogiques importante sur cette thématique. C’est dans cet engagement pour la sensibilisation des publics que s’inscrit également la bibliothèque d’Oulu présentée par Minna Männikö. Ce projet de 11 mois contient plusieurs dimensions : sensibiliser la population sur l’environnement, donner une image de durabilité à la bibliothèque, former le personnel et améliorer les processus de recyclage de la bibliothèque. Cette « feuille de route pour une bibliothèque durable 2030 » s’appuie sur les objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations unies (ONU) et a permis à la bibliothèque d’obtenir le prix décerné par l’International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA) en 2021 pour le meilleur « projet de bibliothèque verte ».

Des bibliothèques éphémères sous le signe de la créativité

Dans sa conférence, Britt-Marie Ingdén-Ringselle, bibliothécaire à Stockholm, a présenté les bibliothèques itinérantes de la bibliothèque municipale de Stockholm qui ont fait l’objet d’un financement public important entre 2018 et 2020. La bibliothèque itinérante possède une longue histoire en Suède puisque la première expérience remonte à 1948. Elle s’appuie sur un véritable réseau de professionnels, représenté dans l’Association des bibliothèques de Suède. Plusieurs modèles de bibliothèques itinérantes ont été présentés par l’intervenante : de la bibliothèque mobile, équivalent des bibliobus, aux bookmobiles permettant aux enfants de regarder des films projetés à l’intérieur du véhicule aménagé comme une mini-salle de cinéma en passant par le Van-bibliothèque, offrant un espace de lecture éphémère aux adolescent·es. Le bibliambule, conçu en France, est particulièrement plébiscité : il s’agit d’un triporteur intégrant sept hamacs qui se déploient autour du kiosque de lecture central. Du côté de la bibliothèque de Québec, c’est une bibliothèque fabriquée à partir d’un conteneur maritime qu’ont présentée Anne-Christine Félicité, responsable des bibliothèques Beauport-Limoilou, Institut canadien de Québec - bibliothèque de Québec et Marik Trépanier, directrice des bibliothèques de proximité et des services à la clientèle, Institut canadien de Québec - bibliothèque de Québec. Doté de 150 000 dollars canadiens (110 000 euros environ), ce projet de 3 ans vise à proposer une offre là où les quartiers sont mal desservis par le réseau de bibliothèques. Les deux conférencières ont insisté néanmoins sur la nécessité de bien définir les acteur·rices du projet et d’y associer la population desservie afin de construire un projet qui ait du sens et qui puisse devenir pérenne. L’installation ne suffit pas au développement de pratiques de lecture, ce sont la médiation et la coconstruction qui le permettent.

Être un lieu incontournable

Dans une intervention à trois voix, Odile Cliche, responsable marketing de la ville de Laval, Jean-Yves Houle, designer graphique et Véronique Pharand, responsable principale de la bibliothèque centrale, partenariats et programmation, la ville de Laval a ensuite proposé un retour d’expérience sur la construction d’une image de marque pour la bibliothèque. Celle-ci permet à la fois de fédérer les employé·es et de fidéliser les usager·ères en facilitant la création d’une identité graphique propre à la bibliothèque, déclinée et adaptée selon les services et animations, mais reconnaissable par tous·tes. Elle implique au préalable un travail commun et collaboratif entre la bibliothèque et les autres services municipaux, mobilisant notamment des spécialistes de la communication.

La dernière journée s’est terminée avec la conférence d’Angela Hursh, auteure, animatrice, journaliste et consultante chez NoveList, spécialisée dans le marketing en bibliothèque, qui a proposé trois pistes de travail afin de permettre aux bibliothèques d’être attractives et de favoriser l’utilisation de leurs services et de leurs collections (il coûte cinq fois plus cher d’attirer de nouveaux publics que d’inciter les publics fidèles à utiliser davantage les services). Le premier axe concerne l’utilisation des espaces pour faire du marketing et favoriser le cross-selling 2

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Fait d’inciter un·e client·e à acheter quelque chose lorsqu’iel s’est déjà engagé·e dans un acte d’achat.

, il repose sur la réalisation d’enquêtes sur les usages et les attentes qui permettent d’optimiser les cheminements et la disposition des collections dans les espaces. Le deuxième axe est l’utilisation de l’email, que la conférencière présente comme le meilleur mode de communication dans la mesure où 99 % des personnes les vérifient tous les jours. Il s’agit néanmoins pour la bibliothèque de réaliser un gros travail de construction et de personnalisation de cette liste afin de créer plusieurs types de newsletters en fonction de la catégorie de public et des intérêts exprimés par chacun·e. La troisième piste repose sur l’utilisation différenciée des réseaux sociaux pour la communication, en adaptant la temporalité des publications au médium utilisé et au public ciblé. La segmentation de la communication permet une relative personnalisation des contenus et augmente la probabilité d’intéresser ses publics.

Cet ensemble de sujets variés abordés autour de la thématique de l’« effet Wow » permet de conclure qu’au-delà du dynamisme et de l’inventivité certaine des bibliothèques, produire une expérience positive sur l’usager·ère repose sur une attention portée à chaque dimension du travail de bibliothécaire. La qualité des espaces, services et aménagements proposés est certes essentielle, mais les processus et l’organisation du travail, l’attention réelle portée aux individus et le travail sur l’image de la bibliothèque ainsi que son intégration dans le territoire participent pleinement de cet « effet Wow ».