« L’ebook, un objet numérique de transition. Face à l’hybridation des pratiques du lycée à l’université : du manuel aux médias enrichis »
Journée d’étude de Couperin, Bulac – 4 juillet 2022
Après une pause liée au Covid-19, 80 personnes ont pu à nouveau rejoindre l’auditorium de la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations (Bulac) à Paris pour la traditionnelle journée d’étude de la cellule ebooks de Couperin (CeB) consacrée aux livres électroniques. Pour sa dixième édition, cette Journée livre électronique (JLE) du 4 juillet 2022 était en mode hybride (321 vues YouTube) 1
. Elle était consacrée aux possibles offerts par l’ebook au lycée et à l’université, entre enrichissements et contraintes. Il y était question d’examiner les transitions qui traversent l’ebook dans ses contenus, qui tentent de favoriser la médiation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur, et dans l’hybridation de ses supports pour se transformer en objet pédagogique. Les différentes présentations avaient pour fil conducteur la science ouverte.Après un accueil café et une introduction d’André Dazy, coordinateur du Département services et prospective du consortium Couperin et responsable de la veille à la CeB, et Dorothée Pain, responsable de la CeB, la journée s’est déroulée en trois parties : les assimilations de l’ebook au lycée, les pratiques diverses à l’université et l’hybridation de l’objet ebook.
Favoriser l’utilisation du livre électronique dès le lycée
Vanina Profizi, Professeur agrégée en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), a relaté l’expérience du manuel électronique Initiation aux études historiques qu’elle a lancé pour sa classe de première année de CPGE littéraire (hypokhâgne) sur l’année scolaire 2021-2022. Ce manuel en accès libre est publié par Nouveau Monde Éditions, notamment en partenariat avec Couperin, et avait été présenté en pré-projet lors de la JLE 2019. Pour l’intervenante, les attendus de ce livre numérique étaient d’offrir une réponse à l’accessibilité de la documentation dans un lycée loin des librairies et bibliothèques universitaires (BU), dans un format rassurant pour une transition en douceur vers l’enseignement supérieur, et d’offrir les possibles enrichissements permis par le numérique. Le manuel a fait ses preuves quant à son accès simple et gratuit et à ses contenus enrichis, même si le risque est de s’y perdre. Cependant, l’expérience n’a pas permis d’augmenter l’investissement du néobachelier comme le promettaient des lectures estivales du manuel avant la rentrée.
Dylan Pissard a ensuite présenté sa maison d’édition lelivrescolaire.fr créée en 2012 et spécialisée dans le manuel électronique à destination de l’enseignement secondaire. 91 manuels écrits de manière collaborative essentiellement par des enseignants sont actuellement disponibles en accès gratuit et sans authentification ; seuls les manuels du professeur nécessitent un mail académique. Le modèle économique de cet éditeur est basé sur la vente de manuels imprimés et une offre d’abonnements premium qui permet une personnalisation des manuels (suppressions/ajouts d’exercices, etc.) ainsi que l’accès à un module de révisions pour les élèves. Il est prévu que l’éditeur étende son offre à destination des BTS en 2024, et éventuellement à l’université, même si la faisabilité est plus complexe faute de programmes scolaires.
Bernadette Vincent, responsable du service autoformation de la Bibliothèque publique d’information (Bpi), a présenté l’évolution qu’a connu son service avec le numérique. La Bpi est fréquentée à 80 % par des étudiants. Le laboratoire de langues a fait le succès de la Bpi jusqu’aux années 2000 mais, tout comme le marché de l’édition papier, il a dû depuis s’adapter aux nouvelles pratiques des lecteurs. Les ventes de dictionnaires de langues ont été divisées par dix entre 2007 et 2022 ; les livres avec accompagnement audio ne font plus recette non plus. Le laboratoire de langues consacre désormais 90 % de son budget d’acquisition à l’électronique. Avec l’augmentation des ordinateurs personnels et des contenus gratuits sur internet, l’apprentissage des langues à la Bpi passe par l’abonnement à des bases de données trop chères pour un particulier, et par la médiation via des ateliers de langues notamment. Se pose maintenant la question de l’expansion des applications très peu coûteuses et dont le modèle économique n’est pas adapté à une bibliothèque.
Après une pause, Caren Milloy, director of Licensing du Jisc, fournisseur de solutions digitales pour l’enseignement et la recherche au Royaume-Uni, a présenté un certain nombre de ressources de formation et d’Open Educational Resources (OERs) négociées par l’organisation pour le compte des institutions d’enseignement post-secondaire au Royaume-Uni. Le propos portait en particulier sur la further education, un niveau d’enseignement se situant entre l’enseignement secondaire obligatoire et l’enseignement supérieur. Parmi les réalisations du Jisc dans ce domaine, on peut citer la collection « Ebooks for FE », qui propose aux further education colleges un accès gratuit à une offre multidisciplinaire de livres numériques provenant d’éditeurs variés, le schéma pilote mis en place avec la plateforme éducative Kortext pour développer une collection d’OERs et de livres électroniques en accès ouvert, ou encore les accords passés autour de ressources interactives comme BSD Online (plateforme d’apprentissage du code informatique) et Learning Science (simulateur de laboratoire en réalité virtuelle).
L’intervenante a ensuite décrit les activités que le Jisc mène actuellement dans le but d’infléchir le marché des e-manuels vers un modèle davantage favorable au secteur académique. Soulignant par ailleurs le développement croissant de nouveaux types de ressources éducatives comme les didacticiels ou les ressources faisant appel à la réalité virtuelle et augmentée, elle a évoqué les enjeux que soulèvent ces nouveaux produits en matière de négociation avec les éditeurs. Il s’agit donc pour le Jisc d’investiguer ce champ et de tester de nouveaux modèles. Enfin, Caren Milloy a exposé les travaux présents et à venir du Jisc en faveur du développement de l’Open Education dans les établissements d’enseignement post-secondaire au Royaume-Uni, notamment la conception de boîtes à outils à destination des institutions désireuses de publier leurs propres e-manuels ou de créer de nouvelles presses universitaires, ainsi que des études visant à appréhender les facteurs favorisant la production d’e-manuels en accès ouvert ou d’OERs par le personnel académique.
Le livre électronique au service des pratiques universitaires
Après un buffet offert par Couperin, la journée a repris avec la partie consacrée aux richesses des pratiques du livre électronique à l’université.
Marianne Dubé, conseillère pédagogique et coordonnatrice de la fabriqueREL de l’université de Sherbrooke, Canada, a présenté son service de soutien à la formation et notamment la création de ressources éducatives libres (REL). Ce service est né d’un double constat : les manuels existants ne conviennent pas forcément aux besoins des enseignants et ces derniers ont besoin d’accompagnement en matière de pédagogie ouverte. La fabriqueREL vient ainsi en appui à l’enseignement pour la création de matériels d’enseignement en accès libre ou la modification d’un matériel déjà existant. Douze établissements canadiens participent à ce jour à ce projet qui se veut ouvert à d’autres universités. Chaque établissement met à la disposition du projet un binôme conseiller pédagogique / bibliothécaire. Les bibliothèques partenaires se sont rapprochées de l’autoédition PressBook pour essayer l’édition papier de ces manuels. Pour le moment, le service manque de données de recherche sur le REL, par exemple sur la typologie des REL modifiés.
Sandrine Delacroix-Morvan, responsable communication de France université numérique (FUN), a, quant à elle, présenté l’établissement public FUN gérant la plateforme de MOOCs élaborés par les établissements d’enseignement supérieur. Au-delà de l’offre de cours en ligne, l’intervenante s’est focalisée sur la coconstruction de services numériques innovants, au cœur même de la mission de FUN, en développant deux initiatives de MOOCs créés pour aider et préparer les étudiants de licence 3 à leur entrée en master. Ces MOOCs appartiennent à une collection nommée « Cap master » qui permet une meilleure orientation des étudiants. Le master Miro de Perpignan s’est par exemple doté d’un MOOC suite au constat de l’équipe pédagogique sur le manque d’informations concernant les prérequis, le contenu et les débouchés du tourisme culturel développé dans ce master ainsi qu’un manque de méthodologie des candidats dans la création des CV et lettres de motivation. Sciences Po Toulouse a également développé un MOOC pour élargir socialement la deuxième voie d’entrée en 4e année. FUN accompagne ces initiatives par le biais de formations techniques mais n’entre pas dans le contenu pédagogique lui-même.
Marie-Delphine Foudriat, commerciale chez BiblioOnDemand, et Jean-Jacques Flahaut, de l’Institut supérieur du professorat et de l’éducation (INSPÉ) de l’Académie de Lille, négociateur de BiblioOnDemand avec Dorothée Pain, ont ensuite présenté la nouvelle offre d’ebooks de manuels scolaires des premier et second degrés de la plateforme à destination des candidats aux concours de professeur. Cette ressource bénéficie d’une négociation Couperin depuis 2021 en deux volets : l’achat pérenne d’ebooks au titre à titre en partenariat avec Browns Books (rachat du catalogue de Dawsonera) et l’achat de bouquets de manuels à destination des INSPÉ. Une attention a été portée sur la mise à jour du contenu à chaque rentrée et une parution numérique en même temps que le papier.
Adapter l’offre d’ebooks aux réalités des bibliothèques académiques
Mathilde Herrero, responsable des ressources électroniques à la Bibliothèque Cujas, et Claire Nguyen, directrice adjointe du SCD de l’université Paris Dauphine, respectivement membre et ancienne membre de la CeB de Couperin, sont ensuite revenues sur la Lettre ouverte aux éditeurs francophones – pour une ouverture des contenus et une pluralité d’éditeurs francophones dans nos collections d’ebooks publiée en avril 2021, rédigée à l’initiative de la CeB et cosignée par l’Association française des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) et l’Association des responsables des centres d’information des écoles de gestion (ACIEGE). Dans un premier temps, Claire Nguyen a rappelé les constats qui ont présidé à la naissance de cette lettre ouverte : la faiblesse de la production francophone de livres numériques au regard de l’offre anglophone ; la non-existence ou l’indisponibilité d’une version numérique pour un certain nombre d’ouvrages très utilisés et empruntés en version imprimée dans les bibliothèques académiques ; l’impossibilité de se procurer certains ouvrages autrement que par le biais de la souscription à un bouquet (solution nécessitant un fort investissement de départ et se révélant peu adaptée aux bibliothèques spécialisées) ; la restriction de l’offre de livres numériques due à la faillite de l’agrégateur Dawsonera à l’été 2020 ainsi que les limites présentées par l’outil Prêt numérique en bibliothèque (PNB) pour une utilisation en bibliothèque académique.
Comme l’a ensuite rappelé Mathilde Herrero, la mise en avant de ces lacunes, quant à l’accès aux écrits scientifiques et à la bibliodiversité, accentuées par la pandémie de Covid-19, visait à susciter une prise de conscience et un engagement collectif de la part des éditeurs scientifiques. L’initiative, soutenue par les consortia des bibliothèques académiques suisses et luxembourgeoises, a donné lieu à des réunions menées avec le Syndicat national de l’édition (SNE) qui ont débouché sur une tentative (en cours) d’adapter PNB aux bibliothèques académiques, tandis que les négociateurs Couperin ont, pour leur part, observé l’apparition de nouvelles offres de livres numériques à destination de la sphère académique parmi les éditeurs francophones. L’intervention s’est terminée par une conclusion en forme de transition pour introduire une initiative similaire, s’inscrivant cette fois dans le contexte britannique.
Dans cette intervention, Caroline Ball, bibliothécaire à l’université de Derby (Royaume-Uni), est revenue sur l’appel #ebookSOS, dont elle est l’une des coinstigatrices. Comme dans l’intervention précédente, elle a rappelé les obstacles économiques, technologiques et juridiques freinant l’accès de la communauté académique aux livres numériques, obstacles particulièrement mis en lumière par les confinements liés à la pandémie de Covid-19. L’initiative #ebookSOS, lancée d’abord sur le réseau social Twitter à l’été 2020, visait ainsi à donner davantage de visibilité à ces éléments et à impulser le changement afin de faire évoluer cette situation. Caroline Ball a ensuite présenté les axes d’intervention d’#ebookSOS et évoqué différentes pistes de résolution des problèmes mis en lumière par l’initiative : sollicitation de l’Education Select Committee du Parlement britannique et de la Competition and Markets Authority (Autorité de régulation de la concurrence au Royaume-Uni) ; information sur la situation du marché du livre numérique auprès des étudiants et personnels académiques ; promotion d’une réforme du droit d’auteur afin de se rapprocher du fair use américain et de favoriser la propriété plutôt que le prêt de livres numériques ; encouragement d’une approche critique du développement des collections consistant à être davantage regardant sur les pratiques des éditeurs auprès desquels on se fournit et à ne pas sacrifier l’éthique au pragmatisme ; renforcement de l’unité du secteur académique dans les négociations avec les éditeurs (s’étant notamment traduit par la création d’un groupe de travail incluant le Jisc) et, enfin, développement de solutions alternatives aux modèles traditionnels en recourant à l’Open Access et au Controlled Digital Lending.
Livre électronique et médias enrichis
La journée s’est conclue par une table ronde consacrée à l’articulation entre livres numériques et médias enrichis qui a réuni Baptiste Bouteloup pour le portail Statista, Caroline Ghienne pour l’offre de vidéos documentaires et artistiques Arte Campus d’Arte Éducation, Juliette Laniez et Marie-Delphine Foudriat pour évoquer une offre de podcasts en cours d’élaboration dans le cadre d’un partenariat entre Radio France et la librairie numérique BibliOnDemand, ainsi que Katie Brzustowski de l’université de Bordeaux, pour le jeu vidéo sérieux Subpoena. Pour Dorothée Pain, qui a introduit la séquence, le principal enjeu de cette problématique réside dans le fait que dorénavant, l’ebook en BU se trouve confronté à une concurrence, tant en termes financiers que d’usage, avec d’autres ressources particulièrement plébiscitées par les étudiants.
Les différents intervenants ont dans l’ensemble relativisé cette notion de concurrence, évoquant plutôt le caractère complémentaire de ces médias avec une offre plus traditionnelle d’ebooks. Ainsi, selon Baptiste Bouteloup, si le portail Statista peut concurrencer le livre numérique en termes budgétaires pour les bibliothèques, la ressource présente une complémentarité d’approche avec l’ebook en fournissant des données régulièrement actualisées dans une pluralité de disciplines. Pour Caroline Ghienne, Arte Campus permet de compléter les ressources académiques en rendant possible, par exemple, l’enrichissement des contenus des enseignements grâce à un certain nombre de fonctionnalités (sélection d’extraits de vidéos, possibilité de créer des cartes mentales, etc.). Pour Juliette Laniez et Marie-Delphine Foudriat, l’offre de podcasts, qui vise plutôt les étudiants de premier cycle universitaire, a pour objectif de favoriser l’acquisition de savoirs d’une manière complémentaire à la lecture, par le biais d’un média immersif particulièrement apprécié par les étudiants. Enfin, après avoir effectué un retour d’expérience sur le jeu vidéo sérieux Subpoena, élaboré à destination des bibliothécaires-formateurs, Katie Brzustowski a expliqué que selon elle, la différence entre ce type de ressources et une offre d’ebooks résidait dans le fait qu’un tel jeu vidéo sérieux vise l’acquisition de compétences et savoir-faire en nombre limité, en s’appuyant sur le plaisir du jeu et l’émotion – ce qui peut susciter l’envie, dans un second temps, d’aller chercher de nouvelles connaissances ou compétences.
À l’issue de ces interventions, les échanges avec l’assistance ont notamment porté sur le rôle que les bibliothécaires peuvent être amenés à tenir en matière de curation, de signalement et de valorisation de ce type de médias, se situant entre les champs d’intervention traditionnels des bibliothèques et des services d’ingénierie pédagogique, sur l’implication possible du corps enseignant en matière de promotion de ces ressources au sein de l’université ainsi qu’aux questions de financement et de droits soulevées par ces nouveaux types de médias (rémunération des ayants droit dont les enseignants-chercheurs ayant élaboré certains des contenus présents dans ces ressources, concurrence potentielle avec d’autres offres éducatives comme Eduthèque, etc.).