L’avenir des bibliothèques
L’exemple des bibliothèques universitaires – Journée d’étude ABF-PACA – Aix-en-Provence, 13 octobre 2014
La relation au public
et la politique de services au public
Et si dans dix ans les bibliothèques n’existaient plus ? C’est par cette interrogation que Frédéric Saby, directeur du SID 1 des universités de Grenoble 2 et Grenoble 3, a ouvert sa communication préparée avec Florence Roche, responsable du département du public, qui n’a pu être présente. La distorsion entre les bibliothèques et les pratiques des utilisateurs ne provient pas de l’immobilisme des bibliothécaires qui ont su s’adapter aux différentes évolutions technologiques. Ce sont les pratiques des étudiants qui ont changé comme le montrent le recours massif aux moteurs de recherche mais aussi la chute des prêts de livres depuis une dizaine d’années. Les bibliothèques universitaires ne sont désormais plus ni un relais ni un lieu indispensables à la diffusion de l’information.
L’avenir des bibliothèques se pose de manière d’autant plus cruciale avec la question de l’autonomie des universités. En rendant incontournable la négociation des moyens budgétaires et humains, les responsabilités et compétences élargies ont marqué une véritable inflexion dans les relations avec les instances universitaires. La négociation du budget prévisionnel a permis d’ouvrir une réflexion sur le rôle des bibliothèques qui a notamment abouti à une meilleure reconnaissance de l’expertise des bibliothécaires. Dans un contexte de rareté des ressources publiques, la loi LRU 2 a soulevé la question de l’utilité des services offerts. Pour les instances universitaires, c’est la relation au public qui prime et non le développement des collections. Cette évolution est similaire à celle connue par les bibliothèques territoriales depuis les lois de décentralisation. Il faut passer d’une logique du « just in case » (être centré sur le développement des collections) à une logique du « just in time » (offrir à l’usager ce dont il a besoin au bon moment), comme le souligne Lynda Gadoury, directrice du service des bibliothèques de l’université du Québec à Montréal.
La recherche d’un équilibre entre l’offre et la demande est un enjeu complexe car les collections ont constitué le principal socle d’action des bibliothèques au détriment de la question des publics. Or, le numérique bouleverse la notion même de collection fondée sur l’accumulation et la permanence. La masse numérique est en modification permanente, ce qui met à mal le rôle de « décantation » décrit par Michel Melot dans La sagesse du bibliothécaire. Pour Érasme, la fonction première d’une bibliothèque était de choisir des livres, est-ce encore vrai au regard des faibles marges de manœuvre en matière d’abonnement ? Abandon de la prérogative du choix et fin de la bibliothèque comme représentation d’un savoir immuable sont autant d’indices de la perte de légitimité a priori des bibliothèques.
Les bibliothèques universitaires conservent une fonction symbolique de lieu privilégié du travail. Le développement du concept de Learning Center est en ce sens révélateur. Les bibliothèques doivent affiner la connaissance de leurs publics et s’investir dans l’activité culturelle car elles restent le lieu universitaire le plus fréquenté. Les enjeux en matière de services aux publics reposent en premier lieu sur la formation à la recherche documentaire qui se structure autour de partenariats avec les enseignants chercheurs souvent complexes à mettre en place. Il relève par contre de l’entière responsabilité des bibliothèques de mener une politique d’affectation des moyens dans une optique de just in time afin de développer l’accessibilité des services et de rendre les bâtiments connectés, car le cadre influence les usages, comme le précise le sociologue Christophe Evans.
L’avenir des bibliothèques sera étroitement lié aux évolutions que connaîtra la transmission du savoir à l’université. Aujourd’hui, un travail de recherche universitaire commence dans 99 % des cas par une recherche sur Google et non par une consultation en « salle des références ». Vu que l’information est désormais partout, quelle valeur ajoutée peuvent désormais proposer les bibliothèques ? Si les bibliothèques n’ont certes plus l’exclusivité de l’accès aux ressources ni même le monopole de leur conservation, elles ont encore des territoires à conquérir, comme en matière de construction collective des connaissances (Wikipedia entre autres). Il appartient également aux bibliothèques de s’impliquer dans les projets menés dans le domaine de l’open access, en partenariat avec les équipes de recherche. Les enseignants chercheurs ont besoin des ressources techniques mais également de l’expertise scientifique des bibliothécaires. C’est à l’aune de ces mutations que doivent être pensés les parcours professionnels en bibliothèque.
Retours d’expériences sur les Learning Centers :
un concept unique pour des projets divers
À l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines, la construction d’un Learning Center a permis de faire de la BU de Versailles un service cœur de campus. Marie-Estelle Créhalet, responsable des bibliothèques de Versailles et des Pôles technologiques, a fait ressortir les idées-forces qui ont présidé à la conception du projet et qui sont aujourd’hui les points forts de la bibliothèque en fonctionnement.
La qualité de la conception architecturale est indéniablement le premier atout de ce Learning Center : fondu dans son environnement, le bâtiment inspire « quiétude et élégance », identité voulue par les architectes du cabinet Badia-Berger. Les choix d’aménagement intérieur déclinent eux aussi cette identité : espaces « lounge », signalétique minimaliste, plateaux suspendus… Les exigences de la haute qualité environnementale (HQE) n’ont pas été oubliées, avec notamment un traitement très réussi de la cible de confort visuel.
Dans ce bel écrin se déploie une politique de services à l’usager innovante. Citons la grande variété des places assises offertes aux lecteurs : à chaque envie son ambiance de travail, lounge, collective, individuelle, connectée, assise ou couchée… Aux postes d’accueil, la disponibilité du personnel est favorisée par la présence d’automates de prêts. L’espace « BUvette » joue pleinement la carte de la convivialité avec possibilité offerte aux lecteurs de venir lire une BD ou de voir une expo tout en s’offrant un café. Dernière réalisation en date : le prêt d’ordinateurs portables par la BU, plus exactement de « cartables numériques », service innovant non en lui-même mais parce qu’il donne corps au projet d’une équipe pédagogique de mettre à disposition des étudiants un même environnement logiciel pour leur travail universitaire.
La politique de formation des usagers, quant à elle, ne se cantonne pas à la salle dédiée à cet effet mais se déploie sur les plateaux de lecture, en salle de tutorat ou en salles TV. Cette ouverture à de nouvelles pratiques de formation s’illustre également dans le programme des ateliers de la BU, vitrine de la collaboration inter-services en œuvre à la bibliothèque : ateliers sur les métiers par la conseillère d’orientation ; formation aux outils numériques par un informaticien de la DSI ; ateliers sur la gestion du stress et la réussite aux examens par l’infirmière du campus…
Autre expérience, cette fois relatée par Laurent Brassard, enseignant-chercheur en histoire, en charge du volet scientifique du projet de Learning Center Égyptologie/Archéologie/SHS de l’université de Lille 3.
La particularité première de ce projet réside dans le fait qu’il est porté par le conseil régional Nord-Pas-de-Calais, qui entend amorcer la troisième révolution industrielle dans la région par une réalisation à caractère économique et social, mettant la connaissance au service du territoire.
Ainsi le volet scientifique du Learning Center de Lille 3, déjà en œuvre, se veut une vitrine de la recherche menée à l’université sans pour autant s’adresser uniquement à un public de niveau universitaire. La programmation culturelle s’est jusqu’à présent appuyée sur deux disciplines d’importance à l’université de Lille 3, l’archéologie et l’égyptologie, privilégiées également pour leur caractère attractif vis-à-vis du grand public. La programmation se poursuivra en fonction des résultats des appels à projets lancés par le comité de pilotage scientifique du Learning Center. Les expositions présentées s’accompagnent systématiquement d’opérations de médiation scientifique et de formation, donnent lieu à des expérimentations de dispositifs numériques d’apprentissage et à une réflexion sur la valorisation des contenus produits (web documentaire, exposition virtuelle…). L’accès à la connaissance, la démocratisation des savoirs et l’innovation pédagogique sont ainsi au cœur du projet de ce Learning Center et étroitement corrélés à l’activité de recherche de l’université.
Quant à la documentation, second volet du projet, elle accompagne déjà la programmation scientifique et culturelle mais ne deviendra partie intégrante du Learning Center qu’une fois livré le bâtiment rénové de l’actuelle BU à Villeneuve-d’Ascq. Son emplacement, à la fois central sur le forum de l’université et à proximité de la ville favorisera lui aussi l’ouverture du Learning Center à tous les publics. Dans son ensemble, le projet de bibliothèque du Learning Center de Lille 3 reste encore à découvrir mais quelques pistes ont été dévoilées, comme celle de créer des correspondants en documentation, spécialisés dans certaines disciplines, qui partageraient leur temps entre la bibliothèque et le laboratoire de recherche pour un meilleur dialogue entre les deux structures.
« Échanger, éduquer, expérimenter » : tel est le slogan du futur Learning Center du campus Sophia Tech, université de Nice, présenté par son chef de projet, Christophe Robert. Inspiré du « Hub » de l’école Euromed Management de Marseille, le projet fait la part belle aux technologies dans un environnement de travail original et modulable. Sur deux niveaux (en sous-sol), le Learning Center de Sophia Tech proposera, entre autres, un espace show-room/expositions, un espace entreprises, un espace de « coworking » modulable accompagné d’un « cosy corner », un espace café, un bureau de renseignement. Peu d’ordinateurs fixes sont prévus, mais des portables seront prêtés. Des casiers connectés et sécurisés permettront de laisser son ordinateur à charger. Des écrans télé feront partie intégrante du décor, diffusant les informations du campus et des partenaires. Sans oublier le « fil de la connaissance », enchaînement de cloisons mobiles et connectées, qui traversera l’espace. La documentation imprimée s’offre la part congrue : seuls 3 500 documents seront proposés, ce qui se justifie par les cursus et publics desservis.
La politique de formation dépasse l’offre habituelle proposée en BU. Le volet « Technologie de l’information » entend favoriser l’appropriation de la connaissance par de la formation au Mind Mapping, à la prise de notes, aux outils de mémorisation et de travail partagé. Le volet « Entreprises, insertion professionnelle » recouvre quant à lui des ateliers d’autoscopie, des petits-déjeuners d’entreprises, des formations aux réseaux sociaux professionnels.
Le projet de Learning Center de Sophia Tech fait sauter au passage quelques verrous : le public pourra boire et manger en travaillant, l’avachissement sera parfaitement toléré, de même que le « travardage », ce mixte entre travail et bavardage qui, quoi qu’on en pense, fait désormais partie intégrante de l’activité d’une BU. La liste n’est pas limitative : en effet le Learning Center de Sophia Tech, qui ouvrira ses portes en janvier 2015, entend rester ouvert aux potentiels nouveaux usages qui contribueront à construire son identité.