« L’arrière-boutique de l’UX Design : quelle intégration dans les organisations ? »
Retour sur les journées d’étude ADBU des 18 et 19 novembre 2024 à Lille
On connaît désormais bien les méthodes d’UX Design 1
(User eXperience) qui se diffusent dans les bibliothèques françaises depuis une dizaine d’années. La commission Métiers et Compétences de l’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires et de la documentation (ADBU) a souhaité aller plus loin et déplacer la focale lors de ces journées d’étude : s’attacher, non pas aux méthodes UX elles-mêmes, mais aux conséquences de ces méthodes sur les bibliothèques. De riches et variés retours d’expériences ont permis de mesurer les avancées de l’UX, et de mettre en avant les enjeux, les difficultés et les réussites dans l’appropriation de ces méthodes.Vous avez dit UX ?
Les intervenant·es ont témoigné de la variété des approches, mais aussi des termes : nous avons entendu parler d’UX, de démarches participatives, de coconstruction, de design, d’enquête, ou encore de nudge management (incitation douce). Ces approches ne se recoupent pas tout à fait et sont complémentaires. Si l’UX est une méthode spécifique avec ses outils propres, contrairement à la démarche participative, les retours ont mis en avant tantôt le design et le prototypage, tantôt des techniques d’intelligence collective.
L’UX et l’approche orientée usagers ont très souvent été utilisées pour des projets d’aménagement et d’espace (comme à la Direction des bibliothèques et des archives de l’université de Tours, qui a conduit des projets financés par la Contribution à la vie étudiante et de campus [CVEC] pour cinq bibliothèques universitaires du réseau, les différenciant ainsi les unes des autres en répondant aux besoins spécifiques des usagers), mais pas seulement : les bibliothèques de l’Université Jean Moulin Lyon 3 ont amélioré la médiation sur leurs collections, ou le service commun de documentation (SCD) de l’Université de Lille a travaillé sur l’événementiel et la programmation culturelle du Learning center Lilliad.
Réseaux et prestataires extérieurs
Plusieurs intervenant·es ont souligné l’utilité de recourir à des réseaux ou à des prestataires extérieurs. Ainsi, la Métropole européenne de Lille (MEL) et le SCD de l’Université de Lille ont tiré profit du fait que Lille était la capitale mondiale du design en 2019 pour travailler avec des designers sur les processus de conception et d’idéation. La bibliothèque départementale de la Marne a également fait appel à un cabinet pour apporter une méthode de travail et avancer dans des délais courts. Le recours à ces prestataires a apporté une légitimité extérieure et a encouragé les bibliothécaires qui ne se sentaient pas à même de se lancer dans une démarche UX tout seuls.
Les bibliothécaires ont aussi échangé avec leurs réseaux professionnels. Une équipe de l’Université Jean Moulin Lyon 3 a démarré son projet UX juste après avoir participé aux journées BUApro organisées par les bibliothèques universitaires (BU) d’Angers. Ces journées d’expérimentation des outils UX sont organisées depuis 2016. Elles ont permis de diffuser l’UX au sein de la communauté, et d’apporter beaucoup de matériaux aux équipes d’Angers.
Au-delà des bibliothèques, les intervenant·es nous ont encouragé·es à partager les démarches UX au sein de nos institutions et territoires, auprès d’autres directions ou services. Embarquer plus largement que notre périmètre est une chance pour pérenniser les démarches. Les problématiques en bibliothèque ne sont pas uniques dans les politiques publiques, ce qui invite à croiser les expériences avec d’autres services publics.
Faire de l’UX en interne : les personnels comme usagers
Les retours d’expériences présentés ont parfois aussi montré comment utiliser les méthodes UX en interne. Ainsi, la bibliothèque départementale de la Marne a fait de la coconstruction avec les agents du réseau pour imaginer la suite du service de bibliobus. Une démarche participative similaire a été mise en œuvre à la MEL, qui regroupe 125 bibliothèques : en 2021, les « Défis Bibli » ont été l’occasion d’améliorer les services aux usagers et d’échanger sur les pratiques. Ces deux projets ont été fédérateurs et ont permis de faire réseau pour ces bibliothèques, tout en améliorant les services rendus aux usagers.
Au Luxembourg Learning Centre (LLC), Julie Willems a également utilisé les méthodes UX pour organiser le cadre de travail et les espaces d’accueil. L’utilisateur était alors l’équipe de service public. L’Aérothèque Marie Marvingt de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-SUPAERO) de Toulouse a intégré du design thinking dans la gestion de l’équipe et les services : le format des réunions de service a été complètement repensé pour être plus efficace dans la résolution des problèmes. Ces deux expériences ont aussi été fédératrices et ont renforcé la capacité à travailler ensemble des équipes, les rendant plus proactives.
L’impact de l’UX sur les équipes et les organisations
La cohésion d’équipe renforcée par ces méthodes participatives a été maintes fois soulignée. Ces méthodes ont aussi transformé le regard des étudiant·es sur les personnels et réciproquement. Elles ont redonné confiance aux bibliothécaires dans leur capacité à faire des choses et évoluer, face à des étudiant·es qui se renouvellent très vite. Même si les équipes ont dû accepter de mettre leurs repères de côté, car les comportements évoluent sans cesse et doivent être réinterrogés fréquemment. De nouvelles méthodes de travail se sont installées, avec le droit à l’erreur (faire des prototypes qui évoluent), et des prises de décision collégiales.
Et dans les organigrammes et les fiches de postes ? On rencontre dans certains organigrammes des chargé·es de mission ou des cellules UX. Dans d’autres cas, la reconnaissance de compétences UX peut se matérialiser dans les fiches de postes ou dans les comptes rendus d’entretiens professionnels.
Formations et compétences
Un des leviers importants pour inscrire durablement l’UX dans les bibliothèques est la formation. Le Centre de formation aux carrières des bibliothèques (CFCB) Bretagne - Pays de la Loire a souligné l’importance des échanges entre bibliothèques universitaires et territoriales, pour s’extraire de son établissement et partager des retours d’expériences. Un besoin récent est apparu concernant des stages en interne sur l’UX.
Dans les structures de taille importante, la formation des agents s’est faite de manière progressive, soit en ciblant d’abord les cadres, soit en formant une partie des agents toutes catégories confondues. Dans les bibliothèques plus petites, les équipes ont pu être plus largement formées à ces méthodes.
Difficultés rencontrées dans la mise en pratique des méthodes UX
Les intervenant·es ont souligné le risque de parfois dévoyer ces outils : la démarche UX peut très vite se cantonner à une démarche interne d’accompagnement du changement, avec le risque que cela n’arrive pas jusqu’aux usagers. Le manque de temps peut aussi mener à une forme d’impatience, à l’envie de trouver tout de suite une solution sans réellement solliciter les publics.
On a tendance à considérer les outils UX comme des solutions rapides et légères, mais il ne faut pas négliger les aspects énergivores et chronophages de leur utilisation, pour former les équipes, et mobiliser l’ensemble des agents, au-delà du groupe projet, et entretenir la dynamique. Il est par ailleurs impossible d’embarquer tout le monde dès le départ.
Une autre difficulté signalée concerne la mobilisation des usagers dans les dispositifs : le recrutement des étudiant·es demande aux bibliothécaires d’être disponibles sur leurs horaires et d’utiliser leurs outils. La constitution de la Communauté des usagers de la Bibliothèque nationale de France (BnF) n’a pas été simple : ils ont envoyé un très grand nombre d’emails et ont mené plusieurs étapes de sélection afin de constituer leur communauté avec les profils souhaités.
Comment installer l’UX durablement ?
Pour faire face à ces difficultés et acculturer les équipes à l’UX, plusieurs conseils ont été donnés. Des outils de communication interne permettent de renforcer cette acculturation, de faire connaître les outils utilisés ou créés par les designers et de faciliter ainsi leur réappropriation sur d’autres projets.
Une des clés de l’appropriation est d’entretenir la dynamique et d’installer durablement la démarche UX : pour cela, il faut veiller à avoir toujours un projet d’avance, en veillant néanmoins à ne pas épuiser les équipes.
On peut miser sur l’accompagnement par les cellules ou missions transverses, comme à Paris-Saclay ou à la MEL, mais sans faire à la place des cadres et des équipes, qui portent les projets. Et confier le pilotage de groupes de travail à des magasiniers, comme cela a été fait à l’université Lyon 3, permet aussi de renforcer l’appropriation et la mobilisation des équipes.
Il est aussi nécessaire de bien cadrer le projet, en se posant plusieurs questions : le projet est-il sensible au sein de l’équipe, ou risqué pour la direction ? Il importe d’être très clair sur l’espace de liberté pour les usagers en amont, pour ne pas créer de frustration, car on sait qu’ils ne demanderont pas forcément ce à quoi on a pensé.
Ces riches retours d’expériences ont pu montrer que l’UX s’installe dans les organisations de toutes les tailles. Si l’on tâtonne encore parfois, on expérimente dans l’esprit de l’UX, et les partages au sein de la communauté professionnelle sont l’occasion d’échanger des astuces et de mesurer les progrès accomplis. Les bibliothèques territoriales et universitaires partagent cette ambition d’associer les usagers à leurs évolutions et d’accompagner leurs personnels dans cette démarche UX.