L’accueil des publics migrants en bibliothèque
16 juin 2016 – Musée national de l’histoire de l’immigration (Palais de la Porte dorée)
Le 16 juin, s’est tenue une journée d’étude sur l’accueil des publics migrants en bibliothèque, elle était organisée par la Bibliothèque publique d’information, l’association Bibliothèques en Seine Saint-Denis et le Musée national de l’histoire de l’immigration. La salle était comble avec plus de 180 personnes présentes. L’introduction d’Yvan Gastaut a permis de placer le migrant dans une perspective historique. L‘immigration commence avec les débuts de la révolution industrielle, les étrangers sont frontaliers ou issus de régions, ainsi Auvergnats ou Bretons s’organisent en quartiers et métiers à Paris. Les trente glorieuses (1945-1975) sont marquées par l’immigration arabe ; le travailleur maghrébin vient en France pour une période pensée comme transitoire par les gouvernements mais aussi par les immigrés, ce n’est que dans les années 80 que leurs enfants réclament l’intégration. Actuellement, les réfugiés sont la proie d’un contexte international agité, comme le présente Emile Guillemain, adjointe à la délégation nationale en Ile de France de la Cimade, association née en 1939, fondée par des protestants pour accueillir des personnes déplacées. La Cimade accompagne les étrangers dans leurs démarches et défend leurs droits, elle est aussi force de propositions. Le parcours d’un demandeur d’asile suit tout un long parcours administratif, 70% des demandes sont déboutées. La gestion de l’immigration est pilotée par le contrôle et la suspicion. Après cette présentation historique et juridique, une première table ronde animée par Marie Poinsot, de la revue Hommes et migrations, a développé le thème des cultures d’origine. Barbara Abdelilah Bauer, linguiste et psychosociologue, rappelle que la France est un pays monolingue et que la pratique du Français est inscrite dans la Constitution depuis 1992, selon l’article deux « La langue de la République est le français ». Elle insiste sur la reconnaissance de la langue et de la culture d’origine, elles sont constituantes de l’identité, elles favorisent l’estime de soi et les apprentissages scolaires. Le bilinguisme est un atout pour une intégration réussie. Naïma Yahi, de l’association Pangée Network présente l’étude Intermed sur la médiation interculturelle, elle propose un ensemble de préconisations : travailler sur le temps long, collaborer avec des partenaires sociaux, sensibiliser les agents d’accueil, développer les compétences de médiation. Une démarche classique mais qui n’est pas encore opérationnelle dans de nombreux lieux culturels. Pour conclure cette table ronde, un exemple concret vient illustrer la prise en compte des diversités culturelles avec la médiathèque Ulysse, du réseau de la Communauté d'agglomération Plaine commune, soit 400 000 habitants, 134 nationalités, 29% d’étrangers. Elle programme une variété d’actions, par exemple, des flyers de présentation des services en 6 langues ou des collections en langues d’origine, un groupe de travail se coordonne au niveau du réseau pour mener cette politique volontariste. L’apprentissage du français est un enjeu crucial pour les primo-arrivants. De nombreux établissements proposent des ateliers de conversation, les bibliothécaires ne donnent pas des cours de français mais animent une prise de parole entre des personnes. Les situations et les niveaux sont variés comme le montre la web-série D'une rive à l'autre, issue d’une correspondance vidéo entre deux groupes d'adultes apprenant le français langue étrangère, l'un à la Bpi (Paris) et l'autre à BAnQ (Montréal) ; elle leur a permis d’échanger et de comparer les expériences culturelles, sociales et linguistiques qu'ils vivent dans leur pays d’accueil 1. Lola Mirabail, responsable du département des services au public la bibliothèque de l’Université de Paris 8, a présenté une synthèse de son mémoire de conservateur Enssib sur L’accueil des primo-arrivants dans les bibliothèques françaises 2. 26% des établissements des villes de plus de 30 000 habitants et des Bdp mettent en place des dispositifs d’accueil, surtout des collections spécifiques et des services. Les documents en langue d’origine sont rares et l’apprentissage du français est privilégié. Effectivement, les bibliothèques peuvent avoir un rôle complémentaire aux organismes de formation, le contrat d’intégration républicain, qui concerne tout étranger admis au séjour en France, l’oblige à suivre 200 heures de cours de français. Mais l’identification des publics reste complexe, le refus des communautarismes, allié à une vision globale des politiques de lecture publique rend ces programmes balbutiants, peu intégrés dans une perspective à long terme. Evidemment, les exemples étrangers sont intéressants, comme le programme pour Nouveaux américains de la bibliothèque du Queens à New York. Il est réalisé en partenariat étroit avec les organismes communautaires afin d'évaluer les besoins et développe, entre autres, des collections en 25 langues étrangères ou propose des ateliers sur la vie quotidienne. La synthèse de la journée est réalisée par Luc Gruson, chargé par le ministère de la Culture et de la Communication d’un rapport sur la dimension culturelle et politique de l’accueil des migrants. Il est urgent de remédier à la haine qui s’insinue en France dans les relations inter communautaires. Les bibliothèques sont une porte d’entrée à cette culture partagée. Pour améliorer leur financement, elles peuvent s’investir dans l’appel à propositions Europe créative où le dialogue interculturel est une priorité. Si le doute persiste sur la nécessité d’agir dans ce domaine, il faut alors regarder le film Portraits de migrants à la bibliothèque, réalisé par Dominique Tabah et Juliette Angotti.