Journées BNR 2016

Médiathèque Kateb Yacine, Grenoble – 1er décembre 2016

Béatrice Michel

L’édition 2016 des Journées nationales des Bibliothèques numériques de référence (BNR) a été organisée les 1 et 2 décembre derniers par le ministère de la Culture et de la Communication, les bibliothèques municipales de Grenoble et Lyon, avec le concours de l’Arald. La première journée, qui se tenait à Grenoble à la médiathèque Kateb Yacine, était consacrée à l'actualité des projets, tandis que la seconde, à Lyon, abordait les perspectives du programme BNR.

Après de chaleureux remerciements aux différents organisateurs de ces journées, Laurine Arnould (chargée de mission Bibliothèques numériques au Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture et de la communication) présentait succinctement le programme « Bibliothèques numériques de référence », de sa naissance en 2010 jusqu’à aujourd’hui.

Historique du projet BNR

En 2009, le rapport « Investir pour l’avenir » invite au lancement d’un vaste programme national piloté par le Commissariat général à l’investissement : un fonds de deux milliards d’euros est consacré aux « usages et contenus numériques innovants ».

La même année, le Conseil du livre publie le schéma numérique des bibliothèques. Il constate un retard des bibliothèques territoriales (éparpillement des initiatives de numérisation patrimoniale, difficultés à développer des bibliothèques numériques et à les valoriser, retard par rapport aux bibliothèques universitaires en matière de livre numérique) et émet onze recommandations visant à accélérer le développement numérique des bibliothèques.

En janvier 2010, la publication du Rapport Tessier sur la numérisation du patrimoine écrit (remis à Frédéric Mitterrand) invite à accentuer la visibilité sur le web des collections patrimoniales des bibliothèques françaises, grâce à une politique d’envergure portée par Gallica.

En mars 2010, le ministère de la Culture présente quatorze propositions pour la lecture. Il souhaite créer cinq bibliothèques numériques de référence capables de constituer des collections numérisées de premier plan. Pour financer ce programme, il étend les modalités de financement de l’équipement informatique sur les thématiques numériques par le biais de la dotation globale de décentralisation (DGD) et met des conservateurs d’État à disposition des bibliothèques territoriales pour prendre en charge ces projets.

Laurine Arnould rappelle que si le programme BNR a commencé avec cinq lieux, ce sont aujourd’hui 26 lieux qui sont labellisés, dont six en Rhône-Alpes. L’Etat prend part au financement de ces projets à hauteur de 50 à 60 %. Le panel des projets s'est élargi : cela va de l’aménagement physique des lieux aux acquisitions, en passant par des programmes de numérisation ou de médiation numérique.

Les nouveaux entrants 2016 dans le programme BNR

Le projet BNR de la médiathèque départementale de la Drôme soutenu par le département par l'intermédiaire du Pôle numérique s'est construit autour de 3 axes :

- les ressources numériques ;
- la mise en place d’espaces numériques et d'outils spécifiques (bibliothèques numériques nomades et fablab local) ;
- la médiation numérique.

Le projet numérique du réseau Valence-Romans Sud Rhône-Alpes se décline en plusieurs points :

- le déploiement du portail des médiathèques Valence-Romans avec une production de contenus à valeur ajoutée, des entrées thématiques (cinéma, musique, livres), une mise à niveau RGAA, le développement de versions mobiles, l'offre de nouveaux services à distance (exemple: Eurekoi) ;
- un portail jeunesse à destination des familles du territoire ;
- des espaces numériques pensés comme des lieux d’acculturation numérique, où la culture vidéoludique est valorisée ;
- l'accompagnement des usagers sur les dispositifs nomades ;
- la création d'une bibliothèque numérique patrimoniale en l’axant sur la médiation (Flickr, Wikimedia Commons) ;
- le développement de la culture numérique des professionnels.

Pour sa part, la médiathèque départementale de la Loire a constaté que, même si elles étaient présentées aux bénévoles, les ressources numériques ne parvenaient pas jusqu'aux publics. Elle a donc choisi d'offrir une médiation directe « hors les murs ». Dans le cadre du projet numérique Quai 42, un music bus a été reconverti en numéribus, dans un esprit fablab. Le numérique est pensé comme un moyen de favoriser l’inclusion des publics éloignés via divers partenariats (classes ULIS, foyers de migrants, etc.).

Enfin, la Bibliothèque municipale de Nantes a rapidement présenté les grandes lignes de son projet, soulignant qu'il présentait de grandes similitudes avec ceux des nouveaux entrants de 2016. Comme ces derniers, la ville de Nantes souhaite faire de sa bibliothèque un lieu innovant, anticiper les changements et développer de nouveaux services aux usagers.

Les quatre nouveaux entrants mettent unanimement la formation des personnels et des bénévoles au cœur des enjeux. L'appui de la direction des services d'information est aussi jugé primordial car l’équipement numérique doit s'adosser à un bon équipement technique (hotspots WiFi, bande passante adéquate, PC portables et tablettes en nombre suffisant).

Premier bilan du dispositif national de bibliothèques numériques de référence

Isabelle Duquenne (inspectrice à l’IGB) présente le rapport « Premier bilan du dispositif national des bibliothèques numériques de référence » qu'elle vient de remettre à la ministre de la Culture et de la Communication. Elle rappelle qu'à ses débuts, le programme BNR était axé sur le développement de bibliothèques numériques patrimoniales, le financement se faisant par le concours particulier, avec une réorientation des conservateurs d’Etat.

Cinq critères sont à remplir pour recevoir le label BNR :

- disposer d'une infrastructure informatique de haute qualité ;
- être interopérable ;
- disposer d'un personnel qualifié ;
- proposer un plan de développement pluriannuel ;
- prendre en compte le schéma numérique des bibliothèques.

Elle souligne que le cadre se voulait volontairement souple tout en détaillant les points saillants du dispositif BNR, à savoir :

- un soutien financier incitatif ;
- une accélération de la modernisation des bibliothèques et de leur conversion au numérique ;
- un programme structurant pour l’aménagement numérique et culturel du territoire ;
- l'émergence de projets d’envergure avec une visibilité régionale et nationale ;
- l'attribution d’un label national.

Le programme est un succès : quinze conservateurs ont été mis à disposition et le label BNR est devenu un catalyseur du changement organisationnel et de l'évolution des métiers. Un chiffre est à retenir : la Dotation Générale de Décentralisation offre une subvention moyenne de 500 000 € par BNR.

Isabelle Duquenne apporte toutefois quelques nuances : beaucoup d'actions sont financées par le projet BNR et les projets sont très hétérogènes. Elle rappelle que le programme BNR doit comporter trois volets :

- un volet scientifique : il concerne la numérisation de fonds patrimoniaux et leur valorisation, avec la BnF comme partenaire privilégiée ;
- un volet culturel : il s'agit de proposer des sélections de contenus numériques, des animations, des fêtes numériques avec en toile de fond le développement de la créativité et de l’action collaborative avec le public ;
- un volet social : l'accent doit être mis sur la formation tout au long de la vie, l'éducation au numérique, l'aide à la recherche d’emploi avec pour objectif le développement des publics (toutes catégories d'usagers mais avec une attention particulière donnée aux publics éloignés de la culture).

Pour l'avenir, une meilleure répartition régionale est attendue car actuellement de nombreuses zones blanches sont à déplorer. La priorité sera donnée aux BMC et BDP ainsi qu’aux villes de plus de 20 000 habitants. Un programme BNR2 est déjà lancé, les villes de Rennes et de Grenoble sont déjà sur les rangs.

Enfin, se pose la question du label, qui, s'il peut apporter une réelle plus-value aux yeux des collectivités, a tendance à perdre de son sens à mesure que les bibliothèques labellisées se multiplient.

La conclusion est effectuée par Nicolas Georges (directeur chargé du livre et de la lecture). Des travaux sont actuellement en cours, notamment une adaptation du droit au niveau européen, pour étendre l’exception en bibliothèque. D'autres chantiers sont aussi évoqués : ceux concernant l’open access, le data mining ainsi que le prêt numérique.

Il annonce la future suppression des BMVR dans le code du patrimoine, ce programme étant achevé : le label BNR prendra-t-il sa place ? La question est posée et en attendant, le ministère souhaite réorienter les conservateurs d'Etat mis à disposition vers les BNR, l'Enssib assurant la formation des conservateurs en charge des projets numériques.

Le programme d’innovation des BNR a permis aux bibliothèques municipales de se positionner dans leurs collectivités, cependant une bibliothèque numérique coûte plus cher d’années en années, il faudrait donc s'orienter vers une mutualisation des coûts, en particulier en matière d’innovation.

Le projet BNR est une réussite, toutefois des progrès sont attendus : une meilleure structuration notamment. En effet, on ne comptait au début que cinq BNR, pour 26 aujourd’hui : ces bibliothèques se ressemblent-elles ? Ont-elles le même impact sur la population ? Le calibrage du terme « référence » doit être redéfini : faut-il créer une hiérarchie ? La création d'un groupe de réflexion est en cours.

Forum des projets

Après le déjeuner, chacun était invité à déambuler dans la médiathèque où des participants aux journées présentaient succinctement un aspect de leur projet :

- Vu(es) d’ici, un service de vidéo à la demande dédié aux réalisateurs locaux grenoblois proposé par la bibliothèque municipale de Grenoble.
- Le labo² du Carré d’art à Nîmes, dont l’objectif est de favoriser l’émergence de nouveaux usages du numérique en s'appuyant sur les publics de la bibliothèque et sur la créativité d’acteurs venant d’univers professionnels différents : artistes, développeurs, associations, entreprises, professionnels des secteurs culturels et éducatifs.
- Le café numérique des bibliothèques de Nancy : temps de formation organisé en interne chaque semaine, moment convivial durant lequel les participants exposent leurs difficultés, présentent des idées, projets, retours d’expérience et expérimentent de nouveaux outils informatiques.
- La base de données Kibini, développée en interne par la médiathèque de Roubaix, permet de centraliser et transformer les statistiques produites par chaque service afin de leur donner la forme attendue par les diverses tutelles.
- Le futur portail des médiathèques de Rennes métropole, (BM Rennes).
- Le numérique pour favoriser l’inclusion des publics éloignés (BDP Loire).
- Les parcours thématiques au sein des ressources numériques (médiathèques Valence-Romans).
- La presse ancienne accessible : une expérimentation numérique de l’Arald.

Présentation et bilan du projet BNR Grenoble

Guillaume Hatt explique que le projet BNR a permis une mise à niveau des équipements informatiques et numériques, l’achat de nouvelles ressources, l’accompagnement des équipes, l’évolution du catalogue et de CinéVOD, la valorisation du patrimoine, et la mise en place de nouvelles interfaces (Bibook et la Numothèque).

Pour Numothèque, le choix a été fait de passer deux marchés séparés : un pour le moteur de recherche et un pour l’interface, ce qui a permis lors de l’appel d’offres d’échapper aux entreprises traditionnelles du secteur des bibliothèques pour susciter des réponses d’entreprises plus innovantes.

Depuis l'ouverture de Numothèque en octobre 2016, ce sont les collections patrimoniales qui sont les plus consultées.

Les usages du livre numérique

Une enquête sur les dispositifs et les usages du livre, du numérique, du livre numérique a été réalisée dans les bibliothèques grenobloises. Olivier Zerbib (maître de conférences en sociologie à l’université Grenoble-Alpes) rappelle que la bibliothèque est un équipement culturel qui « résiste bien » et dont la fréquentation est comparable à celle d'un cinéma. L'enquête invalide l’idée selon laquelle les digital natives maîtriseraient les supports numériques alors que les seniors seraient en difficulté. On constate aussi une tendance à l'éclectisme culturel et une remise en cause partielle de la suprématie de la lecture dans les pratiques des Français. Nous vivons un moment de passage d’une économie de la connaissance dominée par la rareté des informations, à des modèles dans lesquels l’information est surabondante. Les figures sociales de l’expertise changent avec la montée des « pro-ams » et de nouveaux intermédiaires culturels.

L'enquête montre une continuité des usages et des publics entre les salles de lecture et les plateformes en ligne ; il faut fréquenter la bibliothèque pour connaître l'existence de Bibook.

Innover implique un questionnement : quelle est cette expérience particulière qu’offre la bibliothèque ? Quels dispositifs de captation des pratiques en ligne ou hors-ligne ? Qu’est-ce qui fait pousser les portes d’une bibliothèque actuellement ?

Olivier Zerbib propose quelques pistes :

- réinventer des formes de médiation entre les dispositifs architecturaux et numériques en rematérialisant les collections numériques dans l'espace physique ;
- offrir une expérience « bibliothèque » sur les plateformes numériques, par exemple, au lieu du « vous aimerez aussi » d’Amazon, proposer peut être « vous détesterez » ou « si vous aviez dix ans de plus vous aimeriez… » ;
- développer une littératie numérique, permettre de comprendre le fonctionnement et les effets des algorithmes ;
- réinventer les modèles de lecture, définir un bien commun de la lecture publique en régime numérique ;
- garder à l'esprit les missions du service public ; pour toucher de nouveaux publics, chercher des alliés dans les secteurs éloignés des bibliothèques.

La bibliothèque offre un espace public calme, cette absence de sur-sollicitation est singulièrement un atout. Par ailleurs, la bibliothèque donne au lecteur une ouverture en le mettant en contact avec des sujets ou supports qui ne l'intéressent pas au premier abord (par exemple le secteur enfant quand on est adulte), soit l'exact inverse d'Amazon.