Journées ABES 2015 : Transition, transitions
27-28 mai 2015
C’est sous un soleil radieux que le Corum de Montpellier accueillait les journées ABES 2015 1 les 27 et 28 mai derniers. Avec plus de 400 participants, le record d’inscrits de 2014 pour les 20 ans de l’Agence n’a pas été battu, mais la forte affluence montre bien l’importance de cet évènement pour les professionnels des bibliothèques universitaires et de l’IST.
Comme lors des éditions précédentes, l’ABES a démontré sa volonté d’ouverture à l’international. Cette année, les conférenciers invités étaient Dominic Oldman, directeur du Research Space au British Museum, et Renate Behrens, de la Deutsche Nationalbibliothek (DNB), responsable du projet d’implémentation du code de catalogage RDA dans les pays germanophones.
La conférence inaugurale, au titre un peu énigmatique « Patrimoine culturel et savoirs collaboratifs dans un monde numérique ouvert », abordait principalement l’utilisation du modèle conceptuel CIDOC CRM, conçu pour décrire les collections muséales. En se référant aux typologies du passé, notamment celles des cabinets de curiosité, Dominic Oldman a montré tout l’intérêt de CRM, modèle centré autour du concept d’évènement, en particulier pour sa capacité à produire des liens entre objets et collections disséminés, à créer de la connaissance et à faire converger des métadonnées hétérogènes. Notons que CRM suscite, depuis plus de quinze ans, un vif intérêt de la communauté des bibliothèques, soucieuse d’interopérabilité sémantique avec les collections muséales : ainsi, le modèle FRBR00 (orienté objet), auquel s’intéressent beaucoup les agences bibliographiques françaises ABES et BnF, est-il une extension du modèle CRM.
Dans un français impeccable, Renate Behrens nous a présenté un exemple réussi de coopération internationale en matière de normalisation documentaire.
Ce projet d’implémentation de RDA, piloté par la DNB, a démarré en 2012 et devrait se terminer fin 2015, début 2016. Il repose sur une communauté germanophone d’utilisateurs : Allemagne, Autriche, Suisse alémanique (D-A-CH). Les 16 partenaires du projet ont décidé ensemble de passer à RDA en s’appuyant sur un comité de normalisation déjà existant ainsi que sur des groupes de travail techniques. Ont notamment été réalisés en commun : un profil d’application RDA détaillé, en allemand, pour les notices bibliographiques et les autorités, la négociation d’une licence consortiale avec l’ALA pour l’accès au RDA-toolkit en ligne et la mise en place d’un programme de formation important (2 000 à 3 000 personnes à former). Si certaines institutions comme la DNB ont déjà commencé à cataloguer en RDA, l’ensemble des partenaires devrait suivre d’ici à fin 2016.
« Si (à l’heure du numérique) vous devez cataloguer ce document, c’est que quelqu’un, en amont, n’a pas fait son travail .»C’est par cette phrase un brin provocatrice, que le directeur de l’ABES débutait son intervention, rappelant à l’auditoire la fin annoncée du catalogage par les bibliothèques et l’avènement du « cata-liage », entendez enrichissement des métadonnées, notamment celles fournies par les éditeurs. Jérôme Kalfon avait intitulé sa présentation générale « Transition, transitions », soulignant ainsi la période charnière que vivent l’ABES et ses réseaux dans l’attente de nouveaux outils et de nouveaux services : nouveau Sudoc, nouvelles normes de catalogage, nouvelle répartition du travail et SGB mutualisé… dont il sera d’ailleurs assez peu question lors de ces journées afin de respecter la procédure d’appel d’offres en cours.
Première nouveauté de ces journées ABES, les traditionnelles interventions « stratégiques » avaient pris la forme d’une table ronde, « le Grand entretien », formule plus conviviale et vivante que les interventions classiques des années précédentes. Jean-Pierre Finance (président du CA de l’ABES), Alain Colas (chef de la DISTRD-MENESR) et Christophe Pérales (président de l’ADBU) ont répondu à quatre questions stratégiques :
- La première avait trait aux enjeux de l’IST à l’horizon 2015-2025. Pour Jean-Pierre Finance et Christophe Pérales, l’objectif principal à atteindre est de rendre effective la transition bibliographique vers l’Open Science. Jean-Pierre Finance a précisé que cette évolution devait aussi intégrer de nouveaux services à fortes valeurs ajoutées. Alain Colas a lié ces enjeux au projet de loi gouvernemental sur le Numérique tandis que Christophe Pérales appelait à un décloisonnement managérial des métiers de l’enseignement supérieur.
- La deuxième question concernait les évolutions de l’ABES. Sur ce point précis, Christophe Pérales attend une vision plus opérationnelle ainsi qu’une nouvelle feuille de route afin d’accélérer le processus de collaboration des différents acteurs de l’IST. Jean-Pierre Finance pense que l’ABES devait être aussi la tête de pont de l’IST en France, mais également à l’international. Alain Colas a rappelé les missions actuelles et futures de l’ABES, en précisant que cette agence faisait preuve d’agilité.
- La troisième question a évoqué l’évolution des mécanismes décisionnels. Alain Colas a réaffirmé l’attachement du Ministère à l’autonomie des établissements tout en réaffirmant le portage politique de projets. Pour Christophe Pérales, il est clair qu’au sein des établissements l’IST peine à apparaître comme centrale. La connexion IST / Recherche n’est pas visible et doit être un axe de travail.
- Enfin, concernant les actions majeures à conduire dans les deux ans par l’ABES, Jean-Pierre Finance a réaffirmé son attachement à l’amélioration de la qualité des métadonnées, Alain Colas croit davantage en leur consolidation et en un continuum du catalogage, tandis que Christophe Pérales mise sur l’ajout de services novateurs à la simple fourniture de documents.
Après ce point important lié à la stratégie future de l’ABES, une des sessions parallèles était dédiée à la transition bibliographique et la FRBRisation. Philippe Le Pape (ABES) a tout d’abord présenté la réorganisation des travaux de normalisation bibliographique en vigueur depuis fin 2014 : exit les groupes stratégiques et techniques « RDA en France » qui cèdent la place à un programme intitulé « transition bibliographique », sous la responsabilité conjointe de l’ABES et de la BnF, et sous la houlette d’un Comité stratégique bibliographique composé des tutelles et des deux agences. Enfin, trois groupes de travail (Formation, Normalisation, Systèmes et données) ont été constitués pour assurer la partie opérationnelle du projet. Philippe Le Pape a ensuite présenté la transposition française de RDA, RDA-FR, destinée à terme à remplacer les normes Afnor de catalogage. Cette nouvelle norme, dont l’objectif est de coller le plus possible à RDA tout en préservant certaines spécificités françaises, sera publiée par l’Afnor sur son site BiVi au fur et à mesure de l’avancée des travaux. Les publications commenceront dès l’été 2015 pour s’achever en 2017. Olivier Rousseaux (ABES) et Sébastien Peyrard (BnF) ont ensuite évoqué l’état de la FRBRisation automatique du Sudoc et du catalogue général de la BnF. Qu’entend-on par FRBRiser ? Il s’agit de rapprocher la structure d’un catalogue traditionnel du modèle FRBR. En clair, rapprocher des notices bibliographiques classiques (assimilées à des manifestations) pour générer des notices d’œuvres ou d’expressions et lier tout cela ensemble. Les tests algorithmiques actuellement en cours sur CBS, la base du Sudoc, en collaboration avec OCLC, ont permis de générer quelques 1.5 millions de notices de regroupement, ce qui semble prometteur. Pour S. Peyrard, la FRBRisation à la BnF est horizontale et va bon train grâce à l’application Data.BnF.fr qualifiée de machine à FRBRiser. Les bienfaits de la FRBRisation étaient illustrés par Michèle Aderhold (Electre) qui nous a présenté l’outil de production de la base Electre, Calipse, conçu sur le modèle FRBR.
Le programme de ce premier jour se terminait par quatre présentations des sponsors : OCLC, Springer, Ebsco et Ex-Libris, montrant ainsi la place importante que tiennent désormais les partenaires commerciaux dans les journées ABES. Le salon professionnel intégrait également un espace posters, occasion pour les établissements de présenter des projets en lien avec l’ABES. La journée se terminait par le traditionnel cocktail, toujours aussi réussi grâce notamment au talent du traiteur Germain.
La deuxième journée du congrès démarrait par les actualités de l’ABES, présentées par Isabelle Mauger-Perez et Laurent Piquemal et articulées en fonction du signalement des ressources :
- Signaler plus, avec la base de connaissance nationale Bacon (prononcez Bé-Keun) dont les web services étaient mis en production le jour même, ou encore la nouvelle application Cidemis, dédiée au circuit des demandes d’ISSN. Composante majeure du dispositif d’enrichissement des métadonnées, Bacon reçoit les fichiers que les éditeurs doivent fournir dans le format KBART, les analyse puis propose des corrections. Une fois celles-ci effectuées, les métadonnées sont labellisées « Bacon ». La dernière étape, responsabilité de l’éditeur et des propriétaires d’outils découverte, est de mettre à jour leurs bases de connaissances. Pour l’instant, seuls des éditeurs français sont entrés dans le dispositif mais Bacon devrait, à terme, permettre de couvrir Istex puis l’ensemble des bouquets souscrits par les établissements du réseau.
- Signaler mieux, avec le dispositif « Cercles », basé sur l’enrichissement mutualisé des métadonnées, dans lequel les établissements volontaires prennent en charge des corpus complets de notices comme Cairn. Pour Laurent Piquemal, il faut « préparer la qualité des traitements de demain » Dans cette perspective, l’ABES a, par exemple, injecté des marqueurs de qualité dans les notices : la présence d’une zone 309 indique qu’il manque des informations. L’agence améliore, en outre, ses outils de diagnostics comme Algosudoc, et opère des stratégies d’alignement avec notamment Persée, ORI OAI, VIAF ou encore ISNI.
- Signaler autrement, en ajustant le positionnement de l’ABES dans un rôle d’accompagnement, par exemple sur le projet SGBM, ou encore avec Qualinca, projet destiné à améliorer de manière automatique les liens entre notices bibliographiques et d’autorité.
Le nouveau Sudoc, à ne pas confondre avec le projet SGBM, est désormais une mission de l’ABES confiée à Stéphane Rey avec un nom provisoire : Sudoc 2. Le constat est là : les technologies du Sudoc sont en fin de vie, notamment l’outil de catalogage partagé WINIBW. Dans le cadre de cette mission, trois études ont été menées. Elles concernent la faisabilité de réaliser un outil interne pour remplacer WINIBW, et un outil de validation des données ainsi que l’amélioration des transferts réguliers. Si les contours de Sudoc 2 sont encore un peu flous, on sait déjà que celui-ci fédérera les différents projets ou expérimentations en cours, toutes liées à la valorisation des données : le Hub pour un espace public de métadonnées ouvertes, Bacon avec le format KBART, Cercles, IDREF, etc., et qu’il s’appuiera sur les technologies du Web sémantique (RDF) pour créer du lien. On le voit, Sudoc 2 s’inscrit donc bien dans une logique de continuité plutôt que dans la rupture avec le passé.
Deuxième nouveauté de ces journées ABES, le Jabescamp consistait à faire participer l’ensemble des congressistes aux réflexions à partir d’une liste de questions telles que « comment envisager l’avenir du signalement des ressources électroniques ? » ou « que peuvent apporter les MOOCS aux bibliothèques ? ». Les participants se répartissaient librement par tables de dix personnes, les prises de notes des échanges étant ensuite collectées dans un fichier collaboratif 2. A priori difficile à organiser au vu du nombre de participants, le Jabescamp a remporté un vif succès auprès des congressistes témoignant ainsi de la vitalité et de l’investissement des personnels des réseaux de l’ABES.
Nous terminerons ce compte-rendu par deux coups de chapeau de l’ensemble de l’assistance : celui, émouvant, à Béatrice Pedot, coordinatrice éditoriale de la revue Arabesques qui prend une retraite bien méritée, et celui à destination de Christine Fleury et des équipes de l’ABES, applaudis pour leur investissement et l’organisation sans faille de ces journées.