Innover en bibliothèque : l’architecte, l’usager et le bibliothécaire

Enssib – 16 juin 2016

Hélène Garriaux

Le jeudi 16 juin 2016, les élèves conservateurs promus de l’ENSSIB proposaient une journée d’étude sur l’innovation en bibliothèque à travers l’architecture et les espaces.

Un projet de bibliothèque réussi est le fruit d’un dialogue nourri entre bibliothécaire et architecte. Chaque année, le réseau de lecture publique s’enrichit de nouveaux établissements (quatre-vingt-trois en 2014). Pourquoi tant d'ouvertures de bibliothèques dans un contexte d'information numérique en évolution constante ?

La bibliothèque est dans une quête permanente d'adaptation à ses usagers ; elle est un terrain idéal pour explorer de nouvelles pistes entre richesse des services offerts aux publics et exigence de l’information. Architecte, usager et bibliothécaire sont au cœur de la conception et de la réalisation des bibliothèques.

Quels bâtiments innovants concevoir ? Quels changements induisent les nouveaux modèles dits « troisième lieu » et « learning centres » ? Comment s'adapter toujours mieux aux pratiques et besoins des usagers ?

Les bibliothèques « troisième lieu » :
l’expérience de l'Alpha

Dominique Peignet, ancien directeur de l’Alpha, a présenté le projet de nouvelle médiathèque à Angoulême ouverte en décembre 2015.

L’Alpha s’inscrit dans le mouvement des bibliothèques « troisième lieu ». Le bâtiment se situe dans le quartier de l'Houmeau ; il est associé au vaste projet urbain de la Ligne à Grande Vitesse Tours-Bordeaux.

Le bâtiment est signé par l'architecte Françoise Raynaud qui l'a conçu comme un empilement de cinq parallélépipèdes colorés avec de grandes baies vitrées. Trois blocs sur cinq sont consacrés à la médiathèque et se déclinent en différents « mondes » : « Créer », « Comprendre » et « Imaginer » : 170 000 collections. L'Alpha comprend également un auditorium (99 places), un café, une salle polyvalente, un lieu d'exposition, une cour et un jardin : 5 600 m² SHON, 4 000 m² d'espace public.

Le point de départ du programme fonctionnel a été le « comme à la maison » : associer convivialité et sociabilité autour de l'information et du savoir. La notion de « mondes » illustre cette idée : « Imaginer » pour les littératures et l'espace enfants, « Créer » pour l'image, le cinéma, la musique, les jeux vidéo et les beaux-arts, « Comprendre » pour la bibliothèque traditionnelle. À l'intérieur, les espaces sont différenciés au travers des mobiliers, des éclairages et des couleurs.

Ouvert en décembre 2015, l'Alpha connaît déjà un succès certain : 20 000 entrées par mois. Les gens sont sensibles à la diversité et à la beauté des lieux. L'Alpha n'est pas seulement une bibliothèque, il est aussi un espace commun où chacun peut vivre une expérience et se cultiver.

Les bibliothèques éphémères

Partant d’un billet posté sur le blog de la BnF il y a quatre ans (« Micro-bibliothèques et bibliothèques éphémères 1 »), Caroline Rives a dressé le portrait de ces bibliothèques éphémères qui naissent hors les murs.

La logique humanitaire et politique est souvent au premier plan dans les petites bibliothèques. Bibliothèques sans frontières 2 utilise les BiblioTaptap en Haïti, bibliothèques mobiles inspirées des taxis collectifs, pour favoriser l'accès des populations à la lecture et à la culture. BSF installe également des médiathèques en kit, les Ideas box pour les réfugiés à travers le monde.

À New York, la bibliothèque du mouvement contestataire « Occupy Wall Street » installée sous une tente, était une bibliothèque éphémère, citoyenne et participative. À Paris, la bibliothèque participative « Biblio debout » installée Place de la République, fonctionne également sur la base du don et du partage.

Sur un autre plan, on retrouve l'idée de partage avec le mouvement du « bookcrossing » : partager un plaisir de lecture. Les « little free libraries », 15 000 dans le monde, sont des boites à livres à l’esthétique proche de l'art brut. L'été, les biblio-plages connaissent un franc succès.

Les bibliothèques éphémères sont aussi des œuvres d'art. Lors de la FIAC 2012, Tadashi Kawamata crée une bibliothèque mobile dans le Jardin des Tuileries.

De la BU au learning centre,
l'exemple de l'université de Toulouse 1 Capitole

Bruno Van Doeren, directeur du SCD de Toulouse 1 et Nelly Rollier-Amiel, responsable du Service de l'infrastructure immobilière et mobilière, ont présenté le projet de « learning centre » de Toulouse 1.

Le projet concerne la bibliothèque universitaire de l'Arsenal. Le bâtiment en briques et béton brut, datant des années 70, était conçu pour accueillir 10 000 étudiants. Aujourd'hui il n'est plus adapté aux besoins des étudiants ; il est nécessaire de le réaménager.

Le projet s'est inséré dans le mouvement actuel des « learning centres ». Inscrit au contrat quadriennal 2011-2015, le learning centre est le projet de l'université et pas seulement de la bibliothèque. L'équipe du projet était soudée autour de la même dynamique : être au plus près des usagers en utilisant enquêtes, entretiens et focus groupes.

Le calendrier envisagé fut très court : lancement de l'appel d'offres en juillet 2015, validation des phases APS et PRO entre janvier et mars 2016. L'équipe architecte est composée de V2S architectes et Branger Romeu. Le budget est de 5 millions d'euros pour réaménager les cinq niveaux de la bibliothèque.

Le dialogue direct entre bibliothèque et architecte a été privilégié. Signalétique et acoustique ont été intégrées d'emblée au projet. Il s'agit de créer des espaces différenciés avec des niveaux sonores gradués. Une salle de conférences (60 places) sera créée ainsi que des espaces de travail collaboratif et des espaces de détente.

Toulouse 1 a privilégié une fermeture courte de la bibliothèque (du 30 mai à octobre 2016). Les travaux s'effectueront pendant l'été, de juillet à septembre, sur les cinq niveaux en parallèle. L'ouverture du learning centre est prévue fin octobre 2016.

Concours imaginez la BU de demain
et déclinaison du projet lauréat à la bibliothèque de Paris 8

Le concours « imaginez la BU de demain » a été lancé par la région Ile de France en avril 2015. Le concours, présenté par Sophie Caulier, s’adressait aux étudiants. Les participants devaient imaginer une bibliothèque innovante à partir d'un espace-type de 400 m² intégrant usages numériques et services.

Le projet lauréat, Bibli'home présenté par Zicheng Cui, conçoit la bibliothèque comme une maison où proximité, mobilité, diversité et virtualité sont les maîtres mots. Les services numériques y sont importants. Les espaces sont modulables : espaces de travail, café, exposition. La bibliothèque reste accessible 24h sur 24h : une application mobile permet de rendre, emprunter et imprimer des livres à distance.

L'équipe lauréate a été associée au projet de rénovation de la bibliothèque de Paris 8, projet piloté par l'architecte Françoise Sogno. Le principe est de réaménager les salles de consultation de la bibliothèque, servant de préfiguration à un futur learning centre. Les travaux sont prévus cet été pour une réouverture fin octobre 2016.

L'objectif est de reconfigurer l'espace de consultation informatique et l'espace des périodiques. L'espace de consultation informatique deviendra un espace de travail collaboratif, type co-working, où le bruit est admis. Pour l'espace des périodiques, une attention particulière est portée aux mobiliers et à l'acoustique. Les périodiques seront présentés sur des rayonnages mobiles multi-faces. Certains mobiliers seront insonorisés, les tables seront électrifiées, le réseau Wifi sera étendu. Le tout permettra de créer des espaces plus souples où collections et services seront mieux insérés.

L’expérience du Poker design

La journée s’est terminée sur une partie de poker. En effet, l'équipe du LUPI 3 a invité les participants à penser un service innovant de bibliothèque à partir d'un jeu de cartes.

Répartis en différents groupes, les participants avaient 45 minutes pour produire un scénario autour d’un service innovant de bibliothèque. Les contraintes étaient incarnées par cinq cartes tirées au hasard : « Lieu », « Action, « Support », « Sujet » et « Personnage ». Différents services ont été ainsi imaginés : service de pilotage automatique vers la bibliothèque et services numériques pour « Josiane à l’hôpital », service de biblio-porteur balnéaire pour « Elsa à la plage », service de formation solidaire et participatif pour « Solidar Mooc »,…

Le Poker design est un outil de réflexion issu du « design thinking » pour favoriser l'intelligence collective et créative autour d'un projet. Il s'agit d'imaginer un service en partant de l'utilisateur incarné ici par un personnage précis. Le design thinking est un processus qui s'appuie sur plusieurs étapes : connaître l’utilisateur, définir le problème, imaginer ou générer des idées créatives, prototyper pour modéliser les idées sous forme de maquettes, expérimenter le prototype auprès de l’utilisateur.

Un projet de bibliothèque innovant est un projet co-construit avec les usagers. Le bâtiment est modulable, les espaces intérieurs sont confortables et différenciés, capables de s'adapter aux besoins et pratiques des utilisateurs. L'innovation naît du dialogue entre bibliothécaire, architecte et usager. « C'est pourquoi les usagers doivent être partie prenante du processus d'innovation, depuis les premières étapes créatives jusqu'aux phases de test et de mise en œuvre », Rolf Happel, directeur des bibliothèques d'Aarhus 4 au Danemark, lors du dernier congrès ABF.