« Imaginons ! La participation des publics en bibliothèque »

Journée d’étude BibDoc 37 – avril 2021

Anne Azanza

Anne Legoff

Anne-Sophie Pascal

Chaque année, le réseau départemental BibDoc 37 organise une journée d’étude destinée à l’ensemble des professionnel.le.s des bibliothèques et des centres de documentation d’Indre-et-Loire. Réinventée sous forme de trois matinées en distanciel, pour tenir compte des impératifs sanitaires, la manifestation de 2021 a pu apporter plusieurs éclairages sur la participation des publics en bibliothèque.

Matinée du 1er avril 2021

BibDoc commence traditionnellement par une conférence introductive qui pose les enjeux de la thématique choisie. L’édition 2021 n’a pas dérogé à cette règle en débutant par une conférence de Frank Beau, journaliste indépendant, formateur, consultant, qui est revenu sur l’étymologie et la signification de ce qu’on entend par « participation » et notamment la « participation citoyenne ». Si participer signifie simplement « prendre part à », l’implicite derrière cette notion est que ce sont les personnes qui n’ont pas de pouvoir – ni décideuses, ni exécutantes, ni lobbyistes – qui sont invitées à agir sur l’action publique. La dimension militante, voire sacrificielle est également sous-entendue dans la notion de participation : on va prendre de son temps, de ses moyens, pour construire quelque chose qui relève de l’intérêt commun.

La participation est ainsi traversée par trois grands mouvements : le mouvement institutionnel (ex : lois de décentralisation) ; le mouvement citoyen, très différent, voire en opposition avec le précédent (ex : Gilets jaunes, Occupy Wall Street) ; et le mouvement technique et technologique (ex : fablabs).

Le grand défi de la participation est que les décideurs et les exécutants sont d’accord pour partager le pouvoir, mais sans perdre leur contrôle ; et du côté des citoyens, l’immense majorité ne se reconnaît pas dans les dispositifs de participation tels qu’ils sont mis en place par les institutions (ex : conseils de quartier, participation aux conseils municipaux, etc.). La participation vise en effet à créer un « nouveau citoyen », qui ne se contente pas de payer ses impôts et d’aller voter, ce qui nécessite une acculturation, aussi bien des élus que des agents publics, et des citoyens eux-mêmes. Un récent exemple d’échec est la convention citoyenne pour le climat.

En conclusion, la participation demande des moyens et du temps, pour sortir de l’uniformisation des services publics et du culte du chef. Finalement, les dispositifs participatifs manquent souvent d’ingénieurs, ou même de poètes ! qui mettent en marche et en mots les dispositifs. Il est nécessaire de créer un langage commun pour sortir de l’affichage de la participation, comme avec les non-usagers des bibliothèques par exemple.

La matinée s’est poursuivie avec un retour d’expérience de la bibliothèque Louise-Michel, au travers du témoignage de Camille Vroman et Quentin Le Guevel. Pour l’équipe de la bibliothèque, la question de la participation, c’est celle du pouvoir que l’on est prêt à déléguer aux usagers. Pour inciter à la participation, il est nécessaire de valoriser les savoir-faire des usagers, ainsi que de mettre en place dans le temps une forme d’accueil et d’attention informels. La participation devient alors la fructification des relations établies sur le long terme avec les usagers. Les usagers deviennent capables de fédérer des communautés autour de projets (constitution d’un fonds de jeu de rôle, animation de soirées) et de diversifier l’offre de services de la bibliothèque (aide aux devoirs, projets collaboratifs autour du jardin). Les dispositifs d’accueil détendus comme la mugothèque ne font pas disparaître les missions traditionnelles de la bibliothèque, notamment l’attention portée aux collections, mais ils envoient le signe aux usagers qu’ils sont à la bibliothèque chez eux et qu’ils peuvent l’investir.

Des actions de participations légères, comme le partage sous forme de post-it d’avis sur les livres lus, sont menées en parallèle avec des actions plus ambitieuses, comme les Biblio Remix : pendant un jour ou deux, les usagers sont invités à proposer des projets pour casser les codes de la bibliothèque. Le brainstorming libre est suivi de la mise en musique des projets retenus par des bidouilleurs, des graphistes, des comédiens… Ces actions se sont déroulées en 2016 et 2019 à la bibliothèque Louise-Michel avec des enfants. Autre dispositif à destination des enfants : l’acquisition des bandes dessinées. Les enfants qui participent signent une charte d’aide-bibliothécaire qui cadre leurs actions et leur donne une légitimité.

En conclusion, la bibliothèque Louise-Michel favorise la culture du test et valorise le fait de faire plusieurs essais sans craindre l’échec. Cela est possible grâce à une liberté donnée aux personnels qui savent qu’ils ont la possibilité d’expérimenter sans que cela soit bridé ou sanctionné.

Matinée du 8 avril 2021

En première partie de matinée, une table ronde a été consacrée au recueil des avis en bibliothèque. Les intervenants, Cécile Touitou, responsable de la mission Marketing à la bibliothèque de Sciences Po, et Christophe Evans, responsable du service Étude et recherche de la Bpi (Bibliothèque publique d’information), ont en commun leur pratique approfondie de l’enquête auprès des usager.es de leur établissement respectif. Pour Cécile Touitou, il ne s’agit pas de conquérir des publics, mais plutôt de mieux comprendre les attentes et les besoins des étudiant.es. Dans cette optique, segmenter les publics permet de mettre au jour des attentes très différentes de groupes aux intérêts disciplinaires pourtant très proches.

Parmi les erreurs à ne pas faire, il importe en amont de l’enquête de problématiser la question avec les équipes de l’établissement concerné, en les associant aux hypothèses dès le départ. Bien distinguer avec elles le vraisemblable de l’objectivé, et clarifier le fait que les résultats ne vont pas nécessairement faire apparaître des éléments inattendus, mais vont permettre a minima d’objectiver un ressenti de manière très précise, doit aussi permettre d’éviter l’effet déceptif de certains résultats d’enquête. Le partage de ces résultats nécessite de ne pas écraser les interlocuteurs de chiffres et de graphiques. Christophe Evans met également en garde contre la tendance à imposer ses propres problématiques aux personnes interrogées, la formulation et le choix des questions pouvant orienter les réponses.

Recueillir les avis des publics revient également à leur accorder une part de pouvoir qu’ils ne détiennent habituellement pas. Dès lors, se pose la question de leur implication dans la co-construction de l’offre de la bibliothèque. Les politiques, les professionnel.les, les usager.es ont chacun.e leur vision de ce qui fait la valeur de la bibliothèque. Pour Cécile Touitou, il s’agit de faire résonner ces trois points de vue, en associant les usager.es au projet d’établissement, avec les professionnel.les et les politiques. L’exemple de la Grande-Bretagne, où la délégation de la gestion de bibliothèques publiques à des bénévoles a été suivie de nombreuses fermetures d’établissements, illustre le risque de perdre l’expertise professionnelle au nom d’un projet de Big Society. Christophe Evans alerte aussi sur le fait que les publics ne sont pas les meilleurs experts de leurs propres pratiques. Aussi, se concentrer sur les usages observés et sur les besoins vaut souvent mieux que demander aux personnes interrogées de formuler leurs attentes. Il est très difficile en particulier de les solliciter sur les usages innovants, car elles peinent à sortir du cadre qu’elles connaissent. Toutefois, la consultation des usagers est toujours salutaire. La mise en place d’entretiens semi-directifs avec des groupes de discussion peut déjà permettre d’aller loin dans la co-construction. Articuler plusieurs méthodes, comme les groupes de discussion et les enquêtes barométriques classiques, s’avère particulièrement pertinent.

Quant aux enquêtes menées depuis le début de la pandémie actuelle, elles permettent de créer du lien avec les publics, de faire émerger de nouveaux besoins liés au contexte (par exemple, séparer le travail de la sphère personnelle et familiale en se rendant en bibliothèque). Pourquoi ne pas profiter des temps de crise pour se réinventer ?

En seconde partie de matinée, deux médiateurs du Réseau Canopé, Christophe Guérard (Île-de-France) et Loïc Leroux (37-Tours) présentent l’outil Archilab. Initialement conçu par le ministère de l’Éducation nationale pour co-concevoir les espaces pédagogiques, il s’adapte également au cadre des bibliothèques. Le groupe d’usager.es sollicité.es pour imaginer les espaces de la bibliothèque va pouvoir manipuler des pièces sur un plateau, ce qui permet de visualiser matériellement l’organisation des lieux et des services.

Matinée du 15 avril 2021

Les deux interventions de cette troisième demi-journée sont toutes les deux placées sous le signe de l’expérience usagers (UX Design) et de la figure tutélaire de Nicolas Beudon, que l’équipe BibDoc avait invité dans un premier temps pour l’édition 2020, annulée en raison de la crise sanitaire. Les deux interventions ont également l’objectif commun d’associer leurs usager.es adolescent.es ou jeunes adultes à l’élaboration des outils créés pour leur usage.

Fabrice Gheysen, responsable de l’informatique documentaire du SCD de l’université d’Orléans, a présenté le projet participatif de refonte de l’interface publique du catalogue avec les étudiant.es. La problématique était la suivante : « Comment peut-on simplifier, clarifier, rendre efficace et rapide la nouvelle interface pour des publics habitués à l’ergonomie du Web ? »

Pour ce sujet pourtant a priori aride, 139 étudiant.es ont participé à l’étude comparée de six catalogues de bibliothèques au cours de trois journées d’enquête au mois de janvier 2019. Pour organiser ces journées et préparer les modalités de l’enquête puis analyser les résultats, neuf bibliothécaires ont travaillé en mode projet pendant un an. Fabrice Gheysen a détaillé la méthodologie du design thinking utilisée, les inquiétudes et doutes des membres de l’équipe, mais aussi la satisfaction d’avoir réussi à mener à bien ce projet car « travailler de cette manière-là ouvre des fenêtres et des horizons ! ».

Plus de 130 personnes ont suivi cet atelier via l’outil Teams, et ont manifesté leur intérêt par des questions très pratiques dans le but de mettre en œuvre des projets comparables.

Pour la deuxième et dernière intervention de l’édition 2021, le succès était au rendez-vous avec plus de 600 inscrits, ce qui a contraint l’équipe BibDoc et les intervenant.es à modifier au dernier moment la solution technique pour créer un événement Facebook Live. Cette solution mise en place très rapidement a permis à toutes et tous de pouvoir suivre la présentation dans de bonnes conditions techniques, mais on peut regretter le manque d’interactions avec le public induit par ce mode de communication.

Michaël George et Benoit Hero, respectivement directeur de l’Æncre, médiathèque du Grand Verdun, et médiateur numérique et informatique, ont présenté successivement les deux projets phares d’aménagement de la nouvelle médiathèque du Grand Verdun : le Biblio Remix ados de 2019 et la représentation 3D de la future médiathèque dans Minecraft. Outre le caractère original et novateur qui a créé le buzz médiatique autour de ce projet, c’est la dimension réellement participative et inclusive qui a focalisé notre attention sur cette initiative. Le Biblio Remix ados, destiné à trouver des idées pour l’aménagement de deux petits espaces de 6 m2 à proximité du futur espace ados, a été préparé et réalisé en partenariat avec les collègues animateur.rices de « l’adosphère » de Verdun et en formant toute l’équipe de la médiathèque au design thinking. L’idée de faire des adolescent.es participant.es des ambassadeur.rices de la future médiathèque auprès des publics éloignés de la culture a également été un vecteur de réussite pour la deuxième phase du projet pilotée par Benoit Hero : la construction de la médiathèque dans Minecraft, en respectant une échelle, validée par le cabinet d’architectes Catherine Geoffroy & Frank Zonca, d’un mètre pour cinq blocs Minecraft. Une vingtaine de participant.es âgé.es de 8 à 33 ans ont réalisé la construction de la médiathèque avec l’appui technique et informatique de l’association Lana France. Ils ont respecté scrupuleusement le cahier des charges imposé pour la construction mais ont donné libre cours à leur imagination pour l’aménagement intérieur. Après une inauguration virtuelle très remarquée, le projet continue à se développer pour représenter la ville de Verdun et ses nouveaux quartiers. À quand une journée BibDoc sur Minecraft ?

En 2021, la manifestation BibDoc a gagné une audience inhabituellement élevée, bien au-delà de la Touraine, les inscrit.es venant aussi de Sousse, Istanbul, Singapour et Casablanca… Le format en distanciel y est certainement pour quelque chose, mais le choix du sujet a touché juste : en bibliothèque publique comme dans les établissements universitaires, la question de la participation des usager.es est aujourd’hui une préoccupation réelle des professionnel.les.

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