« Enjeux actuels des bibliothèques »

Journée CLL Poitou-Charentes / Enssib – 12/11/2015

Elsa Fritsch

Nouveaux services et conduite du changement

Pour introduire cette première table ronde, Jean-Louis Glénisson (directeur des médiathèques de Poitiers) rappelle le contexte général de baisse d’utilisation des bibliothèques. Ce phénomène nous conduit à nous interroger sur la modernisation des services proposés par les bibliothèques publiques et l’élargissement de leurs horaires d’ouverture.

Sur la question de la mise en place de nouveaux services, Marie-Christine Jacquinet (directrice de la BDP des Yvelines qui a coordonné le 23ème numéro de la « Boite à outils », Créer des services innovants) résume les principes qui doivent guider notre action en partageant trois conseils : se mettre à la place des publics, prendre des risques et, surtout, accepter l’échec comme un élément naturel du processus d’expérimentation. Les exemples de Viroflay (développement du numérique) et de la BDP des Yvelines (abandon total des activités de couverture de livres) illustrent cet esprit d’innovation. En une phrase et selon sa formule, il faut « penser services et pas bibliothécaires ».

Sans tenter de délivrer des formules magiques, Marie-Christine Jacquinet évoque quelques éléments indispensables à la réussite de projets innovants et notamment l’incontournable volonté politique qui doit les appuyer. Cette remarque, reprise par la salle, rejoint la question des moyens – humains ou financiers – qu’il faut évaluer avec soin sans manquer de se questionner sur l’organisation du travail (comment travailler mieux, plus efficacement, dans quel objectif ?). La mise en place d’une démarche qualité, centrée notamment sur la question de l’accueil, peut permettre de poser l’ensemble de ces questions. C’est enfin la nécessité de la concertation qui est mise en lumière. Partenariats et échanges semblent en effet les meilleurs garants de l’implication des équipes, condition nécessaire de succès.

La France dispose d’un excellent maillage territorial en matière de bibliothèques, d’établissements et de fonds précieux et intéressants, de services performants mais les bibliothécaires ne le disent pas. « Nous appartenons à une profession de gens timides » commente Georges Perrin (Inspecteur général honoraire des bibliothèques, coordinateur de Ouvrir plus, ouvrir mieux : un défi pour les bibliothèques) en ouverture de son intervention. Mais si une baisse d’utilisation des collections est manifeste, l’évolution de la fréquentation engage à repenser l’offre, notamment en termes d’horaires d’ouverture.

Quelles sont les conditions optimales pour réussir un élargissement de ces derniers ? Remettre en jeu l’organisation de la bibliothèque, en interne, pour replacer l’ouverture au public et l’accueil au centre des problématiques des professionnels. Il y a des mutualisations à mettre en place pour dégager le temps nécessaire à cet accueil élargi ; les bibliothèques allemandes ou hollandaises ouvrent la voie. Il est également indispensable de s’interroger sur les usages réels, les modes et les rythmes de vie. Il faut s’interroger aussi sur l’implantation, l’organisation spatiale et l’aménagement des espaces. Ces aménagements, cette organisation doivent permettre une gestion plus souple des temps d’ouverture. Enfin, et en cela les deux interventions se répondent, la condition de réussite fondamentale reste la volonté des élus. Viennent ensuite les phases de négociation, de concertation et de formation.

Marie-Christine Jacquinet conclut en soulignant l’importance de l’évaluation, dans tous les cas et pour tous les types de services.

Produire des contenus numériques en bibliothèque

La première question posée par Christelle Di Pietro (directrice des bibliothèques de Rouen, qui a coordonné l’ouvrage Produire des contenus documentaires en ligne. Quelles stratégies pour les bibliothèques ?) est celle, souvent soulevée, de la légitimité du bibliothécaire en tant que producteur de contenus. Son expérience de la mise en place des Guichets du savoir à Lyon illustre ce souci. En guise de réponse, cette expression percutante de Lionel Dujol : aujourd’hui, le bibliothécaire doit être « le journaliste de ses collections ». S’il s’agit de l’un des principaux freins à la mise en place de telles expérimentations en bibliothèque, d’autres difficultés sont récurrentes : comment assumer son identité ou comment cadrer sa subjectivité par exemple. Mais les blocages ne trouvent pas uniquement leurs sources dans les habitudes des bibliothécaires, ils touchent également l’investissement nécessaire (en temps, en ressources humaines) souvent très important.

Ces obstacles dépassés, il faut éviter un autre piège et ne pas penser que la stratégie de production de contenus de la bibliothèque va lui permettre d’attirer de nouveaux usagers dans ses murs. Il s’agit bien d’un service en plus, susceptible d’intéresser de nouveaux publics cibles mais dont les retombées devront être mesurées d’une nouvelle façon (la fréquentation du portail de la bibliothèque ou l’utilisation en ligne du service par exemple). Les contenus en ligne vont toucher un public très spécifique, souvent assez différent des usagers habituels.

Bruno Essard-Budail (Centre du Livre et de la Lecture Poitou-Charentes) et Olivier Desgranges (directeur de la médiathèque de Rochefort) se proposent, pour éclairer les échanges, de présenter leurs expérimentations autour du livre numérique. Du côté du CLL, des formations sur le sujet sont régulièrement organisées et un livre numérique « maison », réalisé avec Alberto Manguel, est proposé au téléchargement. A Rochefort, ce sont les éditions Transbordage qui viennent de voir le jour. Maison d’édition 100% numérique qui propose le téléchargement gratuit de textes inédits du patrimoine régional ou littéraire, Transbordage est la première maison d’édition numérique pilotée par une médiathèque en France.

Ces deux initiatives prouvent que la production de contenus numériques enrichit les propositions des bibliothèques, valorise ses collections et combien, enfin, de projets innovants restent à inventer.

D’un point de vue pratique, précise Christelle Di Pietro, mener à bien un projet de ce type suppose la maîtrise de compétences spécifiques (techniques d’écriture pour le Web notamment), des moyens humains assez solides pour pérenniser les services qui fonctionnent et assez d’arguments pour convaincre l’ensemble des services partenaires (au sein de la collectivité ou à l’extérieur). C’est ainsi un véritable projet de service et une stratégie détaillée jusqu’à l’outil qu’il faudra penser et défendre.

Le prêt numérique en bibliothèque : où en est-on ?

En préambule de cette dernière table ronde, Hervé Bienvault (consultant indépendant dans l’édition numérique et administrateur du blog Aldus) propose un rapide tour d’horizon des offres existantes en matière de livres et de lecture numériques. Un focus est fait sur le réseau CAREL, réseau fondé en 2012 pour remplacer le service de coopération de la BPI dans le dialogue entre les éditeurs de ressources numériques et les bibliothèques publiques, véritable outil d’aide à la décision pour les bibliothécaires. Sur le sujet du prêt électronique, il faut rappeler que les solutions ont longtemps été limitées à certains catalogues d’éditeurs. Mais l’intérêt du prêt est de plus en plus pris en compte et le modèle économique proposé mieux compris. Ces offres correspondent également à la sensibilité des bibliothécaires français qui refusent les systèmes fermés à l’anglo-saxonne.

Deuxième tour d’horizon, celui de l’offre PNB présente dans une vingtaine de bibliothèques en France. L’exemple de Grenoble est intéressant à développer puisque les bibliothèques de la Ville sont d’ores et déjà engagées dans une démarche d’évaluation de leur plateforme pilote, Bibook.

Les médiathèques de Poitiers, qui accueillent cette journée, sont engagées dans le projet PNB et Florent Palluault (Responsable de la conservation des collections, médiathèques de Poitiers) en présente les grandes lignes. Il s’agira de proposer une offre de 120 titres, téléchargeables via une interface intégrée au portail Web des médiathèques. Le coût reste important (le projet n’aurait pu se réaliser sans une aide de la DRAC), et les développements nécessaires pour une intégration dans les portails assez lourds.

Les discussions les plus nourries concernent les incertitudes et les questionnements actuels liés au modèle économique sous-tendu par les offres à destination des bibliothèques de lecture publique. En effet, plusieurs points de friction sont repérés au sujet de l’offre PNB : politique d’acquisition (quel intérêt de proposer des livres de fond via PNB ? Peut-on proposer uniquement des nouveautés ? Quel fonds constituer ?), pérennité des acquisitions, coût du service, etc.

Ces questions trouvent écho dans nombre de réflexions professionnelles et notamment celle de l’ABF dont la présidente Poitou-Charentes, Stéphanie Teissier, aura pu relayer les craintes (manque de transparence, situation de monopole, coût élevé ou modèle économique adossé à l’utilisation des DRM).


« Kit@lire »

Kit@lire est une bibliothèque numérique nomade créée par le Centre du livre et de la lecture, intégrant ordinateurs, liseuses, Ipads, ressources numériques (textes, musique, vidéos), et ouvrages papier. Proposé gratuitement au prêt. Un livret pédagogique est également fourni.

Présenté par Sylvie Loiseau, en charge de la Vie littéraire au CLL.

Outil de médiation original et innovant ce kit complet permet de proposer toutes sortes d’ateliers ou d’animations numériques autour du livre et de la lecture. Mobile par nature, cet ensemble de caissons montés sur roulette permet une utilisation nomade, en intérieur comme en extérieur.

Pour ce projet, le Centre du livre et de la lecture est lauréat de l'appel à projet national

"L'action culturelle au service de la maîtrise du français" lancé par le ministère de la culture et de la communication.