Démarches participatives : co-construire la bibliothèque avec les enfants et les jeunes

16 mai 2019 – BnF

Guillaume Gast

Le jeudi 16 mai 2019 s’est tenue à la Bibliothèque nationale de France la journée d’étude professionnelle « Démarches participatives : co-construire la bibliothèque avec les enfants et les jeunes » 1. Organisée par le Centre national de la littérature pour la jeunesse (CNLJ) et la commission jeunesse de l’Association des bibliothécaires de France (ABF), elle a réuni des professionnels de tous horizons. Les débats étaient présidés par Jacques Vidal-Naquet, directeur du CNLJ, et Mina Bouland, responsable de la commission Jeunesse de l’ABF et responsable du pôle Lecture publique jeunes de la médiathèque André Malraux de Tourcoing.

La journée a été rythmée par une série de présentations, de tables rondes, et la participation active du public a plusieurs fois été encouragée : comment en aurait-il pu être autrement avec un tel sujet ? 2

Une intervention de Raphaëlle Bats sur les enjeux des pratiques participatives en bibliothèques et un panorama historique de Viviane Ezratty ont permis de poser les bases théoriques et historiques de la journée. Est-ce que la participation des publics en bibliothèques est une nouvelle mode de la profession ou bien s’agit-il d’une pratique ancienne ? Sur quel socle théorique fonder les démarches participatives avec les jeunes aujourd’hui ?

Puis la table ronde « Animer la bibliothèque avec les enfants et les jeunes : quelle posture professionnelle ? » a permis d’amorcer un panorama des actions de participations qui s’est poursuivi l’après-midi avec l’intervention de Cyrille Clavel, sous-directeur des affaires culturelles en charge de la lecture publique au Conseil départemental de Seine-et-Marne, sur la participation des enfants dans les bibliothèques finlandaises, et la table ronde « Biblioremix et Cie : concevoir les espaces et les services avec les enfants et les jeunes ». Ces interventions ont eu comme premier mérite d’offrir un catalogue d’actions applicables dans les services aujourd’hui. Elles ont également soulevé d’intéressantes questions sur le moment et la méthode pour lancer une démarche participative. Elles ont aussi pointé certaines limites. Benoît Vallauri, responsable du Ti Lab, laboratoire régional d'innovation publique en Bretagne, a conclu la journée.

Il convient en préambule de préciser que la participation des publics aux animations des services est une forme d’adhésion au projet ou au moins aux actions publiques qu’il propose. Mais il ne s’agissait pas là de l’objet de la journée : quand on parle de participation du public aux animations, cela s’apparente plus à de la fréquentation qu’à une démarche active. Or, c’est bien évidemment la participation des publics à la co-construction de la bibliothèque qui a été le cœur des interventions.

Une pratique ancienne…

Si la maxime attribuée à Lavoisier s’applique au monde des sciences physiques et de la chimie, la présentation de Viviane Ezratty a pu donner l’impression que, dans les bibliothèques aussi, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

Ainsi, à l’Heure Joyeuse, Claire Huchet, inspirée par les principes de la Nouvelle éducation, écrit à propos des enfants en 1927 que « la bibliothèque est leur bibliothèque, elle fonctionne non pour eux, mais par eux » 3. Le postulat visait à faire participer les enfants à la bonne marche de la bibliothèque pour les amener à respecter le lieu et surtout à utiliser cette institution nouvelle.

À la Joie par les livres aussi, la participation émanait d’un besoin d’encourager l’appropriation des lieux par les jeunes : création d’une assemblée générale de jeunes et de « postes » d’aides-bibliothécaires chargés d’accompagner les professionnels dans la gestion de l’établissement.

Enfin, la notion d’épanouissement étant centrale dans le projet de la Joie par les livres, les enfants ne pouvaient se contenter de jouer au bibliothécaire et la participation allait au-delà de la gestion des livres. Les actions satellites à la gestion de la collection offraient l’occasion de porter une dynamique enthousiaste des enfants. L’organisation de fêtes, par exemple, permettait de valoriser les compétences créatives ou physiques des publics mais aussi d’éprouver et de valoriser leur sens de l’organisation.

L’héritage réside dans l’attention portée à la place de l’enfant à la bibliothèque : un enfant actif, un enfant acteur. Il s’agissait alors de justifier l’existence d’un service public naissant. Au fur et à mesure que la bibliothèque jeunesse est devenue une institution acceptée dans la société, les assemblées générales d’enfants ou les aides-bibliothécaires se sont révélés moins utiles et ne faisaient plus sens. Aujourd’hui, quand une bibliothèque ouvre, c’est une institution qui ne va pas forcément de soi. Elle peut être confrontée à la problématique de jeunes qui se disent que ce n’est pas un lieu fait pour eux, et soit ne viennent pas, soit en perturbent le bon fonctionnement. Les solutions à trouver doivent être celles d’aujourd’hui mais elles peuvent assurément s’inspirer de celles du passé. Les propositions ont évolué, mais les valeurs restent : lieu de vie, lecteur actif, favoriser l’expression du jeune et de l’enfant, épanouissement de la personnalité.

…qui représente un enjeu fort pour une institution

En s’interrogeant sur ce qui se joue pour une institution publique quand elle s’engage dans une démarche participative, Raphaëlle Bats, chargée de mission relations internationales à l’Enssib, propose justement de mettre en perspective, dans la société contemporaine, les pratiques participatives des bibliothèques.

Dans un premier temps, elles seraient une réponse à la crise de la sociabilité. En encourageant les interactions des individus dans la société, les bibliothèques développeraient un moyen plus inclusif de faire du lien social. L’acquisition des connaissances et la valorisation de l’acquisition de ces compétences permettraient de gagner en reconnaissance sociale par le partage de savoirs et faciliteraient ainsi l’accès une place dans le groupe social.

La crise de la représentation est un second enjeu du développement des pratiques participatives en bibliothèque. La méfiance des citoyens envers les institutions qui accompagnent les politiques locales, dont les bibliothèques, peut être atténuée par la participation. Donner aux jeunes la possibilité de transformer une institution publique, c’est les aider à changer leur regard sur le monde et leur capacité à le changer. C’est aussi là un enjeu pour les bibliothèques qui peuvent affirmer leur identité territoriale en s’intégrant dans les politiques culturelles locales.

La promotion des valeurs démocratiques est un enjeu fort des services qui fondent justement leur action sur ces valeurs en se référant régulièrement au manifeste de l’Unesco. Dans une société décrite en mal d’échanges, incapable de construire un débat serein et qui rogne les libertés publiques, encourager la participation publique la plus large permettrait de créer les conditions d’un débat apaisé dans une enceinte publique et de recréer ainsi des espaces démocratiques où il est possible de « faire société » ensemble.

Enfin, la participation n’est pas un évènement éphémère. Les bibliothèques doivent trouver une place physique pour les productions réalisées par les jeunes dans le cadre des démarches participatives. Il s’agit de trouver des moyens de diffuser les productions réalisées aux bibliothèques et de mettre en œuvre les décisions prises par les publics. Pour aller plus loin, Nicolas Beudon encourage également les professionnels à documenter leurs démarches participatives pour faciliter les échanges au sein de la profession. C’est l’occasion de valoriser les biens communs du savoir.

Jacques Vidal-Naquet a raison de conclure que « la participation, ce n’est pas que du Post-it, c’est du fond qui permet de revenir à l’essence même de notre métier ».

Choisir le bon moment pour la participation

La vie des établissements est ainsi rythmée par des étapes fondamentales qui se prêtent à la mise en place de pratiques participatives : participation à l’élaboration d’un nouvel établissement, participation à la réorganisation d’un établissement et participation au fonctionnement courant de Géraldine Savary, bibliothécaire jeunesse de la médiathèque de Saint-Lô (Manche), a décrit comment l’architecte retenue pour le projet a accepté de faire participer des enfants à l’aménagement de l’espace jeunesse en s’engageant à tenir compte et à s’inspirer de leur production. Pour ce faire, un travail avec sept classes des écoles de Saint Lô a été porté par le maître d’œuvre. Le choix du projet retenu a été validé par les élus, le conseil municipal des jeunes et des enfants ayant participé.

La participation des enfants à la réorganisation a été abordée par Cyrille Clavel. Il a décrit l’expérience de la bibliothèque du quartier de Tikkurela à Vantaa en Finlande qui associe les enfants à la conception de leur espace. Pour ce faire, les bibliothécaires ont déployé plusieurs actions pour cerner les attentes des enfants et essayer de proposer un espace qui se rapprocherait le plus des espérances de leur jeune public : ateliers de dessins, de photo ou d’écriture pour collecter de l’information afin de savoir comment les enfants verraient la bibliothèque, ateliers de collages et de plans pour orienter la décoration et l’organisation interne de l’espace, ateliers de maquettes et de SketchUp pour concrétiser la parole des enfants… Enfin, d’autres biais moins directs ont également été utilisés en interrogeant les enfants sur la couleur idéale pour leur chambre, leur personnage de livre préféré ou encore le classement de leurs ouvrages favoris avec un carnet d’activités. La panoplie entière des animations jeunesse est potentiellement mobilisable pour collecter une forme de parole des enfants et les associer ainsi aux projets en cours.

Pour la participation au fonctionnement courant, Amélie Borelly-Renaudin, responsable de la bibliothèque municipale du Grand Pré à Jouques (Bouches-du-Rhône), a décrit l’aventure « La bibliothèque c’est la classe » 4 qui consiste en une immersion pendant une semaine d’une classe transplantée à la manière d’une classe verte ou d’une classe de neige. La démarche participative de co-construction consiste à mettre les élèves à la place des bibliothécaires et à leur montrer l’envers du décor. Les enfants participent au classement et rédigent des notices critiques qui sont ensuite diffusées sur les catalogues et réseaux sociaux. Sur le même modèle, la bibliothèque Louise Michel, dont l’expérience a été rapportée par Camille Vroman, a développé le projet « Mon bibliothécaire est un enfant » qui, un peu comme à l’Heure joyeuse, instaure le principe de « l’aide-bibliothécaire ». Il s’agit de proposer à des enfants de participer au fonctionnement de l’établissement en leur permettant par exemple de proposer et de choisir des animations. L’animation est ensuite organisée par l’enfant : de la communication à la réalisation. Cette démarche participe pleinement au projet de la bibliothèque Louise Michel qui place l’accueil individualisé des usagers au cœur du projet.

Choisir la bonne méthode pour la participation

Alors, comment faire ? Avec l’exemple des « Cake Wrecks », les erreurs d’interprétation des pâtissiers qui se trompent sur le message à inscrire sur les gâteaux d’anniversaire, Nicolas Beudon souligne la difficulté de faire passer un message. Co-créer, co-construire, coopérer, collaborer et travailler ensemble impose d’imaginer des outils pour qu’au moins deux personnes aient la même représentation d’une idée. Ce point fondamental de la démarche participative impose de rendre les choses tangibles, visibles et manipulables pour faciliter les échanges. Le processus de design ou de co-design offre aux bibliothèques la possibilité d’élaborer des projets avec leur public en explorant, en imaginant et en concrétisant en commun.

Mais les projets de participation des publics imposent de repenser la posture professionnelle : en déléguant à des enfants des tâches de bibliothécaires, les professionnels acceptent une forme de remise en cause par le transfert des compétences bibliothéconomiques qui amèneront peut-être le public à avoir des idées que les professionnels n’ont jamais eues. Ce processus doit être anticipé et accompagné car la posture de la participation, c’est avant tout une posture d’écoute et pas forcément de médiation.

Les différents intervenants qui ont porté des démarches de participation des publics insistent également sur l’importance de commencer par élaborer des projets collaboratifs de petite taille avant de pouvoir porter un projet participatif inscrit dans la démarche globale de l’établissement. La culture du test est importante et il y a un vrai besoin d’aménager des espaces internes de liberté : le rôle des équipes d’encadrants est ici fondamental. Le projet d’établissement est l’occasion d’acter, notamment auprès des tutelles, cette capacité à autoriser une certaine liberté créatrice. Le fait de passer d’une gestion verticale des relations avec les publics à une gestion plus horizontale est un mode de relation qui peut également inspirer l’organisation interne des services.

La politique des petits pas permet également aux exécutifs locaux de prendre conscience de l’intérêt des démarches participatives. Bien menées, elles peuvent donner le goût au public de s’impliquer dans d’autres démarches de la vie de la cité, même au-delà des bibliothèques. L’exemple finlandais de la ville d’Helsinki, qui a formé cinquante « référents participation » pour associer les publics aux politiques publiques, montre l’intérêt politique de ces projets. La formalisation des démarches participatives est un levier intéressant pour engager un processus nécessaire de développement de compétences et de connaissances internes en animation.

Enfin, pour porter un projet de participation réussi, il faut adopter quelques principes élémentaires. Les locaux doivent permettre l’accueil du public dans des ateliers créatifs. Il est important d’avoir des espaces qui créent les conditions de la participation et la convivialité. Il faut que les groupes constitués s’apprivoisent et le hors les murs est une option intéressante pour inclure un public de jeunes : aller là où ils sont, si possible accompagnés d’un tiers de confiance, permet de briser la glace. Le travail en partenariat est évidemment nécessaire pour collaborer avec des associations ou des institutions intéressées par ces démarches.

Éviter certains pièges

Une démarche participative n’a de sens que si elle produit effectivement une action qui prend en compte les opinions recueillies. En effet, le premier barreau de l’échelle de la participation d’Arnstein est celui de la manipulation. Le risque d’instrumentaliser la présence des citoyens existe : présenter une institution sous un jour favorable, obtenir des fonds supplémentaires de la part des institutions qui soutiennent la participation… La rédaction d’une charte de la participation est un préalable intéressant qui fixe le cadre de l’intervention des publics et les engagements pris par les collectivités. Sans devenir un règlement, ce sont parfois des outils qui permettent d’enclencher une discussion sur les valeurs et les réciprocités du projet participatif.

La question du rapport réciproque est également l’occasion d’évoquer la rémunération des publics qui participent à des projets participatifs : « Si je viens qu’est-ce que ça va m’apporter ? » De l’inclusion au groupe social à la participation rémunérée, en passant par des gâteaux, une tombola, des bons d’achat ou des goodies : les ressorts de la motivation sont multiples. Cette question croise celle des bénévoles en bibliothèques dont l’action quotidienne permet à des centaines d’établissements sur le territoire de fonctionner tous les jours. La participation à la vie de la cité n’est pas un métier, mais un engagement que chacun est libre de prendre. Il n’existe pas de règles à appliquer mais des solutions à trouver pour chaque projet.

Enfin, dans tous les projets de participation avec des jeunes, il ne faut pas oublier que les enfants grandissent et partent. Leur temps est dicté par le temps scolaire. Parfois, les bibliothécaires doivent faire le deuil d’une certaine énergie et relancer la motivation des équipes pour stimuler la participation de nouveaux groupes d’usagers. L’exemple de l’Odyssée des rêveurs à la médiathèque de Lommes, décrite par  Carole Salhi-Tavernier, est ainsi particulièrement intéressant. À partir d’un premier groupe, les équipes de bibliothèque ont accompagné plusieurs générations de lecteur au sein d’une démarche participative sur le long cours. Aujourd’hui, les plus anciens nostalgiques de leur participation comme enfants, ont créé une association pour continuer à se retrouver et encourager le développement de la lecture. C’est là un exemple d’empowerment, de capacitation.

Benoît Vallauri conclut la journée en décrivant des politiques publiques à la croisée de plusieurs expertises. Les expertises stratégiques, politiques, scientifiques et techniques correspondent à des niveaux d’expertise traditionnels. Mais les administrations doivent aujourd’hui développer l’expertise empirique qui valorise la relation du service public avec ses administrés et la valorisation de l’expertise d’usage des citoyens qui répond à la demande de participation au processus démocratique. Co-construire la bibliothèque avec les jeunes permet de développer ces nouvelles compétences en abordant sous un angle nouveau la gestion des établissements.

Les pratiques participatives en bibliothèque, loin d’être une mode, sont assurément un levier intéressant pour proposer une nouvelle forme d’action publique pour porter des projets d’organisation des services et pour refonder les relations avec les publics. L’implication des intervenants et des participants à la journée d’étude montre qu’une dynamique certaine prend forme au sein de la profession.