« De la communauté à la citoyenneté ? Bibliothèques et citoyenneté autour du monde »

Journée d’étude de la Bpi et de l’ABF – 12 octobre 2021

Véronique Heurtematte

Le 12 octobre 2021, le Centre Pompidou accueillait la journée d’étude « De la communauté à la citoyenneté ? Bibliothèques et citoyenneté autour du monde » organisée par la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et la commission internationale de l’Association des bibliothécaires de France (ABF).

À Helsinki, les démarches participatives au cœur de tous les projets de bibliothèque

Grâce au recours à la visioconférence, banalisée depuis la crise sanitaire, la journée a pu accueillir les retours d’expérience de deux réseaux de bibliothèques étrangères parmi les plus emblématiques au monde en matière d’inclusion et de travail autour de la citoyenneté : le réseau des bibliothèques publiques d’Helsinki en Finlande et celui des bibliothèques de Queens, aux États-Unis.

Le réseau d’Helsinki, constitué de 37 bibliothèques et deux bibliobus, auxquels s’ajoutent des bibliothèques présentes dans les hôpitaux et les maisons de service, est fréquenté par environ 60 % de la population, un taux que continuent de regarder avec envie les professionnels français. Le réseau a totalisé 9,1 millions de visites et 9,4 millions de prêts en 2019. « Les gens veulent avoir une vie agréable, notre approche consiste à trouver comment cela se traduit dans des services inspirants, utiles, développés avec les usagers », a expliqué Saara Ihamäki, directrice adjointe du réseau des bibliothèques publiques d’Helsinki, qui a présenté trois expériences de démarche participative.

La bibliothèque de la Manula, dans le nord de la ville, a mené un projet pilote en matière de démarche participative, impliquant les habitants dans tous les aspects de la future bibliothèque. Depuis cette expérience, la démarche participative est appliquée dans tous les projets de construction ou de rénovation de bibliothèques. Ce fut le cas pour la bibliothèque Hertoniemi, ouverte en 2020, qui a organisé des rencontres autour d’un café avec différentes catégories d’usagers : familles, public scolaire, adolescents. Parmi les demandes : des espaces plus ouverts, des plantes vertes, des endroits calmes, des atmosphères surprenantes, l’envie de voir d’autres personnes et non des rayonnages et des machines. Ce projet de bibliothèque a cependant suscité beaucoup de résistance du fait de son regroupement avec un centre pour la jeunesse.

La Vikki Library, située dans le même bâtiment que celui de la bibliothèque universitaire, a rouvert en octobre 2021 après une grosse opération de rénovation. En raison de la crise sanitaire, les actions participatives ont dû être adaptées. Les bibliothécaires ont effectué des sondages auprès des habitants sur différents sujets. Les réponses ont mentionné, là encore, le souhait de disposer d’horaires d’ouverture élargis, de zones différenciées (calmes, pour l’action, pour jouer) et d’un jardin. Pour Saara Ihamäki, si l’intérêt des démarches participatives est indéniable pour impliquer les habitants dans les projets, elles présentent cependant certains inconvénients. Les actions attirent surtout l’élite intellectuelle et sociale locale et les équipes doivent travailler dur pour capter les autres communautés avec des démarches différentes, comme s’installer à l’extérieur du supermarché et interroger les personnes qui font leurs courses dans le projet de la bibliothèque de la Manula. « Nous avons pu toucher des personnes qui ne viennent pas habituellement à nos rencontres participatives » a constaté Saara Ihamäki.

Un programme dédié aux migrants depuis 1977 à la bibliothèque de Queens

À des milliers de kilomètres d’Helsinki, la bibliothèque de Queens, le plus vaste des cinq arrondissements de la ville de New York, fait figure de référence en matière de travail sur la citoyenneté et l’inclusion avec son New Americans Program créé dès 1977. Dans ce comté qui est le plus diversifié ethniquement des États-Unis, où 47,2 % de ses 2,3 millions d’habitants sont nés à l’étranger dans plus de 190 pays différents et où près de 200 langues autres que l’anglais y sont parlées dans 55,9 % des foyers, l’objectif de ce programme est d’aider les migrants à s’intégrer dans la société américaine mais aussi de valoriser les cultures dont ils sont issus et de sensibiliser les bibliothécaires aux problématiques de la migration. Toutes les antennes du réseau ont des services et des collections adaptés à la population de leur quartier. Lancé avec l’aide de financements fédéraux, ce programme repose aujourd’hui essentiellement sur des subventions de la ville de New York. Les services et initiatives du programme, détaillés pendant la visioconférence par Cathy Chen, bibliothécaire du réseau des bibliothèques de Queens, sont d’une richesse et d’une diversité impressionnantes : cours de préparation à la citoyenneté sur 10 semaines dispensés par des instructeurs expérimentés, sessions d’information sur le droit de l’immigration organisées avec des associations à but non lucratif de services juridiques, notamment en népalais par des juristes natifs, ateliers d’initiation au numérique en espagnol, réunions sur la prévention des violences familiales en bengali, information sur le dispositif de loterie des visas qui permet chaque année à 50 000 personnes d’obtenir un visa américain, pour ne citer que quelques-unes de ces initiatives. Toutes les bibliothèques du réseau disposent depuis 2015 d’un rayon baptisé New Americans Corner qui propose des ressources dédiées pour répondre aux besoins des nouveaux arrivants : demander la citoyenneté américaine, effectuer des démarches administratives, apprendre l’anglais.

Les partenariats occupent une place importante dans le programme. « Ils sont indispensables à la réussite de nos actions auprès des différentes communautés, a affirmé Fred Gitner, directeur adjoint en charge du New Americans Program, des services spécifiques et des relations internationales à la Queens Library. Nous y avons recours pour les acquisitions de livres dans diverses langues étrangères, pour l’organisation d’ateliers sur des sujets tels que la citoyenneté, la création de petits commerces, les questions touchant à la famille ». La bibliothèque de Queens a établi des partenariats notamment avec les consulats de Chine et du Bangladesh, avec plusieurs instituts culturels, ainsi qu’avec de grandes institutions dans le monde comme la bibliothèque de Shanghai en Chine, les Bibliothèques nationales de Corée et de Géorgie. Les bénéfices des partenariats sont multiples : la bibliothèque comme les partenaires renforcent leur visibilité au sein des communautés et sont perçus comme des fournisseurs de services essentiels.

À Lezoux, le défi d’inscrire le participatif dans la durée

Comment associer durablement les habitants à la vie d’un équipement culturel tel qu’une bibliothèque ? Stéphane Vincent, délégué général de La 27e  Région, est revenu sur l’expérience de la médiathèque intercommunale Entre Dore et Allier à Lezoux, dont La 27e Région a accompagné le projet de création par une démarche participative avec les habitants parmi les plus abouties en France. L’association, créée en 2012, est constituée d’une petite équipe travaillant selon les besoins avec un vaste réseau de professionnels de divers horizons – sociologues, chercheurs, designers de service. Elle intervient selon deux types de démarche – la recherche-action et l’animation de communautés – avec l’ambition de proposer une nouvelle approche des questions de gouvernance et de changer la culture du service public.

La 27e Région a été sollicitée par la communauté de communes Entre Dore et Allier pour l’aider à penser la future médiathèque intercommunale, dotée d’un budget conséquent de 6 millions d’euros, qui ne faisait pas l’unanimité parmi les élus ni même parmi les habitants. « Nous ne voulions pas faire des réunions dans une salle, nous voulions faire de l’immersif, observer comment les gens vivent, étudier leurs pratiques culturelles », a détaillé Stéphane Vincent. L’opération a consisté en trois résidences successives d’une semaine chacune réparties sur plusieurs mois, menées par une petite équipe constituée de deux designers, une sociologue et un responsable d’associations. La première résidence était consacrée la prise de contact avec les habitants, l’observation, le dialogue. L’équipe a rencontré les différents interlocuteurs – élus, bibliothécaires départementaux, agents municipaux, habitants chez qui elle s’est invitée pour discuter de leurs pratiques de lecture. La seconde session a donné lieu à un plan d’usage et à une cartographie des problèmes identifiés, par exemple l’inquiétude des parents vis-à-vis de la place qui sera réservée aux jeux vidéo, ou encore le mécontentement des bénévoles qui n’ont pas été consultés sur le projet de la future médiathèque.

L’équipe de la 27e Région s’était installée dans le local de l’ancien office de tourisme, transformé en « fausse » bibliothèque permettant de tester différentes initiatives : une cabine où l’on peut récupérer des fichiers libres de droit, du crossbooking sous forme de mallettes thématiques dans lesquelles les habitants déposent des livres leur appartenant et qui circuleront de foyer en foyer, le tout animé par les bénévoles. La troisième semaine était consacrée à aider les élus à l’élaboration du projet. La dynamique participative qui guide le fonctionnement de la médiathèque depuis son ouverture en juin 2017 n’a pas faibli pour l’instant mais la maintenir au fil des changements électoraux et dans l’équipe de la médiathèque a été identifié comme le principal défi.

À Plaine Commune, la question linguistique, partie intégrante du projet de service

La très grande diversité des nationalités et des langues étrangères qui s’y côtoient donne à Plaine Commune des faux airs de Queens. Sur ce territoire au nord de Paris qui regroupe 9 villes et 450 000 habitants, aux indicateurs sociaux négatifs, le réseau de lecture publique a décidé depuis plusieurs années déjà d’intégrer la question linguistique de manière globale dans son projet de service. La richesse et la diversité des actions menées, les objectifs poursuivis, tels que donner aux publics allophones la possibilité de lire dans leurs langues maternelles et d’apprendre le français mais aussi valoriser leurs cultures d’origine, rappellent là encore l’impressionnant programme développé dans les médiathèques de Queens : flyers d’information sur les médiathèques en différentes langues dont le chinois, l’arabe, l’anglais, l’espagnol, création de fonds spécifiques, notamment en turc, tamoul et chinois, dans certaines médiathèques en fonction des communautés présentes dans leur secteur, ateliers de conversation, programme culturel autour de la Semaine des langues maternelles, organisation de visites et animations dédiées aux publics allophones, sessions de lectures bilingues pour les enfants assurées par des usagers, ateliers numériques en mandarin animés par l’une des nombreuses associations partenaires du réseau de lecture publique de Plaine Commune.

Les nombreuses manières de faire communauté

Démarches participatives, inclusion, lutte contre l’illettrisme : les différents ateliers proposés en sessions parallèles au cours de la journée ont donné une idée de la diversité que peuvent prendre les initiatives permettant de faire communauté. À Bordeaux, La Fabrique du citoyen, née d’une commande politique suite aux attentats contre le journal Charlie Hebdo en 2015, organise régulièrement des temps de débats, rencontres, réflexions autour des notions de citoyenneté. L’espace 4C (Créativité, Collaboration, Connaissances, Citoyenneté) des Champs libres à Rennes accompagne depuis 7 ans la création de groupes dédiés à des activités choisies par les usagers et entièrement pris en charge par eux-mêmes. À Annemasse, La Bulle est un tiers-lieu né d’un projet participatif et cogéré par les élus, les habitants et les professionnels de l’équipe. Ici, quatre valeurs tiennent lieu de projet d’établissement : ouverture, collaboration, inclusion, innovation. L’équipe de 12 personnes fonctionne selon un organigramme « circulaire », sans hiérarchie. La médiathèque Marguerite Duras, à Paris, a inclus dès son ouverture en 2010 l’accueil des personnes en situation de handicap visuel en bonne place dans son projet d’établissement : pôle Lire autrement qui offre des collections, des services et un accueil dédiés, cafés littéraires consacrés aux livres audio, sessions de jeux pour les enfants déficients visuels. Le programme national Des livres à soi s’adresse, quant à lui, aux parents éloignés de la lecture et vise à lutter contre l’illettrisme et à aider à tisser le lien parent-enfant à travers le livre.