Construire des pratiques participatives en bibliothèque
Journée d'étude du 23 juin 2016 – Médiathèque de l'Alpha, Angoulême
En premier lieu, Raphaëlle Bats (chargée de mission relations internationales, Enssib) revient sur les trois points suivants :
Pourquoi mettre en place
des pratiques participatives en bibliothèque?
J. Dewey et J. Habermas apportent une légitimité philosophique aux pratiques participatives en bibliothèque. Pour J. Dewey, l'opinion des gens a une valeur dans la façon de vivre ensemble. Ils doivent être formés à exprimer leurs idées (rôle de l'école) afin de participer à la démocratie. Cette participation s'exerce dans un lieu d'échange et d'interactions: la bibliothèque
Pour J. Habermas, la démocratie évolue et se construit dans la discussion. Il faut donc, pour argumenter et défendre ses idées un espace public où se rencontrer: un espace participatif.
En France, le seul espace où l'on peut se poser, discuter de façon gratuite et ouvert à tous n'est autre que la bibliothèque.
La légitimité institutionnelle vient des mairies qui se sont saisies de cette idée de démocratie directe-participative ( ex: élaboration de projet de construction...), dont la bibliothèque peut être un acteur.
En 2015, les attentats contre Charlie Hebdo et l'hyper Cacher, ont également marqué les esprits et ébranlé les concepts de pluralisme et de neutralité. De nombreuses questions se sont alors posées sur la neutralité et le rôle politique des bibliothèques. En résulte une émergence d'un grand nombre de projets participatifs en bibliothèque.
La participation : échelle et typologie
Il existe des échelles afin de mesurer la participation.
1) Information (les participants s'informent sur le sujet, problème à résoudre)
2) Consultation (les participants informent les décideurs de leurs opinions)
3) Discussion (les participants échangent et confrontent leurs idées)
4) Délibération (les participants formulent un avis sur un point précis)
5) Collaboration (participation à la construction du processus participatif et contribution à la décision finale).
Sur le plan typologique, il s'agit de mettre en place la temporalité, l'intensité de la participation (une fois/mois...), le dispositif (référendum, consultation...), les secteurs sociaux touchés, le dynamisme de mobilisation et le type de partenariat sans oublier l'échelle géographique (où...).
Il est aussi nécessaire de définir le type de participants. Faut-il faire participer seulement des bénévoles ou les usagers de la bibliothèque ? Tous ces points doivent être réfléchis en amont.
Les limites et les enjeux
Il est impératif de diversifier les publics pour ne pas avoir toujours les mêmes participants. Faire attention à ce que le rôle des individus soit valorisé et reconnu pour redonner une certaine forme de pouvoir à la fois pour le territoire et pour le «non public» de la bibliothèque. Cela aura un impact sur la notion de communauté. Il ne s'agit pas de démocratiser la culture mais de démocratiser l'action politique.
Proposer une participation pour comprendre le fonctionnement de la bibliothèque ou encore faire venir, expérimenter ou faire prendre part, sont des actions envisageables (ex: «Montez le son» à la BM de Lyon où se sont des «non publics» qui sont acquéreurs des collections pour le secteur musique). Mais garder à l'esprit que la diversité des publics, c'est aussi la diversité des lieux et des modes d'action.
Cependant, les limites de ce genre d'action apparaissent rapidement. Dépasser le cadre des usagers habituels et aller chercher un nouveau public devient vite difficile.
La déception des participants peut également devenir un frein. Dans ce cas, il faut poser les cadres dès le départ. La réflexion se fait avec l'ensemble des participants mais se sont les professionnels qui mènent le projet et prennent la décision finale. Le temps de la participation doit aussi être clairement défini sinon les débordements peuvent vite apparaître.
Des actions portant sur le partage d'expertise sont aussi proposées: sur des savoirs manuels (le tricot), des savoirs professionnels (comptabilité), des savoirs naturels (langue maternelle)...Dans ce cas, c'est la personne qui transmet son savoir qui anime l'atelier comme elle veut et non le/la bibliothécaire. Des pertes de repères dans les équipes de bibliothécaires peuvent se faire sentir. Il faut donc veiller à ce que chacun garde bien sa place. D'un autre côté, les bibliothécaires sont-ils vraiment prêts à laisser «le pouvoir» à des non-professionnels? D'autant que les pratiques participatives ne doivent pas devenir un événement à part entière qui donne l'impression que l'on peut se passer du bibliothécaire .
Toutefois, la participation engendre un certain engagement par rapport à la société. Elle peut donc être un moyen pour faire avancer les choses.
Ensuite, Michel Rouger (directeur du musée de la Grande Guerre du pays de Meaux), présente un projet réalisé avec l'agence DDB. Cette agence propose en 2012 un projet intitulé « si Facebook avait existé en 1914 », projet qui concorde avec celui du musée « Comment parle t-on de la Grande Guerre aujourd'hui? » Il s'agit au départ d'une histoire fictive, celle de Léon Vivien, alimentée par les archives et les collections du musée. Très vite les « fans » s'approprient la page. Ils y racontent leurs histoires de famille et s'adressent au héros comme à un vrai ami. Il y a un véritable télescopage du temps et de l'espace. En 2016, la page, devant durer un mois et demi au départ, existe toujours et compte pas moins de 63 000 fans. Leur participation a donc fait vivre cette page Facebook mais en mesurer réellement l'impact est difficile malgré le déclenchement de visite pour le musée.
Marie-christine Jacquinet et Chrystelle Prieur (directrice et chargée de mission pour la plate forme collaborative le Vivier, pôle développement culturel, conseil départemental des Yvelines), reviennent sur le fonctionnement de la plateforme. Pour le Vivier, il s'agit plus de collaboration entre le public et les professionnels de la culture du département. Le contexte de réforme territoriale a engendré des réflexions sur la place de la culture et de la lecture publique sur le territoire. En résulte une réorganisation interne avec un fonctionnement en mode projet sur des actions territoriales – en transversalité. La bibliothèque départementale de prêts fédère les acteurs du livre et de la lecture. Le Vivier fédère tous les acteurs, y comprit les projets associatifs du territoire. Le premier outil collaboratif est internet. Il faut s'inscrire et pratiquer de la veille. Ce n'est pas un outil de communication mais un véritable projet de travail. C'est une communauté d'intérêts qui permet de travailler sur plusieurs projets. Des ateliers, où les personnes qui se rencontrent, via le Vivier, peuvent se regrouper et travailler ensemble. Des stages, des tutoriels et des espaces de travail sont aussi proposés. Mais, le Vivier est coûteux en temps humain et demande beaucoup d'appropriations. Même si c'est un mode de renforcement de la démocratie participative, le poids des pouvoirs institutionnels reste présent. Se pose aussi le problème de déception et de perte de confiance lorsque les idées ne sont pas retenues.
Les pratiques participatives
dans les bibliothèques du territoire
Agnès Brangier (responsable de la médiathèque du comité d'entreprise de la Maïf, Niort) souligne que cet établissement de 90m2, ouvert trois jours par semaine entre 12h et 14h, compte 1200 inscrits pour 900 actifs. 35 bénévoles et une salariée bibliothécaire gèrent la médiathèque. Les bénévoles salariés et retraités assurent les permanences et l'équipement ainsi que différentes tâches. Il existe également un comité de sélection d'acquisition pour la vidéo et la musique se réunissant une fois par trimestre. Une page Facebook Maïf est en cours de création. Page qui sera au final animée exclusivement par les bénévoles. Un projet intitulé «biblio-up» est actuellement testé avec cinquante lecteurs. Il a pour objectif de faire sortir les livres des bibliothèques personnelles et permettre un prêt directement entre lecteurs.
Frédéric Duton (responsable du service public et communication du SCD, Poitiers) revient sur l'enquête libqual+, menée en 2013 auprès des étudiants et des professionnels afin de connaître leurs perceptions de la bibliothèque et leurs souhaits, minimum et maximum. L'enquête donnera lieu par la suite à des actions d'amélioration des services proposés aux usagers. 2084 questionnaires remplis dont 1864 valides, auxquels s'ajoutent 800 commentaires libres. Apparaît une grande variation dans les résultats mais les besoins en mobilier et en espaces ont été soulignés. La réflexion menée suite aux résultats à engendrer la création de la Ruche: espace collaboratif et convivial, d'accompagnement et d'animation. Un prêt de matériel numérique pour la production étudiante a été mis en place ainsi qu'une mise à disposition de salles de travail.
Patrick Treguer (responsable Multiple-espace Mendès France, Poitiers) présente la création d'un atelier numérique, en 2013, pour les femmes de plus de 70 ans, encadré par des personnes ayant des connaissances dans le numérique, tout en prenant en compte les caractéristiques de chacune des participantes. L'idée est qu'à terme les femmes des premiers ateliers puissent former les suivantes. Il s'agit de créer des reportages vidéo, de faire des interview et d'alimenter la page Facebook. Le but est aussi d'amener à la culture du jeu vidéo. Elles ont donc créé un jeu qui a été présenté à la famille digitale lors de la Games Assembly.
Evelyne Guiraud (directrice de la médiathèque de Saint- Médard en Jalles), explique que la participation émane d'un projet de service daté de 2008 pronant trois valeurs : proximité, convivialité, innovation. Mise en place de plusieurs «chantiers» avec des «chefs de chantier» pour mener à bien l'animation dans le cadre de la politique culturelle. Tous les secteurs décident de mettre en commun pour marquer le territoire. L'enjeu est de changer l'image de la médiathèque. Chaque année le choix d'un thème est fait et s'ensuit une animation sur quinze jours. Le travail se fait par groupes de projet avec association des différents services afin de partager les coûts. La première thématique fut l'image. Elle engendra l'événement «Les imaginaires de Saint Médard en Jalles». Bien en amont avant l'animation, il est fait appel à la population donnant lieu à un temps participatif très fort.